Le rédacteur en chef rappelle que les relations sont paisibles dans la vie quotidienne privée et professionnelle, contrairement à ce que l’histoire puis les déclarations politiques pourraient laisser supposer. Les débats, voire les différents, touchent « les mémoires » et c’est sur ce thème que s’est tenu en février 2008 un colloque organisé par l’association EUROMED-IHEDN, dont les principales interventions sont reprises dans ce numéro.

Le président de cette association, le contre amiral Jean-François Coustillière lance le débat qu’il souhaite « franc et ouvert » et qui se tienne à distance tant de « la repentance » que « des bienfaits de la colonisation ».

Benjamin Stora rappelle que l’on est passé du silence (en France) sur cette guerre à la surabondance des mémoires et à leur « guerre », tant entre la France et l’Algérie qu’entre Français, tandis que les dites mémoires devenaient un outil diplomatique et politique. La guerre est fondatrice (et cultivée) en Algérie, et a été importante pour la France : amputation du territoire national, 5 millions de personnes concernées, chute de la IVè République …
Par ailleurs, il n’y a pas eu d’amnistie en Algérie, cette question n’ayant été abordée qu’en 1999 pour sortir de la guerre civile des années 1990. Benjamin Stora évoque les multiples points posant problème, ne voit pas de solution rapide et générale et renvoie la solution à des petits pas à effectuer entre historiens des deux pays.

Daniel Rivet estime qu’il y a deux préalables à lever : les illusions des Français sur la période coloniale et l’importance de la couche intermédiaire qui réunissait « Européens » et musulmans. Cette couche très réelle, mais minoritaire, excluait notamment les femmes et le mariage : on y était « frères, mais pas beaux-frères ». Parmi les erreurs historiques, la plus méconnue des acteurs est le rôle de la religion et son évolution hors du « maraboutisme » qui avait été observé et parfois manipulé au début de la colonisation. Bref la majorité des Algériens n’était pas ce que nous croyions qu’ils étaient. A l’inverse, il ne faut pas tomber dans le sentiment d’une « étrangéité totale » entre les deux peuples, et encore moins la projeter sur les immigrés et leurs descendants. Pour rétablir le contact entre les deux rives, il conseille de ne pas se borner aux francophones (beaucoup n’ont pas le niveau de langue nécessaire à l’échange des idées et les autres ne sont pas bien vus) mais de multiplier les médias en dialectal ou en arabe simplifié. De même, cesser d’évoquer la Méditerranée que seuls ceux de culture classique peuvent concevoir comme un trait d’union. Enfin dans les reproches faits à l’État et à l’économie algérienne, ne pas oublier notre héritage jacobin, interventionniste et le rôle néfaste après 1962 des conseillers français « gauchistes » (je résume par ce terme un rappel tout à fait pertinent).

Yahia H. Zoubir expose le point de vue algérien des relations entre les États, texte qui mériterait un exposé détaillé et contradictoire. Il part de « l’idée fausse » que chacun se fait de l’autre et de la suspicion réciproque, qui se conjuguent avec l’obligation de néanmoins continuer. Cet exposé est intéressant et indispensable, même si beaucoup d’arguments sont « retournables » c’est à dire que la même logique pourrait souvent jouer en sens inverse. On retrouve également le leitmotiv (voir également Jean Amrouche) de la misère musulmane comparée à « l’opulence » des Pieds Noirs, exposé d’une manière qui laisse entendre que l’une est la conséquence de l’autre, ce qui est économiquement faux, mais psychologiquement compréhensible et en tout cas dévastateur. Mais il s’agit ici d’écouter, non de polémiquer, d’autant que le dialogue, au moins entre États, est asymétrique, avec des « vérités » officielles d’un côté et des discussions pluralistes de l’autre.

Louisa Driss-Aït Hamadouche expose les conséquences des politiques étrangères sur les relations bilatérales. Encore une source de complications ! Les questions de l’immigration, du Sahara occidental (pour laquelle la France soutient le Maroc) et des rapports avec Israël empoisonnent le politique. Cela est encore compliqué par le fait que les deux pays s’estiment « grands » alors qu’ils ne le sont plus. Néanmoins les relations économiques, culturelles (on note au passage que 70% des Algériens étaient favorables en 2002 à l’enseignement du français dès la première année du primaire) et la coopération anti-terroriste sont relativement à l’abri de ces vicissitudes.

Nicole Grimaud donne son interprétation des relations France-Algérie, toujours au niveau des États. Elle insiste sur la difficulté pour la France de faire face aux 3 pays maghrébins rivaux et qui veulent chacun être privilégiés, Tunisie et Maroc lui en voulant d’avoir laissé le Sahara à l’Algérie. Elle donne les raisons du traitement privilégié de l’Algérie par de Gaulle. Pompidou à l’inverse réévaluera les relations avec le Maroc et la Tunisie. La tentative de Giscard de renouer avec l’Algérie se passe mal, et la France va y renoncer en aidant le Maroc et la Mauritanie au Sahara Occidental et la Tunisie lors de la tentative algéro-lybienne de déstabilisation. Pour rééquilibrer et pour des raisons idéologiques (socialisme et tiersmondisme), Mitterrand reviendra vers l’Algérie avec le prix « politique » du gaz, mais l’euphorie retombera en 1983 faute de se détacher du Maroc. Chirac va vigoureusement soutenir le gouvernement algérien pendant la guerre civile, mais là aussi l’euphorie retombera avec la loi sur « les aspects positifs de la colonisation » et le maintien des bonnes relations avec le Maroc. De même, bon démarrage de la présidence Sarkozy (l’article date de début 2008) qui prolonge la coopération appréciée qu’il avait initiée comme ministre de l’intérieur. Mais le Maroc est toujours là et ce serait « un devoir d’amitié » de la France de le réconcilier avec l’Algérie.

Comme il est d’usage, la revue se termine par des articles sur des sujets différents.

Frédéric Lasserre traite du dessalement de l’eau de mer dans la péninsule arabique. Ces pays désertiques (sauf une fraction du Yémen et de l’Oman) bénéficient d’un gigantesque aquifère fossile générant une activité agricole subventionnée et non durable. Le dessalement, qui a commencé dès 1950 alimente, lui, les villes, qui sont en général loin des aquifères, et cela à 100 % aux Émirats et à 42% en Arabie, avec un aqueduc de la Mer Rouge à Riyad. Mais cette eau est subventionnée et non recyclée, sauf au Koweit et Qatar (et le bas prix de l’énergie n’est qu’apparent puis que c’est autant de moins exporté au prix du marché). Les consommations individuelles sont énormes du fait des prix de vente très bas. Bref la situation n’est pas durable.

Myriam Benraad nous expose les heurs et malheurs d’Al Qaida en Irak. Dans un premier temps « l’organisation » (un de ses surnoms) réussit des attentats spectaculaires, rallie une partie des Sunnites et perd ainsi son caractère étranger. D’où la proclamation en 2006 de « L’Émirat islamique » (en gros la zone sunnite) qui s’appuie notamment sur la réaction au sentiment de la mainmise des Chiites (majoritaires) sur l’ensemble du pays et aux meurtres de Sunnites par l’armée du Mahdi. Mais dès 2005 la cruauté d’Al Qaida et ses ambitions politiques suscitent des réserves. En janvier 2007 a lieu la nouvelle offensive américaine doublée du « retournement » de tribus sunnites. Malgré les assassinats systématiques de responsables de ces tribus, « l’organisation » est refoulée dans quelques poches au nord du pays. L’auteur reste néanmoins prudent (nous sommes début 2008), mais en ce début 2009 ce déclin est confirmé parallèlement à une certaine réintégration des Sunnites au niveau national.

Bruno Calliés de Salies nous décrit de façon détaillée et difficilement résumable les négociations puis l’adoption de la loi sur les partis politiques au Maroc et enfin les résultats émiettés des législatives de 2007. Ces dernières ont été « correctes », mais peu suivies (63 % d’abstention et 19 % de blancs ou nuls), les électeurs sachant que le pouvoir n’est pas au parlement, mais au Palais.

Mohammed-Reza Djalili et Clément Therme nous décrivent les rapports entre l’Iran et l’Amérique latine. Dès 1980, la république islamique s’allie à Cuba par anti-américanisme, mais ne peut prendre pied ailleurs jusqu’en 2007, où elle se rapproche du Vénezuela et de ses « amis » bolivien et nicaraguayen pour la même raison, à laquelle s’ajoute le prétexte du cousinage pétrolier et idéologique (« alliance de la religion, du socialisme et des idées de gauche »). Mais ce rapprochement purement politique est mal vu d’une partie des opinions conscientes que c’est avec le Nord techniquement plus qualifié que les contacts seraient utiles. Il est bien sur également mal vu par Washington.

Suivent encore des comptes rendus détaillés d’ouvrages,
– sur le Hebzbolah qui a monté une « société alternative islamique moderne »,
– sur « les espaces partagés » au Liban,
– sur des récits apocalyptiques musulmans où Jésus joue un rôle important et dont les « théories du complot » ont un grand succès populaire avec des auteurs de nationalités « musulmanes » très variées, auxquels il faut ajouter Thierry Messian, succès qui crédibilise le discours d’Al Qaida et compense psychologiquement les défaites musulmanes,
– sur les élites concurrentes au pouvoir en Algérie et l’immobilisme durable qui en résulte.

Finalement, la partie « franco-algérienne » de la revue n’incite pas à l’optimisme. Heureusement, il ne s’agit surtout « que » des relations d’État à État et toutes ces complications et blocages sont beaucoup moins présents au niveau de « personne à personne » voire « d’entreprise à entreprise ». Il n’y a pas de révélations fracassantes, mais la lecture détaillée est très utile pour éviter d’ajouter de nouveaux malentendus à ceux qui compliquent déjà les relations.
Notons aussi que les données datent de fin 2007 – début 2008 dans une ambiance de recettes pétrolières fortes et croissantes, d’une Chine riche et concurrençant l’Europe et d’un Maroc pris à la gorge par la hausse du pétrole. Tout cela a beaucoup évolué et tous les interlocuteurs se sont considérablement affaiblis, le Maroc peut-être moins que les autres. La France et la Chine sont en récession et l’Algérie vit sur son matelas de devises, qui est important mais pas infini. Reste à savoir ce que tireront de ce bouleversement du décor les deux présidents qui devraient rester face à face encore quelques années du fait de la probable réélection d’Abdelaziz Bouteflika.

Yves Montenay

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