Quelques jours après les attentats du 7 juillet 2005, perpétrés dans la ville de Londres, la lecture de cet ouvrage a toutes les raisons d’être stimulante. Connaisseur de la scène stratégique internationale François Heisbourg fait partie du cercle de ces spécialistes de la géopolitique qui sont souvent sollicités par les médias pour apporter leurs éclaircissements sur la complexité des affaires du monde.
L’argumentaire de François Heisbourg semble clairement favorable à l’affirmation d’une Europe-puissance. Face à des défis globaux, l’hyperterrorisme, l’affirmation de puissances régionales, les inégalités liées à la mondialisation, la réponse est forcément globale. La difficulté réside néanmoins dans cette division profonde qui est apparue entre l’hyperpuissance américaine et le reste du monde : l’Europe et le Moyen-Orient, ne font plus partie de ce bloc occidental, objet des sollicitudes étatsuniennes. Ces deux ensembles sont devenus des terrains d’interventions, de plus en plus souvent unilatérales.
L’auteur est l’inventeur de ce concept d’hyperterrorisme qui a été largement développé et explicité dans un ouvrage par un 2001 et réactualisé en Poche en 2003. Ce concept caractérise ces formes d’action voulues et conçues comme étant les plus meurtrières possibles. Elles sont perpétrées par des groupes transnationaux disposant de moyens logistiques et financiers importants, et surtout capables de monter en puissance du fait de la prolifération, probable selon l’auteur, de moyens de destruction de masse, chimiques, biologiques et nucléaires.

Cet hyperterrorisme a la particularité de fonctionner sur un mode assez voisin de celui de l’entreprise dans le cadre de la mondialisation. Du point de vue des avantages comparatifs, le lieu des attentats, des métropoles mondiales, les auteurs, des kamikazes, issus de milieux intégrés de l’immigration, ne sont pas déterminés au hasard. Il existe bien une signature appelée commodément Al Qaeda, et des variantes avec les franchisés locaux, anglo-pakistanais, hispano-marocains, (11 mars 2004) indonésiens islamistes pour Bali, le 12 octobre 2002, etc…

Comment face à ses menaces, les deux puissances mondiales, peuvent-elles se prémunir et surtout inscrire leur politique étrangère dans une démarche commune ?

Pour l’auteur qui ne ménage pas ses critiques sur l’hyperpuissance américaine, la réponse ne peut venir que de l’Europe, la seconde puissance qui doit trouver, avec les États-Unis, les bases d’une coopération mutuellement avantageuse.

Comment cette Europe qui affirme ou qui essaie de réaliser un certain modèle social peut-elle organiser sa politique étrangère face à ce nouveau front de menaces constitué par l’hyperterrorisme, tout en conservant ses principes démocratiques ?

François Heisbourg ne fait pas mystère de son attachement à la construction d’une Europe puissance, capable de renouer les liens distendus avec l’hyperpuissance américaine. Il estime en effet que les États-Unis se sont mis dans une situation difficile et même, pour reprendre l’un des titres de chapitre qu’ils ont « perdu le Proche-Orient ».

L’évolution d’un soutien de principe mesuré à un soutien de principe à Israël explique sans doute cette évolution, tout comme l’intervention unilatérale en Irak en 2002.
Autre difficulté de redéfinition d’une politique étrangère, américaine dans la zone, ce grand projet dont l’intervention en Irak devait représenter le point de départ, celui d’une démocratisation progressive du monde arabo-musulman, de Marakkech au Bengladesh, démocratisation porteuse de développement économique, d’alphabétisation des masses, d’amélioration du statut des femmes, etc…

En réalité, cela ne tient pas vraiment, car les États-Unis restent attachés à une politique de statu quo à l’égard des régimes en place, or, ce sont bien les régimes qui sont aujourd’hui, dans la plupart des pays du monde arabo-musulman, à l’origine des difficultés.

De ce fait, les États-unis sont incapables de gagner cette bataille des opinions publiques du monde arabo-musulman, d’autant qu’ils focalisent contre eux les ressentiments d’une région humiliée, dépecée et conquise depuis plus de deux siècles.

L’Union Européenne, amorçant depuis la signature des accords de Barcelone en 1995, un partenariat euro-méditerranéen semblait disposer d’atouts non négligeables, mais l’ouverture à l’Est, l’arrivée de nouveaux États dans l’Union a mis de fait le processus en sommeil. De plus, comme pour le projet américain, ce partenariat est surtout basé sur des relations étatiques, et, comme le regrette l’auteur, n’intègre pas dans cette démarche la société civile.

Cela se traduit en matière de choix de société pour l’Europe, comme pour les États-Unis. A quel niveau placer la politique de défense civile contre un hyperterrorisme transnational, sans remettre en cause les libertés fondamentales ?

Aux États-Unis, le 11 septembre a laissé des traces durables, même si le fonctionnement des institutions n’en a pas été affecté. En Europe, le défi est sans doute plus grand, car il s’agit de mettre en place, et de renforcer, une politique anti-terroriste commune, une coopération des polices, des services de renseignement dans des domaines qui affectent les intérêts nationaux des États.

De la même façon et si l’on prend en compte la radicalisation fondamentaliste qui affecte une fraction significative des population issues des immigrations maghrébines, proche-orientale ou d’Asie du Sud, qui touche des pays comme la France ou le Royaume Uni, il faudra aussi que de véritables politiques d’intégrations soient menées, car l’on sait bien que les frustrations accumulées sont aussi le vivier de cette radicalisation qui ne touche pas simplement les laissés pour compte des banlieues mais aussi des élites bloquées dans leur promotion sociale.

Les passages obligés pour la redéfinition d’une politique étrangère européenne sont les suivants. Pour l’auteur, les États-Unis sont largement isolés, dans leur statut d’hyperpuissance. L’Occident est désormais multiple et il faut ainsi compter sur une Europe puissance qui s’affirme peu à peu, mais sans doute pas assez vite.

La redéfinition des relations euro-atlantiques s’impose donc, mais encore faut-il que les Européens soient capables d’avancer de ce point de vue, et que l’actuelle administration étasunienne en ait le désir et les moyens politiques. Un Président en cours de second mandat, ce qui est le cas depuis 2004 pourrait jouer ce rôle, même s’il n’est pas sûr que l’actuel occupant du bureau ovale soit l’homme de la situation.

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