Quand j’ai reçu ce livre, ma fille s’est inquiétée de savoir si c’était pour préparer ma retraite. Le titre français semble, en effet, sorti de la collection « pour les nuls » ou d’une collection de développement personnel. En réalité, le titre original (l’édition originale, en anglais, date de 2019) est How to be a dictator: « Comment être un dictateur » littéralement. Et le livre étudie surtout, comme le confirme son sous-titre, la façon dont les despotes modernes sont parvenus à manipuler le consensus populaire.

D’origine néerlandaise, Frank Dikötter est un spécialiste de l’histoire de la Chine. Il est actuellement professeur à l’université de Hong Kong, où il enseigne à la fois Mao et la Grande famine de Chine après avoir été professeur de l’histoire moderne de la Chine à l’École des études orientales et africaines de l’Université de Londres.

Ici, il choisit de se poser la question de savoir comment les dictateurs ont consolidé leur pouvoir. Pour l’historien Frank Dikötter, la mise en scène de sa propre personne est indispensable au maintien d’un tyran au pouvoir : si la terreur et la répression permettent la mise au pas d’un pays, il est nécessaire de contrôler les esprits et de rendre impossible toute rébellion.

Pour le démontrer, l’auteur a choisi d’analyser huit dictateurs du XXe siècle, du Duce à Mengistu, en passant par Hitler, Staline, Mao, Kim Il-sung, Duvalier et Ceausescu, mais il reconnaît que bon nombre d’autres dictateurs avaient leur place dans son livre, de Castro à Bokassa, en passant par Saddam Hussein ou Khomeini.

Avec clarté, l’historien néerlandais, décortique ainsi le fonctionnement et l’organisation de ces régimes. Tous ont contribué à créer ce que Dikötter appelle une « illusion de soutien populaire ». C’est un livre d’histoire, mais on a parfois l’impression de lire un ouvrage consacré à la psychiatrie, car ces huit portraits de dictateurs semblent avant tout ceux de malades profonds atteints par un besoin absolu de pouvoir, un goût du luxe malgré l’extrême pauvreté du peuple, une cruauté totale à l’égard du moindre opposant et l’absence de remords pour les milliers ou les millions de morts laissés dans leur sillage. En contrôlant toute la société avec un appareil policier omniprésent et en s’assurant de la servilité d’une poignée de fidèles, ils mettent un pays entier derrière des barreaux. Ils construisent leur totalitarisme grâce à une propagande qui irrigue toute la vie quotidienne. Une industrie cinématographique donne du relief au moindre déplacement du tyran. Dans la Chine de Mao, explique l’auteur, « les chants révolutionnaires sont diffusés par des haut-parleurs aux carrefours, dans les gares, dortoirs et cantines ».

Finalement, chacun de ces dictateurs parvient à bâtir « un pays de prisonniers condamnés à l’enthousiasme » pour reprendre la formule de l’historien de l’Italie Christopher Duggan à propos du régime fasciste. Et cet « envoûtement populaire » est bien ce qui va leur permettre non seulement de se maintenir au pouvoir, mais aussi, dans certains cas, d’entraîner les peuples dans leur folie meurtrière.

 

On pourra aussi lire la recension d’Alexis Coince ICI