Avant l’effondrement de l’URSS, même des auteurs de thrillers et de technos thrillers comme Tom Clamcy ou Michaël di Mercurio, avaient développé des scénarii certes imaginaires mais très réalistes, sur les menaces que ces marines, la soviétique d’abord, et la chinoise désormais faisaient et font planer sur le monde libre. Ajoutons-y désormais un zeste de terrorisme islamiste et on aura la recette éprouvée mais souvent gagnante d’un bon polar avec même quelques adaptations cinématographiques derrière.
L’ouvrage de Dominic Roy vient à point nommé proposer une bonne synthèse, très accessible y compris aux néophytes, sur les questions de géostratégie maritime. Cela permet de revenir sur les démarches de la Chine qui entend clairement se doter des instruments de la puissance maritime pour faire valoir ses ambitions régionales et pour se poser en puissance mondiale. Pour cela, une marine de haute mer est absolument indispensable, à la fois pour montrer le pavillon, et cela fait partie de la diplomatie, mais aussi et surtout pour sécuriser les voies de communication maritimes et donc les approvisionnements énergétiques de la Chine.
On lira avec profit les deux premiers chapitres de l’ouvrage qui apporteront au néophyte de très nombreux éclaircissements accessibles sur les fondamentaux théoriques de la stratégie navale, un exercice intellectuel et pratique qui a toujours cours dans les écoles de guerre et notamment dans les écoles navales comme Annapolis.
La maîtrise des mers est un des fondamentaux de la puissance, mais l’obtention de celle-ci suppose de lourds investissements financiers, humains et politiques. Par ailleurs, le développement d’une forme navale, plus que toute autre arme, s’inscrit dans la durée. Construction des unités, formation des personnels, maintient du caractère opérationnel des bâtiments, supposent des arbitrages du politique constants. Plus que toute autre arme, le développement d’une marine suppose la constance.
Dans ce cas, la Chine est confrontée à plusieurs exigences qui peuvent apparaître contradictoires. Il est clair que l’effort d’armement de la Chine est constant depuis le lancement du programme des quatre modernisations en 1978. La transformation de l’armée chinoise en général, sa professionnalisation, la modernisation de ses systèmes d’armes, le recours massif aux nouvelles technologies, ne se sont pas interrompus. La marine, de surface, l’aéronavale, la force sous marine ont également bénéficié de cet effort et il n’est pas inintéressant de savoir que c’est un sous-marinier qui est le patron de cette marine en cours de rénovation.
Le second chapitre sera très utile pour traiter des questions liées au développement de l’Asie Orientale. Les rivalités dans le pacifique ne se limitent pas à des affrontements de pavillons, même si cela est une réalité. La question est, pour une mondialisation qui se réalise par la mer pour 90 % des échanges, et on sait la place des pays ateliers dans celle-ci, de sécuriser les voies de communication maritime dans des zones où règnent la concurrence effrénée, la piraterie et où se construisent 75 % des navires de commerce. Il est clair que le scénario de développement des marines militaires rappelle celui de la Grande Bretagne au XIXe siècle. L’Asie orientale est littorale, insulaire et archipélagique et c’est donc à ce titre que le développement des marines dans cet espace est primordial.
Cette zone est également une zone de litiges maritimes, à la fois pour les ressources énergétiques réelles ou supposées que l’on espère trouver et développer off shore, que pour les points d’appui que tel ou tel îlot inhabité peut constituer, notamment pour fonder une revendication territoriale dans le cadre du périmètre des 200 miles. On reviendra sur la convention de Montego Bay et sur les délimitations des souverainetés sur les mers et océans.
L’ouvrage de Dominic Roy revient donc avec bonheur pour proposer une synthèse accessible de ces litiges récurrents et mal connus sauf des spécialistes, comme les Spratley, en mer de chine méridionale, les Senkaku – Diaoyu en mer de Chine orientale, les rochers Tok Do – Takeshima, opposant la Corée du Sud et le Japon, et même la question des Kouliles, vieux terrain d’opposition entre l’Empire russe et celui du Soleil levant depuis la première guerre russo-japonaise.
La Chine n’est pas le seul pays à développer dans ce contexte une marine de guerre et à la moderniser. Taiwan, et on le comprend n’hésite pas à faire jouer tous ses soutiens pour obtenir des moyens de défense sophistiqués permettant de défendre le Détroit de Formose et aussi sa souveraineté. (Il arrive parfois que certaines acquisitions de frégates ne posent parfois quelques problèmes en France.)
Des pays comme les Pays Bas, la Norvège ont pu également vendre des unités navales de combat à des pays comme l’Indonésie, le sultanat de Brunei, les Philippines et bien d’autres. Tous ces États, et la liste n’est pas exhaustive, ont des revendications territoriales à faire valoir et des intérêts, y compris piscicoles à faire valoir.
Dans ce contexte, quel est l’état réel de la marine chinoise, qui est l’objet de la réflexion de Dominic Roy.
Celle-ci s’est modernisée certes mais sans doute en souffrant de quelques incohérences.
La question qui est posée est toujours la même.
Marine de défense régionale étendue, au deuxième chapelet d’îles, ce qui l’amène dans l’océan indien. Et à ce moment là, il y a le développement d’une flotte d’interdiction basée sur des plates formes lance missiles et des sous marins.
Marine mondiale et alors se pose le problème de la projection de la puissance et donc de la présence de plusieurs porte avions, que la Chine n’a pas encore commencé à construire si l’on excepte les rachats de coques russes qui portent le pavillon mais qui ne sont pas encore en mesure de quitter le port.
On le voit les choix sont difficiles parce que les limites du développement chinois apparaissent très vite. Le développement d’un sous marin lanceur d’engins n’est pas encore achevé et par ailleurs, une seule unité n’a pas de sens, pour assurer la veille stratégique. De même pour un porte avions, dans une autre perspective.
Pour la flotte d’interdiction, on pense alors aux fameux kilo class, ces diesel électriques très silencieux développés dans les années 70 mais toujours redoutables, de gros problèmes d’entraînement des équipages et d’utilisation opérationnelle sont apparus et la flotte sous marine chinoise n’est pas encore, loin s’en faut vraiment capable de représenter une menace crédible pour l’instant.
Toutefois, comme rappelé plus haut la présence d’un sous marinier à la tête de la marine peut aussi constituer un signe. Le commandant en chef de la marine de l’armée populaire de libération est l’Amiral Zhang Ding Fa depuis 2003. Il a d’ailleurs remplacé à ce poste un aviateur, ce qui est en soi significatif. Ce dernier aurait pu insister sur le développement de porte-avions, tandis que son successeur peut être plus enclin à favoriser son arme d’origine.
En l’état actuel, rien n’est vraiment simple d’autant plus que les chinois sont très peu disposer à communiquer sur ce point. Toutefois peu de choses échappent aux satellites et l’on sait bien à peu près quel est l’état de développement de cette marine. Elle souffre également d’une certaine dépendance à l’égard de son fournisseur principal, la Russie, et les adaptations de technologies notamment les motorisations venues d’occident ne sont pas évidentes. En matière technique, l’arme sous marine accuse certains retards, et des accidents sont venus rappeler à quel point le service du silence ne souffrait pas la médiocrité.
Au final, on ne saurait trop conseiller la lecture de cet ouvrage ainsi qu’un suivi attentif de cette collection des Presses universitaires de Laval qui fournit aux spécialistes comme aux néophytes d’excellents manuels toujours très accessibles.
© Bruno Modica – Clionautes