Pour doter d’un manuel les étudiants préparant les concours de l’enseignement 2009, les éditions SEDES associées au CNED ont demandé à Jean-Paul Charvet, spécialiste reconnu de la géographie de l’agriculture, de diriger et de rassembler autour de lui une équipe de géographes, permettant par leurs contributions de faire le tour des principales problématiques de la question. C’est ainsi que J.P Charvet a fait appel à son inséparable complice Jean-Louis Chaléard pour traiter des questions du Sud alors que lui-même traite dans ce volume des questions à l’échelle mondiale et des pays du Nord. Le traitement régional de la question a été confié à des spécialistes de ces espaces : Hervé Théry pour le MERCOSUR, Frédéric Landy pour l’Inde et la Chine, Marie-Claude Maurel pour l’Europe centrale et orientale, Gilles Fumey pour tout ce qui concerne « la bonne bouffe » et François Carré pour rendre compte de la situation alimentaire concernant les produits aquatiques.
La question de la nourriture des Hommes prend une connotation toute particulière après la flambée en 2006, puis l’effondrement en 2008, du cours des matières premières alimentaires. « Aujourd’hui, 850 millions de personnes, soit 13% de la population mondiale, survivent en situation de sous-nutrition chronique, les trois quarts d’entre elles étant d’ailleurs des paysans ». A côté du problème de la sous-nutrition, la question comporte un autre volet : celui des un milliard d’individus en situation de surpoids. Jean-Paul Charvet distingue trois types de nourritures : la food security qui répond aux besoins quantitatifs des populations, la food safety qui prend en compte les besoins qualitatifs et celle qui répond aux besoins hédoniques.
L’approche de la question se fait par la demande. J.P. Charvet analyse les évolutions récentes de la consommation alimentaire avant d’étudier les productions. Il montre bien le poids relatif de la mondialisation alimentaire à l’échelle globale. Par ailleurs, il met l’accent sur le fait que la question est géopolitique. Les Etats jouent un rôle décisif dans le contrôle des importations et des exportations, notamment au niveau des normes sanitaires (OGM ou pas). Il s’agit bien étudier dans cette question au programme le système alimentaire mondial c’est-à-dire « la façon dont les hommes s’organisent pour consommer et produire leur nourriture » (cf. Rastoin et Ghersi, 2000) et ne pas se limiter aux termes agricoles de la question.
Les dimensions spatiales ou territoriales sont essentielles. Il est nécessaire aussi de réfléchir à la durabilité de l’agrobusiness :
– Quelles sont les conséquences pour notre santé de la consommation croissantes de produits prêts à consommer faisant entrer dans leur composition une quantité importante de sel, de matières grasses ou de sucre ?
– Quelle place donner aux food miles dans le prix des nombreux produits présents dans nos supermarchés, y compris des produits « bio » ?
Les auteurs s’interrogent ainsi sur les contradictions d’un système où le petit agriculteur du Sahel est en concurrence avec le céréalier ouest européen ou nord – américain, sur le marché mondial alors que leurs rendements sont sans rapport. Ils montrent les contradictions de la consommation de produits bio. Face à la demande croissante en produits bio ou équitable (produits vendus en supermarché essentiellement), les pays riches importent. Ceci implique des consommations élevées de « food miles » qui exigent la consommation d’énergie fossile et produisent du CO2. Les habitants des villes, soucieux de manger sain, ne sont pas à une contradiction près ! On est loin du petit producteur qui vient vendre sa production sur le marché local !
L’échelle mondiale n’est pas la seule privilégiée dans ce volume. Les auteurs analysent la situation par ensembles régionaux. L’approche est toutefois relativement rapide. Ainsi, on retiendra quelques éléments d’analyse. Une place à part est faite à l’agriculture d’Europe centrale et orientale. La décollectivisation a souvent été une recollectivisation sous forme d’agro-holdings, même si se maintient une agriculture paysanne basée sur de toutes petites exploitations. Toutefois, une trop grande place est accordée, dans cette partie, au statut de la propriété foncière aux dépens des productions et des modes d’organisation du modèle agroalimentaire. Le passage en revue de chaque pays rend fastidieux la lecture même si l’auteur présente une typologie.
Les autres analyses régionales sont plus passionnantes. Jean-Louis Chaléard montre bien que l’enjeu principal dans les pays du Sud est d’accroître la production plus vite que la population. Révolution verte, front pionnier alliés à l’encouragement de cultures d’exportation n’ont pas réglé ce problème. L’auteur du concept de « vivrier marchand » explique bien qu’il ne faut pas opposer cultures vivrières et cultures d’exportation. Les 2 peuvent cohabiter.
Frédéric Landy propose une réflexion passionnante sur le thème Nourrir 2,5 milliards de personnes : les défis de l’Inde et de la Chine. Il montre que le modèle de la transition alimentaire n’est pas adapté à un pays comme l’Inde où il n’y a pas de baisse de la consommation de céréales au profit d’une consommation croissante de viandes, de fruits et de légumes. Si son texte est surtout centré sur l’Inde, son terrain de recherche, le cas de la Chine est bien analysé et l’auteur montre que les deux pays ne suivent pas du tout la même trajectoire alimentaire. « On est loin, quoi qu’il en soit, de la vision colportée par les médias occidentaux de deux pays alimentant par leur demande l’inflation mondiale des prix alimentaires ».
Hervé Théry s’interroge sur les capacités de l’Amérique Latine à répondre à la demande croissante de nourriture. Il voit dans les réserves de terres des pays du MERCOSUR des capacités importantes. Son travail demeure toutefois limité puisqu’il traite essentiellement du Brésil, son terrain de recherche et parle peu des autres espaces constitutifs du MERCOSUR. La fin de l’ouvrage manque d’unité entre le court chapitre rédigé par Gilles Fumey sur l’alimentation de qualité et un autre de François Carré sur la place des produits aquatiques. Ce dernier montre les limites des disponibilités offertes par la ressource en « poisson » : 1 à 2% de l’ensemble des besoins alimentaires mondiaux. A partir de l’exemple de quelques produits, il fait la démonstration que cette nourriture est, par excellence, un produit de la mondialisation. Le formidable article des deux géographes belges posté les Cafés Géo en décembre « Cinq tours du monde pour un repas de Noël » avait bien montré à quel point ce qui se trouve dans nos assiettes bien garnies des pays du Nord vient de loin.
Au-delà des quelques remarques énoncées ci-dessus, le texte est d’un accès facile. Il croise géographie, économie et culture. De nombreux documents ponctuent le texte : statistiques, graphiques, cartes. Les étudiants auront grand profit à les croiser avec ceux présents dans la Documentation Photographique. On serait en droit, toutefois, d’attendre, pour un manuel de préparation aux concours, un apport plus important d’épistémologie.
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