Pascal Depaepe
La France du Paléolithique
Éditions La Découverte. Collection « Archéologies de la France ». Octobre 2009
Déjà présentée sur le site des Clionautes http://www.clionautes.org/?p=2227, cette collection archéologie de la France est le fruit d’une collaboration entre les Éditions La Découverte et INRAP, (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives). Comme pour les précédents volumes, (sept déjà publiés et trosi à paraître), nous pouvons apprécier la très belle réalisation des maquettistes, le soin dans les représentations cartographiques, la richesse iconographique. (À une réserve près, page 48-49, où la comparaison entre Neandertal et Cro-Magnon est coupée en deux par la reliure ce qui est un peu frustrant).
Pour le contenu, l’auteur, Pascal Depaepe, archéologue, docteur en préhistoire (université de Lille I) et directeur scientifique et technique de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) est un fin connaisseur du sujet. Son principal thème de recherche concerne l’homme de Neandertal, et plus spécifiquement les interactions homme-milieu, les dynamiques d’habitat et le rôle des fluctuations climatiques dans le peuplement de l’Europe. C’est dire à quel point ce voyage 200 000 et la Révolution néolithique, peut se révéler passionnant.
Cela est d’autant plus méritoire que le passage de l’archéologie dominicale et romantique des amateurs éclairés à l’archéologie professionnelle et scientifique a souvent généré des publications profondément ennuyeuses. Ce n’est pas le cas ici, au contraire. Dans le CHAPITRE I : Les plus anciennes occupations le Paléolithique inférieur, on voit ces hommes arriver d’Afrique pour remonter le long de la péninsule ibérique et, après avoir chassé comme il pouvaient les bêtes sauvages et sans doute quelques aurochs ( Sans doute les premiers matadors de toros J’allais pas la laisser passer celle-la !) prendre pied au Sud de la France, dans les Pyrénées, (Tautavel) avant de remonter les grandes vallées de l’hexagone, péninsule de l’Europe entre deux périodes glaciaires. C’est alors qu’arrive, dans le CHAPITRE II, Un homme nouveau : Néandertal. Vers 250 000, le plus grand chasseur de tous les temps, semble durablement installé sur les marges des grands glaciers. Ce chasseur qui est parfaitement intégré à son milieu, enterre ses morts et développe une expression artistique. Il est le plus important représentant de
La France moustérienne, étudiée dans le CHAPITRE III. Cette période est la principale manifestation culturelle du Paléolithique moyen en Eurasie (environ – 300 000 à – 30 000 BP).
Le plus grand chasseur de tous les temps
Les industries moustériennes ont également été produites par des humains anatomiquement modernes au Proche Orient, ceux qui vont concurrencer et peut-être éliminer Néandertal Le moustérien est marqué par la généralisation d’une méthode de débitage particulière, la méthode Levallois, expliquée dans un encadré page 74 mais aussi par les premières sépultures ainsi que les premiers indices de préoccupations esthétiques (utilisation d’ocre, collecte de fossiles, incisions géométriques sur des ossements.)
L’ouvrage traite également des Inégalités sociales, violences de la modernité du Paléolithique et l’on apprend que des traces de cannibalisme, alimentaire ou rituel, tout comme des sacrifices humains viennent remettre en cause le mythe du bon sauvage qui, ignorant la propriété et vivant sur un territoire riche en ressources, ne pouvait pas commettre d’agression contre son semblable Mais lorsque le semblable es différent, alors, tout est permis et dans le CHAPITRE IV, Néandertal et Cro-Magnon se retrouvent face à face.
Néandertal vs Cro-Magnon: l’affrontement impitoyable ?
Comment une population qui dominait l’Europe, qui a survécu à des successions de glaciations a-t-elle pu disparaître en moins de 10000 ans ?
Les différentes hypothèses sont évoquées par l’auteur qui vient nuancer les accusations de génocide que l’on a évoquer par ailleurs. Plusieurs hypothèses ont été avancées, listons-en quelques unes parmi les plus plausibles.
-les modifications climatiques entre 40000 et 30000 BP auraient été fatales aux Néandertaliens; mais ceux-ci avaient déjà résisté à plusieurs phases climatiques difficiles ;
– les hommes modernes auraient exterminé les hommes de Néandertal. Comme l’ont démontré plusieurs anthropologues, les chasseurs-cueilleurs ne sont pas que de gentils écolos en harmonie avec la nature et les conflits tribaux peuvent être la cause d’une forte mortalité. Le squelette de Saint-Césaire porte la trace d’une violente blessure à la tête, mais rien ne prouve que l’auteur du coup ait été un Cromagnon. Consultés à ce sujet, les Experts Las Vegas n’ont pas pu se prononcer.
– l’homme moderne, venu d’Afrique, aurait apporté des maladies épidémiques fatales aux Néandertaliens, décimant leurs groupes les uns après les autres ; malheureusement ces maladies ne laissent aucune trace sur les ossements ;
– les différences démographiques entre les deux groupes, les hommes modernes supplantant en nombre les Néandertaliens de plus en plus acculés dans le sud de l’Europe et perdant la compétition des territoires et du gibier ; pour certains, à cette différence démographique s’ajoute une différence socioculturelle (meilleure organisation du groupe) et technologique (meilleur équipement).
Ces hypothèses ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre. De plus, la fin de cette courte période est marquée par un important refroidissement climatique. Certes, l’homme de Néanderthal a déjà connu des baisses de température qui changent l’environnement, la faune, et qui rétrécissent les territoires habitables. Mais cette fois il n’est plus seul, et la compétition a pu être féroce. Les Néanderthaliens, isolés par petits groupes, conservant leurs habitudes de chasse aux grands herbivores, auraient lentement décliné face aux CroMagnon plus féconds, au spectre cynégétique plus large. Les recherches à venir pourront sans doute nous en dire plus sur cette énigme.
En attendant, vers 32000 BP le seul occupant de la France est Cro-Magnon.
Les chapitres V « Vivre au Paléolithique supérieur » et VI « L’art : une exception humaine », reviennent sur les conditions de vie et l’univers esthétique de ces hommes qui ont occupé le territoire qui n’était pas la France et qui y ont laissé les vestiges émouvants d’une existence difficile d’où les trésors d’humanité n’étaient pas absents. On a dû écrire des dizaines et de dizaines de fois que lire un livre était un beau voyage. Merci à Pierre Depaepe de nous offrir le rêve de tout historien et à fortiori de tout préhistorien, un beau voyage dans le temps… Entre -200 000 et – 10 000 BP, un décalage temporel tout en proximité…
Bruno Modica