Une préface prestigieuse de Jean Guilaine qui rend hommage à l’aventure téméraire de Romain Pigeaud : faire une synthèse équilibrée et documentée de la préhistoire en France ou plutôt de La France de la préhistoire

L’ouvrage abandonne l’approche chronologique pour aborder des thématiques.

Dans son introduction, Romain Pigeaud nous rappelle, non sans humour, que la préhistoire a souvent servi, dans la littérature ou au cinéma, de prétexte à des fresques dans lesquelles les extra-terrestres ne sont pas absents. Ces théories ne sont pas sans danger, car elles remettent en cause les données scientifiques et le travail des préhistoriens, notamment sur l’origine de l’homme.

La découverte de la complexité

Ce premier chapitre commence par un rapide historique de la naissance d’une discipline dont les prémices datent du XVIIIe siècle. On y côtoie Buffon, de Maillet, Cuvier ou Lamarck, une origine plus proche des sciences que de l’histoire.

L’auteur rend hommage à Paul Tournal, le premier à évoquer une homme « anté-historique », auteur des silex taillés. Deux questions se posent dès le XIXe siècle : la chronologie et la typologie des artefacts issus des fouilles.

Une querelle oppose les fouilleurs par exemple à propos des Aurignaciens.

La grande question : comment classer les différents groupes dans des strates chronologiques : Paléolithique, mésolithique, Néolithique, âge du bronze ? Cette question continue à alimenter les débats.

Point de départ et point d’arrivée

Les découvertes des paléoanthropologues contribuent à faire reculer l’apparition du premier hominidé connu (Toumaï) mais pose aussi la question des cultures des grands singes qui comme les hommes utilisent des outils.

L’auteur revient sur la datation des grandes phases de la préhistoire. Il rappelle que le terme de protohistoire a été retenu par Littré en 1817.

Ce qui marquerait l’entrée dans l’histoire est aujourd’hui reconnu comme le passage à une nouvelle économie fondée sur la domestication des plantes et des animaux.

Les frontières naturelles

À la suite des ensembles définiszone méditerranéenne, zone atlantique et Grand Est continental par Jean Guilaine, l’auteur retient les grands axes de déplacement des chasseurs-cueilleurs : « Riviéra ligure », axe Rhône-Saône, vallée du Danube…, un monde marqué par les évolutions liées aux glaciations et aux retraits glaciaires.

La porte climatique

Romain Pigeaud décrit les connaissances géophysiques sur les grandes glaciations et les variations du niveau des mers : grandes phases et brusques anomalies. La faune, la flore, l’environnement s’en trouvent bouleversés, influençant la vie des groupes humains comme en témoignent les peintures rupestres.

Quelles humanités ?

Quelques primates semblent avoir précédé les hommes sur l’espace qui est aujourd’hui la France.

L’homme fit une entrée discrète en Europe vers 1,8 M d’années en Géorgie, 1,4 M d’années en Espagne. Le premier « Français » est un jeune garçon dont quelques traces ont été trouvées à Tautavel sans doute un Néandertalien ancien. D’autres groupes arrivent ensuite, homo ergaster…

C’est l’occasion d’aborder les récentes découvertes de la génétiqueEncart à propos de l’homme de DénisovaUne présentation très détaillée rend compte des dernières recherches comme la question du langage, le moment et les causes de sa disparition ou plutôt de sa rencontre avec l’homme anatomiquement moderne.

La présentation de ce Sapiens n’est pas moins précise, notamment sa couleur de peau grâce aux données de l’ADN.

Un peuplement par vagues ?

On aborde les étapes du peuplement de la terre d’abord au Paléolithique, des migrations en suivant les animaux. Il ne faut pas imaginer des vagues, la vitesse est estimée, pour Sapiens, à 2 km/an.

La densité néandertalienne a été évaluée à 0,001 h/km², variable selon les sites et les périodes.

La population du territoire français est estimée à 5 000 h pour l’Aurignacien.
Le Néolithique s’accompagne d’une nette augmentation de la population mondiale pour atteindre 100 millions d’habitants grâce à une alimentation plus riche et plus régulière, malgré l’apparition d’épidémiesl
iées à la proximité avec le bétail.

L’occupation du territoire

Sans tomber dans le déterminisme environnemental, l’auteur décrit les différentes étapes de l’occupation de la France.

Une arrivée par le Sud, le premier témoignage est le site de la grotte du Vallonnet (Alpes-Maritimes) avant le premier millénaire. Dans un premier temps, les hommes suivent dans le reflux glaciaire, en suivant les vallées. Les sites d’habitat ou de taille du silex permettent de situer et de dater cette progression. Les Néandertaliens atteignent la moyenne montagne.

L’auteur décrit l’expansion des hommes anatomiquement modernes à partir du Châtelperronien (environ – 40 000).On parcourt les différentes périodes, Magdalénien… avant d’aborder le Mésolithique.

Enfin vers – 5800, de nouvelles populations arrivent sur la façade méditerranéenne, reconnaissable à leur céramique cardiale. À partir de – 2500, une nouvelle culture, venue de l’Est, apparaît avec la céramique cordée et une autre culture : le campaniforme, sans doute originaire de la péninsule ibérique.

La présentation de l’occupation du territoire se poursuit avec les Bronziers : Jura, Alpes, vers – 1800, – 1400.

Des ingénieurs et des techniciens

Faute d’écrits, les préhistoriens travaillent à partir des matériaux utilisés pour déterminer les différentes cultures qui ont émergés grâce à ingéniosité des hommes.

L’auteur passe en revue la pierre, le silex véritable étalon pour montrer l’évolution depuis les galets aménagés (choppers) jusqu’aux fines lames solutréennes en passant par les bifaces. L’étude évoque les usages, les techniques de taille à différentes époques, les types et les sources des matières premières utilisées.

Outre la pierre, les hommes préhistoriques ont utilisé des matières dures animales :os, bois de cervidés dont les Gravettiens furent des experts.

Les matières végétales, certes mal conservées, sont utilisées depuis l’époque de Néandertal : outils en bois retrouvés en Slovénie (pointes de flèches datées de -38 000) . Des pirogues retrouvées en Seine-et-Marne, en Essonne attestent de la consommation de poisson, comme les barrages des estrans bretons (Mésolithique et Néolithique). La plus ancienne roue a été retrouvée en Suisse, vers – 2800.

L’auteur évoque les moyens de navigation : pirogues monoxyles qui ont fait l’objet d’archéologie expérimentale (Charente 2003-2004).

Si l’argile est bien connue des Magdaléniens (sculptures de bisons du Tuc d’Audoubert en Ariège), c’est au Néolithique que son usage se développe grâce à des foyers de plus en plus efficaces. La céramique évolue de grossière vers des formes plus fines, plus décorées.

Enfin, le métal apparaît dans les Balkans au Ve millénaire pour les premières traces européennes. Le forgeron détient une technique sophistiquée qui lui confère, dès le Bronze moyen, une place à part dans la société. Les premiers foyers se situent sur les dépôts de cuivre avant que ne se développent de véritables mines comme à Cabrières dans l’Hérault et la mise au point des premiers alliagesSur ce sujet on pourra voir l’ouvrage Quatre mille ans d’histoire du cuivre, Michel Pernot (dir.), Presses universitaires de Bordeaux/Ausonius Éditions, 2017.

Les modes de vie

La maîtrise du feu fut déterminante pour la survie de l’homme. Le feu fut un objet d’un « savoir  patiemment construit » (p. 286).
Le plus ancien foyer européen connu se situe en Espagne (Cueva Negra, – 800 000), pour la France, c’est celui de la Caune de l’Arago (Tautavel). Les premiers foyers construits (cercles de pierres) sont plus récents, Ve millénaire : Terra Amata (Nice), Menez Dregan (Finistère).

Le combustible est longtemps resté le bois mort, faute d’outils pour abattre un arbre (il faut attendre les haches en pierre polie). Au Néolithique, le feu est utilisé pour défricher.

Nomades ou sédentaires ? Il semble que les chasseurs-cueilleurs aient été adeptes d’un « nomadisme planifié ». le nomadisme est d’abord utilisé pour la découverte de nouveaux espaces avant un semi-nomadisme suivant la saison, les besoins en matière première, silex notamment, les échanges. L’auteur donne quelques exemples de sites et de modes de vie : grotte du Lazaret à Terra Amata, Grotte du renne à Arcy-sur-Cure.

Avec le temps, les campements sont mieux organisés (Bout des vergnes – Bergerac). Au Mésolithique, des îles atlantiques sont visitées, puis occupées.

L’auteur aborde la néolithisation, rappelant la réflexion des préhistoriens à propos des causes environnementales, techniques et culturelles. Il décrit le maillage progressif du territoire, les grandes maisons, les choix imposés par l’environnement (Paladru), le besoin de protection avec les premières enceintes (Sandun en Loire-Atlantique, Camp du Lizo d ans le Morbihan, Bérange dans l’Hérault).
Cette sédentarité permet des regroupements pour des banquets peut-être rituels. Avec les métaux, l’habitat évolue. Peut-on parler d’habitat aristocratique ?

Autre questionnement : la nourriture. Que mangeaient les hommes préhistoriques ? Les produits de la chasse, ce qui suppose un savoir-faire, l’homme a sans doute consommé des carcasses d’animaux tués par des prédateurs. Les techniques de chasse et les armes sont décrites. Comment dater l’apparition de l’arc ou la domestication d’un aide, le chien ?

Pour le Néolithique, il est question du bétail, des plantes cultivées.
Enfin, l’auteur aborde les armes, la parure, le vêtement.

Où sont les morts ?

Les premières sépultures permettent d’questionner les rituels, l’expression de sentiments.

Longtemps, on n’a refusé d’identifier des restes néandertaliens comme des sépultures, d’autant que l’on les voyait comme cannibales. Pourtant, la première sépulture néandertalienne a été reconnue sur le site de la Ferrassie (Dordogne), datée de – 41 000 ans.

La plus ancienne sépulture de Cro-magnon (- 32 000) a été retrouvée dans la grotte de Cussac, elle aussi en Dordogne. Au Mésolithique, on trouve des traces de crémation comme dans l’Aisne, à Concevreux. Selon les lieux et les époques, on trouve des sépultures individuelles, familiales ou collectives. On ne saurait évoquer les morts sans parler des mégalithes et des tumulus.

À la recherche des inégalités

On a souvent pensé que le Paléolithique était égalitaire, quand le Néolithique aurait été ostentatoire, ce n’est pas si simple. À quel moment apparaissent des hiérarchies ? Sur quels critères les repérer ?

Le traitement funéraire offre quelques pistes de marqueurs sociaux : parures, armes, outils. Certains sites sont très riches dans ce domaine à l’epoque magdalénienne. Des exemples sont cités pour d’autres périodes.

Violences

Si on a longtemps vu la préhistoire comme un âge heureux, des traces certaines de violence sont repérables sur les ossements : agressivité, accidents de chasse, opposition entre groupes pour l’accès à un territoire. Difficile de dater la naissance de la guerreSur ce sujet voir l’ouvrage d’Anne Lehoërff, Par les armes, Le jour où l’homme inventa la guerre, publié chez Belin en 2018.

L’auteur évoque aussi les maladies, les intoxications et la paléo-médecine. Enfin il est question des relations entre les Néandertaliens et les Cro-magnons.

Chercher la femme

Voilà un nouveau champ de recherche, souvent conflictuel Comme a pu le montrer lors des Rendez-vous de l’Histoire de Blois en 2021 une Carte blanche aux éditions du CNRS et aux éditions Les Arènes : Femmes préhistoriques : aux origines du genre, débat entre Anne Augereau, Protohistorienne, archéologue au CNRS, autrice de Femmes néolithiques (CNRS Editions, 2021) et Thomas Cirotteau, réalisateur, Eric Pincas, rédacteur en chef d’Historia, auteurs avec Jennifer Kerner enseignante, chercheuse en préhistoire de Lady Sapiens (Les Arènes, 2021), comme à propos de la question de la participation des femmes aux peintures rupestres.

Néanmoins, ce chapitre permet de parler des représentations fémininesOn pourra se reporter à l’ouvrage de Jean Guilaine, parue en 2022, aux éditions Odile Jacob, Femmes d’hier – Images, mythes et réalités du féminin néolithique notamment les Vénus gravettiennes et leur interprétation.

Sur l’origine de patriarcat, l’auteur s’appuie sur les travaux de Marylène Patou-Mathis et Anne Augerot ou Claudine Cohen.

Des images et des mythes

Ce chapitre est consacré à l’art, la naissance de l’art : gravures, peintures, sculptures, utilisation de la couleur…

Les études récentesVoir le récent ouvrage aux éditions Tautem : La première civilisation de l’image par Georges Sauvet abordent l’interprétation de ces expressions volontaires, artistiques, réalistes ou imaginaires, symboliques ou magiques.

De nombreux exemples à différentes époques permettent de montrer des évolutions. Peu d’images, hélas, à rechercher dans d’autres ouvrages concernant tel ou tel site, à moins que ce ne soit une invitation à des visites (Lascaux, Chauvet, Cosquer et bien d’autres sites moins connus).

 

Comment conclure ?

Le sujet est vaste et abondamment traité : 665 pages, il peut paraître ardu, mais l’approche thématique permet de la picorer au fil de ses envies. Une table des matières très détaillée le permet.

L’humour de l’auteur est le bienvenu et la lecture est très agréable.

C’est un ouvrage indispensable pour tout enseignant désireux de mieux connaître cette période. Il pourra être compléter par une autre somme européenne celle-là: Préhistoires d’Europe – De Néandertal à Vercingétorix, Anne Lehoërff, Belin, coll. « Les Mondes anciens », 2016