Un compte-rendu d’actes de colloque est souvent difficile à proposer de façon simple et synthétique. La variété et la richesse des différentes communications présentées au XVIIe Rencontres de Béziers qui se sont tenues les 12 et 13 octobre 2007 conduit donc à une présentation des différentes communications, même si l’ensemble est très cohérent et conduit à une vision assez complète par des différents aspects abordés.


Après une présentation de Jean Sagnes dont l’intérêt pour le monde viticole et le mouvement de 1907 n’a jamais cessé tout au long de sa carrière et qui récapitule brièvement les éléments constitutifs de la crise, l’organisation des textes des contributions se fait autour de deux axes fédérateurs : « la France face à la crise de 1907 » d’abord, « la capitale du vin et la révolte vigneronne , Béziers en 1907 » ensuite.

La France face à la crise de 1907

André Burgos replace tout d’abord, de façon imagée, les évènements de 1907 dans leur contexte national et international , incluant éléments météorologiques, évènements politiques, troubles sociaux, curiosités mécaniques qui commencent à se multiplier des premiers vols au rallye automobile Paris-Pékin, audaces artistiques avant de se rapprocher du midi viticole et de ses problèmes.
Après cette mise en perspective, Philippe Secondy s’intéresse au domaine politique, à travers « les Droites et 1907, lectures nationales et stratégies locales » . Après avoir décrit les composantes de ces droites, nationales et locales, il analyse la façon dont le soulèvement viticole a été perçu, dont il manifestait pour cette tendance de l’opinion l’échec du gouvernement et au delà des Radicaux, Pour ceux qui observent un mouvement qui enfle et dont ils espèrent beaucoup, 1907 est ainsi interprété comme « le signe majeur de la faillite du système républicain »
L’auteur a au passage souligné que « jusqu’en 1910 les conflits de classe sont partiellement oubliés car une union sacrée existe entre ouvriers agricoles et grands propriétaires » ce qui est «également une particularité de ce mouvement. La deuxième contribution de Philippe Secondy est consacrée à un autre aspect de la crise viticole et de ses conséquences, la position de l’Église catholique , peu de temps après la séparation de l’Église et de l’État et aux épisodes d’affrontements parfois rudes au moment des inventaires. L’auteur utilise comme source la presse catholique nationale ( le Pèlerin et La Croix) et locale (la Semaine Religieuse)de Montpellier pour la dimension diocésaine.

Le premier constat est que de nombreux articles sont favorables aux vignerons, exprimant par leur « insurrection pacifique » de se voir condamner à la misère. La responsabilité des évènements postérieurs notamment au moment des affrontements étant évidemment rejetée sur Clémenceau, le radical détesté. Philippe Secondy s’intéresse ensuite à l’engagement de personnalités du monde religieux , à commencer par Mgr Cabrières faisant ouvrir les portes de la cathédrale de Montpellier aux manifestants pour les abriter et demandant aux prêtres de son diocèse de faire la même chose avec leurs églises. En plus de cet exemple célèbre l’auteur évoque des personnages secondaires dont l’influence, sur place ou de façon plus lointaine a dû avoir un effet cumulatif. Au delà de la simple compassion pour le sort des « petits » se joue aussi une place nouvelle de l’Église face aux radicaux anticléricaux sur qui il est aisé de faire porter la responsabilité de la situation. Le mal est ainsi « le résultat d’un régime » alors que dans le camp d’en face bien évidemment, l’Eglise est présentée comme « la grande excitatrice »

Pour présenter ce qui se passe dans le camp d’en face, Fabien Nicolas s’intéresse aux « embarras des radicaux-socialistes en 1907 » ; son analyse, fortement étayée par de nombreuses références aux travaux les plus récents porte notamment sur « les différentes lectures radicales-socialistes » des évènements car «le radicalisme ou plutôt ses élus paraissent confrontés au double problème du territoire d’élection, au sens de défense des intérêts locaux et de la lecture partisane au sens de la nationalisation des enjeux socio-politiques ». L’approche par quelques extraits des débats parlementaires montre bien combien les lectures des évènements peuvent différer jusqu’à leur récupération dans un débat politique assez confus mais dans lequel régionalisme et centralité nationale tiennent leur place. Si le parti radical–socialiste n’éclate pas malgré l’expression de ces tendances centrifuges, c’est probablement en raison de sa plasticité, qui à contrario « témoigne de l’absence d’une structure organisée du radicalisme, principal parti de gouvernement, local et national de la IIIe République ».

Mais le parti radical n’est pas le seul à être confronté à ses contradictions comme le démontre Jean Sagnes à propos des « contradictions du parti socialiste SFIO » . L’interprétation des difficultés de la viticulture méridionale que font ses dirigeants oscille ainsi entre l’explication par la fraude et l’explication par la surproduction, qu’ils voient comme caractéristique de l’évolution de l’économie capitaliste, de l’économie de marché. Les mouvements de 1907 sont souvent regardés avec méfiance à leur début par les socialistes en raison de leur caractère interclassiste mais les fédérations de l’Aude et des Pyrénées Orientales rejoignent le mouvement alors que celles de l’Hérault et du Gard restent en retrait. Emportés dans un mouvement sur lequel ils n’ont pas de prise, les socialistes se retrouvent naturellement aux côtés des vignerons après les fusillades de Narbonne. L’utilisation de l’armée contre les vignerons, comme contre les ouvriers des diverses régions de France les replace dans une situation qu’ils connaissent bien. Jean Sagnes prend soin de montrer quelles ont été les hésitations de Jaurès lui-même et les prises de positions contradictoires des fédérations. La complexité de la carte politique fut telle que plusieurs socialistes furent élus aux législatives de 1910 grâce au soutien électoral de la droite royaliste par « détestation des radicaux francs-maçons ».

C’est ensuite l’analyse de la vision que la presse a eu des évènements qui est conduite par André Burgos. Cette contribution, très détaillée et qui examine l’ensemble de la presse nationale en soulignant « qu’aujourd’hui encore, certains pensent que cette image brouillée des vignerons et de leur vin est due à la manière dont les évènements ont été décrits dans les journaux ». Tous les journaux ne se sont pas intéressés de la même façon à la protestation viticole dont les rédactions n’ont perçu que tardivement l’importance et le caractère massif. Les titres évoluent en fonction d’une perception qui va du signalement d’un fait divers à l’inquiétude devant les incidents, l’ampleur des manifestations et la menace de la grève de l’impôt.
Ce n’est qu’au mois de mai que « la presse analyse la crise », titre d’un des paragraphes mais l’ampleur des manifestations de Béziers, de Nîmes et de Montpellier fait revenir à la relation des évènements, à l’inquiétude qu’ils suscitent, aux débats parlementaires et à la ferme position de Clémenceau préfigurant l’épreuve de force.
Les incidents qui se produisent à Montpellier ou Perpignan et surtout la fusillade de Narbonne sont présentés sous de très gros titres. La mutinerie du 17e de ligne est abondamment commentée, la presse conservatrice reprochant aux radicaux d’avoir désorganisé l’armée. L’effritement du mouvement (« de la tragédie au vandeville ») est diversement commenté selon les tendances des journaux et André Burgos souligne que cette crise pouvant faire apparaître des faiblesses de la France au moment où il était important au contraire d’exprimer à l’extérieur force et unité a d’autant plus mobilisé les rédactions.

Jean-Marc Berlière s’intéresse ensuite à «Une République d’assassins ?» Clémenceau est la question du maintien de l’ordre » en rappelant d’abord les éléments fondamentaux du contexte (les tués des grèves de Nantes et de Raon-l’Etape) et la position particulière de Clémenceau, exemplaire pendant l’affaire Dreyfus, et qui fut un des représentants pendant longtemps du « désordre républicain » désormais dans le rôle de celui qui applique rigoureusement l’ordre. C’est aussi l’occasion de faire un examen de l’état législatif et règlementaire relatif aux manifestations , tout comme de décrire des techniques d’encadrement inadaptées, notamment lorsque les préfets faisaient appel à l’armée de ligne au risque de désorganiser la structure des corps d’armée, d’exposer recrues et officiers aux affrontements verbaux, aux jets de pierre au risque de réactions disproportionnées comme à Fourmies en 1891.
Deux autres inconvénients sont encore cités : l’utilisation d’une armée « symbole de l’unité nationale et de la revanche » contre une partie de la Nation, et le fait que les recrues aient un recrutement régional. L’utilisation de la gendarmerie, en prélevant des hommes sur les brigades pose d’autres problèmes, de désorganisation des tâches de surveillance notamment. Cependant avant de se poser la question du « syndrome Clémenceau », Jean-Marc Berlière fait ressortir que c’est sous son ministère que les forces de l’ordre ont agi avec « une violence meurtrière jamais égalée sous la Troisième République » tout en notant que c’est probablement l’homme politique de la IIIe République qui a eu la politique la plus originale en matière policière dans le but de garantir la sécurité des citoyens.

La contribution suivante est l’occasion pour Philippe Martel de démonter les causes du « rendez-vous manqué » entre le mouvement viticole et le Félibrige, rencontre impossible autant parce que pour Mistral et ses proches, rien n’est pire que la politique et se mêler de politique qu’en raison des deux contradictions que Philippe Martel souligne en conclusion :
– celle de l’espace de référence du Félibrige, théoriquement étendu dans l’abstrait à « une Occitanie de trente départements, entre Atlantique et Alpes, du Limousin aux Pyrénées » mais qui ne correspond pas à l’espace concret du mouvement viticole pour lequel l’Occitanie correspond, peu ou prou, au bas Languedoc en révolte ;
– la deuxième contradiction qu’il indique « plus profonde » est entre «que veut dire défendre le pays ? défendre son identité, c’est-à-dire sa langue, sa culture, son histoire? Ou défendre les intérêts concrets des groupes sociaux qui vivent et travaillent au pays comme le dira bien plus tard un slogan qui a eu son moment de succès ? »
La langue occitane était « bien présente dans les manifestations de 1907. Seulement elle n’était pas là pour parler d’elle-même mais pour dire les problèmes concrets »

Dans un autre registre, Hubert Heyries examine ensuite le lien entre « le Chant du 17e, du mythe des mutins au mythe des Garibaldiens de 1914,» non seulement parce que l’auteur, Montéhus, réutilise la même structure de texte, mais surtout parce que les mutins du 17e , en apparaissant comme respectant la morale, la justice, et la République préfigurent finalement les Garibaldiens de 14 qui s’engagent pour défendre les mêmes valeurs. Le discours patriotique ne gomme pas les références à la République universelle par laquelle se termine le dernier refrain.

C’est, en clôturant la première partie, à un autre rapprochement qu’invitent ensuite Michel–Louis Rouquette et Sylvan Delouvée : sous le titre « Mémoire de mines, mémoires de vignes » , ils comparent la façon dont le souvenir des évènements de 1907 perdure ou pas. A l’aide d’un échantillon constitué par 121 étudiants de l’IUT de Béziers à qui après lecture de textes relatifs à Courrières et à la crise viticole un questionnaire était proposé, d’abord pour mesurer leur connaissance antérieure de l’événement (aussi ignoré dans l’un et l’autre cas : plus de 80%), ensuite pour demander par lequel ils se sentaient concernés (davantage pour Courrières !) ils ont recueilli le classement des explications possibles des événements, tournant davantage autour du sentiment d’injustice et à la manifestation de la solidarité pour Courrières, à la crise économique pour la crise viticole. Les autres questions ont permis de montrer « l’absence à peu près complète de mémoire sociale » Les auteurs en concluent que « les événements de 1907 ne contribuent en rien dans notre population à la définition d’un sentiment identitaire de groupe ».

 

La capitale du vin et la révolte vigneronne : Béziers et sa région en 1907

Cette deuxième partie est l’occasion de se pencher davantage sur Béziers, sa vie économique, politique est culturelle et de replacer Béziers et le Biterrois dans la révolte vigneronne.

Sur le plan économique c’est tout d’abord Jean-Louis Escudier qui grâce à une documentation précise (thèses de Droit et articles de revues économiques et sociales du début du XXe siècle, rapports et documents divers) expose toute la complexité du « travail agricole féminin de 1900 à 1914 » en montrant notamment à quel point le travail féminin est , dans les vignes comme ailleurs, à la fois indispensable à l’économie et peu reconnu et encore moins valorisé. Les rapports parlent ainsi le plus souvent de « ménagères » ; la crise de 1907 est un moment revendicatif important pour les femmes, suscitant bien souvent l’inquiétude masculine et plus encore l’inquiétude bourgeoise en raison de leur nombre et par référence aux tricoteuses.

Sous le titre « Béziers en 1907. Une industrie au service de la viticulture » , Yvette Maurin montre ensuite à quel point l’ensemble de l’activité de la ville est tournée vers toutes les activités viticoles et à quel point toute une activité de fourniture artisanale plus que véritablement industrielle s’est développée : tonnellerie, machines agricoles, engrais, produits de traitement de la vigne dont évidemment la bouillie bordelaise. La distillerie est également bien représentée. Enfin les négociants en vins, les commissionnaires et leurs entrepôts complètent l’activité d’une ville tournée toute entière vers la vigne et le vin : la protestation des viticulteurs ne pouvait manquer d’y provoquer un écho qui va largement au-delà de la sympathie pour le mouvement car c’est la vie même de la ville qui est alors en jeu.

Enfin, toujours sur le plan économique, sous le titre « les caisses d’épargnes, baromètres des la crise viticole de 1907 » , Marc Cholvy analyse les fluctuations subies par dépôts et retraits autour de de 1907 en mettant en évidence la correspondance sur le plan géographique entre villes directement concernées par la crise et importance des retraits ainsi que sur le plan temporel qui se marque logiquement par les importants retraits de juin 1907 (« la crise viticole a fortement entravé les capacités d’épargne des populations du Midi Méditerranéen, surtout du Bitterois » et par les plus faibles moyennes entre 1905 et 1907. Ce n’est qu’en 1908 que la situation s’améliore.

La contribution suivante est consacrée à «Béziers citadelle du radicalisme. Les surprises d’une vie politique à la « Belle Époque.» Fabien Nicolas commence par montrer comment dans une ville dans laquelle les « issus de la réaction » sont pratiquement absents comme candidats « la vie politique c’est avant tout la compétition interne que se livrent les diverses fractions radical-socialistes et socialistes qui se présentent aux élections ». Le troisième élément de cette vie politique biterroise est logiquement l’omniprésence de la question viticole. Après cette analyse de la vie politique.

Jules Maurin s’intéresse à « l’armée dans la ville », à ses caractéristiques en ce début de XXe siècle, recrutement plus local, service plus égalitaire depuis la suppression du tirage au sort et amélioration des conditions de vie dans les casernes. Il montre également non seulement les retombées économiques de la présence de la troupe dans une commune mais aussi la fierté d’une ville pour « ses soldats » ce qui est particulièrement vrai pour Béziers et le 17e régiment d’infanterie à recrutement en grande partie biterrois ; « la ville s’identifie à son régiment d’infanterie » ce qui ne peut que rendre délicat le maintien de l’ordre par une telle troupe. La volonté d’éloigner les régiments locaux débouche sur « la détermination de la population qui s’oppose au départ de « son régiment » et du côté des soldats sur les craintes de laisser à d’autres venus de l’extérieur le maintien de l’ordre ce qui conduit à la mutinerie du 17e.

Les contributions suivantes abordent des questions variées qui permettent de mieux comprendre ce qu’était Béziers au début du XXe siècle: c’est ainsi que grâce à des souvenirs familiaux Henri Vidal évoque un milieu catholique traversant la séparation de l’Église et de l’État tout comme la crise viticole et que Michel Fournier s’intéresse à « Béziers, le Bayreuth français » , ville dans laquelle l’art lyrique prenait des allures plus populaires grâce à l’action de Fernand Castebon de Beauxhostes, généreux mécène et l’utilisation chaque été des arènes construites pour les activités taurines qui pouvaient accueillir 15000 spectateurs.

La collaboration de Camille Saint-Saens, premier compositeur d’opéra à être joué avec la création de Déjanire et qui joua longtemps le rôle de conseiller est également à souligner. Grand spectacle de plein air, grand spectacle populaire dont les représentations ne s’interrompirent qu’en 1907 et pendant la Grande Guerre. Il n’y avait pas que dans le domaine musical que l’activité artistique était importante à Béziers « véritable vivier d’artistes » comme le souligne Nicole Riche, architecture, arts plastiques, peinture et arts décoratifs sont également bien représentés.

Enfin pour terminer le volume c’est d’abord Claude Alberghe qui, revenant sur les mutins du 17e présente une dizaine de lettres racontant la vie à Gafsa (Maroc) où le régiment a été envoyé et Jean Sagnes qui en quelque sorte ferme la boucle par rapport à la toute première contribution d’André Burgos (qui était consacrée à la mise en perspective dans l’époque et la Nation des mouvements de 1907) en analysant la façon dont les Bitterois ont participé au mouvement de 1907, par leur présence aux meetings qui s’organisent dans tout le Languedoc, par leur pression sur le conseil municipal suspecté de tiédeur (et qui démissionne le 19 mai, remplacé par une délégation spéciale) , par leur présence devant la caserne pour tenter de retenir les soldats du 17e, qui avaient été jugés peu sûrs et déplacés (à Agde dans un premier temps), par leur soutien aux mutinés après leur retour à Béziers, enfin par les efforts déployés pour plaider leur cause et leur éviter les plus lourds châtiments. Aux élections municipales d’octobre 1907 « il est clair que les radicaux-socialistes de gouvernement se sont abstenus » et le nombre de votants ne représente qu’un peu plus du tiers du corps électoral.

C’est par cette analyse politique que se clôture cette publication de ces très riches actes, référence désormais indispensable parmi toutes les publications commémorant le centenaire du mouvement des viticulteurs de 1907 même si plusieurs des thèmes abordés figuraient déjà dans d’autres ouvrages.

Alain Ruggiero © Clionautes