Publié à l’occasion du cinquantenaire de la Ve République, ce dictionnaire critique, en 239 articles, est l’œuvre d’une équipe de 80 universitaires, enseignants-chercheurs à Sciences Po et professeurs de classes préparatoires d’horizons variés (surtout des historiens, mais aussi des politologues, des sociologues, des juristes, des psychanalystes, des philosophes, etc.), réunis sous la direction de Jean Garrigues, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans et président du Comité d’histoire parlementaire et politique (CHPP), auteur de nombreux ouvrages sur la vie politique dans la France contemporaine (relations entre pouvoir économique et pouvoir politique, groupes de pression et contre-pouvoirs, centre et libéraux), parmi lesquels La République des hommes d’affaires 1870-1900 (Aubier, 1997), Les Scandales de la République. De Panama à l’affaire Elf (Robert Laffont, 2004) ou encore Les Grands discours parlementaires de la Cinquième République (Armand Colin, 2006).
Ce dictionnaire est d’ailleurs paru en septembre 2008, alors que se tenait à Paris, du 25 au 27 septembre, un colloque intitulé « Comprendre la Ve République » organisé par le Centre d’histoire de Sciences Po et le Comité d’histoire politique et parlementaire, le comité scientifique réunissant Jean Garrigues, Sylvie Guillaume et Jean-François Sirinelli
L’ouvrage est organisé en quatre parties. Les « temps forts » retracent dans une perspective chronologique l’histoire de la Ve République, de sa naissance (« La Ve République plébiscitée (mai-septembre 1958) ») à la présidentielle de 2007 (« Sarko ou Ségo ? »), en passant par des étapes traditionnelles intérieures (par exemple la semaine des barricades, la réforme constitutionnelle de 1962, Mai 68, la première cohabitation ou le 2e tour de la présidentielle de 2002) ou extérieures (la rupture avec l’OTAN, les referenda sur le traité de Maastricht en 1992 et sur la Constitution européenne en 2005, la France face à la chute du mur de Berlin en 1989 ou dans la guerre du Golfe en 1991), mais aussi par des arrêts plus inattendus (comme le bicentenaire de la Révolution française et l’affaire des foulards en 1989, la victoire black-blanc-beur en 1998 ou les banlieues en flammes en 2005).
Choix de portraits
Puis vient une longue galerie de cent portraits avec les « figures » de cette Ve République : politiques bien sûr (présidents et premiers ministres, ministres, personnalités politiques), grands intellectuels, écrivains, artistes (essentiellement des chanteurs, des acteurs et des cinéastes), sportifs, journalistes, célébrités et quelques patrons sont évoqués dans des notices biographiques, de l’abbé Pierre à Léon Zitrone, d’Astérix à Marguerite Yourcenar, d’Aron à Sartre, des Guignols de l’Info à Jamel Debbouze ou Coluche, de Césaire à Sagan, De Robert Badinter à Simone Veil, de Claude François à Renaud, de Bardot à Montand.
Une troisième partie, intitulée « pouvoirs et contre-pouvoirs », traite des pouvoirs institutionnels (« Constitution », « Président de la République », « Parlement » mais aussi « Commission européenne » et « Parlement européen ») administratifs (« Préfet »), juridictionnels (« Conseil d’État », « Cour des comptes ») et locaux « Maires », « Régions »), mais aussi des pouvoirs politiques (les grandes familles politiques sont abordées, ainsi que les partis), religieux (« Catholiques », « Juifs », « Musulmans »…), économiques et sociaux (patronat et syndicats), et intellectuels (« Altermondialistes », « Intellectuels », etc.). L’ouvrage se clôt par des « enjeux » très variés, comme la pauvreté, le vieillissement de la population, les affaires et les scandales, la politique culturelle, l’école, les banlieues, l’homosexualité, la laïcité, le chômage et l’emploi, le cinéma, l’État-providence, la mémoire, la sécurité, etc.
Les enjeux comme la laïcité
Bien sûr, et c’est la loi du genre, des critiques peuvent être faites sur chaque partie de l’ensemble. Les notices sont inégales, certaines plus complètes que d’autres (on ne trouve pas, par exemple, la sociologie de la culture de masse et les yé-yé dans l’article « Edgar Morin »), certaines plus irritantes (la notice « École » par exemple, ou celle sur la « Diversité », qui semble débattre, ce qui est stimulant, avec les notices « L’affaire des foulards » et « Laïcité »), certaines très analytiques quand d’autres sont plus factuelles (les « temps forts », beaucoup de notices de chanteurs par exemple, les notices sur l’Europe). Des articles sont plus à jour que d’autres. Ainsi l’article « Immigration » se termine sur les fonctions confiées à Brice Hortefeux, alors que l’article « Diversité », s’il parle des Indigènes de la République, n’évoque pas des figures symboliques comme Rachida Dati, Rama Yade ou Fadela Amara (qu’on trouvera, réunies ou non, dans les articles « François Fillon », « Féministes », Kofi Yamgnane ne figurant pas dans le dictionnaire).
Des choix seront contestés (en particulier parmi les cent figures), des oublis regrettés : ainsi on ne trouvera pas de notice spécifique consacrée à la planification, brièvement évoquée dans les articles « Économie » et « Industrie » par exemple ; de même l’aménagement du territoire et la DATAR sont à chercher dans les articles « Régions » , « Industrie » ou « Transports ». On aurait vraiment aimé, dans certains articles, le complément d’un regard de géographe, sur les transformations importantes du territoire français (le monde paysan a largement disparu du dictionnaire) et de son aménagement sous la Ve République, sous la triple action de l’État, de la construction européenne et de la mondialisation (qui aurait pu donner lieu à un article). On objectera à juste titre que choisir c’est éliminer, et que les choix retenus reflètent aussi les préoccupations d’aujourd’hui.
On aurait pu souhaiter enfin de grands articles explicatifs de mise en perspective globale des grandes évolutions de la France sous la Ve République, mais l’ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité et entend donner, comme le souligne Jean Garrigues en avant-propos, « le spectacle d’une époque, éclairée par des dizaines de projecteurs d’intensité et d’orientation différentes, et qui tentent de restituer la scène dans toute sa diversité ». Ce contrat est parfaitement rempli, et l’on tient là un outil de travail très pratique, qui comble un vide, et qui est voué à devenir un usuel de référence, en particulier pour les professeurs comme pour leurs élèves ou leurs étudiants.
Laurent Gayme
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