Compte rendu Bruno Modica
Chargé de cours en relations internationales à l’IEP de Lille, (Prépa. ENA), chargé de formation au CNED de Lille.

Quelques indications bibliographiques de base sont suggérées en post scriptum.

Pendant longtemps, les spécialistes de la géopolitique des espaces maritimes n’avaient comme seul véritable atlas en français que le Grand Atlas de la mer, édité par l’Encyclopaedia Universalis et qui était une reprise de celui édité par Times book sous le nom de The Times Atlas of the oceans. Cet ouvrage de référence datait de 1983 et, même si le droit maritime international a été profondément modifié en 1982 avec la convention de Montego Bay, bien des éléments nouveaux étaient à prendre en compte. L’ombre menaçante des sous marins soviétiques ne se profile plus dans les abysses et les facilités navales accordées par les pays frères d’Afrique australe ne sont plus que souvenirs. Que l’on se souvienne alors des scénarios dramatiques qui étaient alors écrits, et pas seulement par des auteurs de thrillers !

Intérêt du sujet

C’est dire à quel point les éditions Technip que le service de presse des Clionautes rencontre à cette occasion viennent combler un vide qui était resté ouvert pendant un quart de siècle !

Soyons clair, même le spécialiste le plus exigeant ne pourra pas reprocher grand-chose à cet ouvrage sur le fond. Les points les plus sensibles de la géopolitique des espaces maritimes sont tous traités et Didier Ortolland qui est l’auteur de 14 des 20 chapitres de l’Atlas a véritablement réussi son entreprise. Cet auteur est un haut fonctionnaire, qui a servi à la direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères, et c’est donc en praticien de ces questions qu’il intervient ici.

Paradoxalement aucun géographe universitaire ne figure parmi les auteurs, preuve s’il en est que ces questions océanes ne sont pas encore présentes suffisamment dans les cycles de formation. Pourtant, la première manifestation d’appropriation d’un espace maritime par des États, date de juin 1494. Il s’agit, on s’en doute du traité de Tordesillas. Le concept central pendant tout le XXe siècle de « liberté des mers », date pour ce qui le concerne de 1609 avec le hollandais Hugo de Groot, et l’on sait combien cette question a été essentielle dans les deux guerres mondiales et même aussi pendant la guerre froide. Aujourd’hui, alors que les échanges de la mondialisation passent par la mer à 90 %, ce rôle central des océans ne s’est pas démenti.

Une préoccupation ancienne

La géopolitique de la mer, sans doute trop peu traitée par les géographes universitaires est bien l’objet d’étude fondamental du XXIe siècle. En réalité, cette géopolitique des mers suscite l’attention et la sévérité des remarques ci-dessus mérite d’être nuancée. Plus que les géographes se sont peut-être les opinions et aussi les décideurs qui ne prennent pas suffisamment la mesure des enjeux maritimes à venir ou en tout cas qui n’en font que trop peu état.

Dès le 28 septembre 1945, la seconde guerre mondiale est à peine terminée, le Président Truman considère que le plateau continental est une extension de la masse terrestre de la nation riveraine et lui appartient naturellement. Très rapidement, certains pays, pour des raisons énergétiques et aussi piscicoles se sont réservé les zones contigües à leur territoire continental.

Le premier chapitre revient sur les fondamentaux des délimitations de ces espaces examinant les différentes étapes qui ont conduit à la convention de Montego Bay. Une carte montre bien les différents zones concernées, entre celles qui relèvent de la ZEE et celles de l’autorité internationale des fonds marins. Les questions de pêche et d’environnement ont également généré leurs zones. ZPP et ZPE et tous les États intéressés se sont emparés des possibilités qui leur étaient offertes de défendre leurs prérogatives en la matière.
Le chapitre deux revient sur les questions de délimitation avec les différents modes de calculs. Les litiges sont multiples et sont d’ailleurs traités à l’aide d’un manuel spécifique des Nations unies.
La géomorphologie ou l’histoire viennent aussi au secours des arguments des uns et des autres. On parle alors des eaux historiques pour justifier les prétentions libyennes sur le golfe de Syrte ou de prolongement des plateau continental ou de continuité de dorsales et de reliefs sous marins pour appuyer telle ou telle affirmation à propos des Kouriles.
La cour internationale de justice et même le tribunal international du droit de la mer, peu connu, qui siège à Hambourg sont également compétents pour dire le Droit en la matière.

Des litiges encore et toujours

Didier Ortolland fait ici un inventaire des questions litigieuses, opposant la Tunisie ou la Libye, mais aussi l’Allemagne et le Danemark et même la France et l’Angleterre en Manche en 1977. Il semblerait, pour régler ces différentes questions que la jurisprudence ait pris comme critère les lignes d’équidistances qui sont éventuellement modifiées selon des « circonstances spéciales et des principes équitables ». L’ouvrage examine ensuite dans le détail les différents espaces maritimes en s’appuyant sur un appareil cartographique sans lequel on aurait aimé voir quelques photos satellites. Une carte remarquable de la mer u Nord présente à la fois l’étendue des richesses pétrolières et gazières de la zone et les différents accords ayant permis de trouver une solution à certains litiges.
On retiendra évidemment certaines zones « chaudes » au niveau énergétique comme le Golfe de Guinée et l’intérêt actuel pour des gisements en off shore profond qui présentent l’intérêt d’être moins vulnérables aux convulsions politiques terrestres. De la même façon la Namibie dessine son avenir au large avec 1500 km de façade maritime, des eaux poissonneuses, avec l’upwelling, une industrie minière off shore avec l’extraction des diamants alluvionnaires du fleuve Orange et même du gaz naturel sur le champ de Kudu.
Pour l’Atlantique Sud on apprendra évidemment les causes de la guerre des Malouines, la justification argentine et les arguments britanniques. Les argentins revendiquent en effetLes Malouines, appelées Falkland en 1833, les Sandwich du Sud et la Géorgie du Sud, ensembles insulaires sous souveraineté britannique.
Pour la mer baltique on insistera sur le Nord Stream qui, dans cette mer marquée par la guerre froide, marque la renaissance d’une puissante coalition d’intérêts entre l’Allemagne et la Russie qui suscite l’inquiétude de pays comme la Pologne et les États Baltes, il est vrai échaudés par l’histoire !

Espace insulaire en CDD ?

La Méditerranée traitée dans le chapitre 5 est également une zone qui présente des enjeux majeurs. Pour une zone chère à l’auteur de ces lignes originaire de l’île de Pantelleria entre la Sicile et la Tunisie, la partie consacrée au Canal de Sicile est riche d’une information largement méconnue. Entre l’Antiquité et 1831, une île volcanique est apparue avant de disparaître quatre mois plus tard. La marine anglaise en avait pris possession avant même le Roi de Naples. Cette île temporaire avait été appelée Ferdinandea. Elle pourrait en cas de réapparition qui serait prévisible à l’échelle des temps historiques et pas seulement géologiques en raison de la sismicité de la zone, fonder une revendication territoriale même si elle ne pourrait étendre le plateau continental italien au détriment de la Tunisie.
Au passage on notera sur la carte les nombreux gisements de pétrole off shore au large des côtes tunisiennes.
Il est difficile en effet de rendre compte de la masse d’informations toutes précises et dans certains cas inédites ou très al connues qui sont contenues dans cet ouvrage qui a l’immense mérite de les rassembler. Pour terminer cette recension évoquons simplement une lecture de la carte des mers de chine méridionale et orientale connues pour être le lieu de litiges majeurs engageant la Chine et tous ses voisins riverains sans exception, à propos des Spratly, des Paracel et bien entendu des Senkaku Diaoyu entre Chine et Japon. Terminaux pétroliers, gisements de pétroles, voies de communications maritimes sont bien présents dans ces eaux contestées et fondent une renaissance maritime de la Chine largement étudiée par ailleurs dans certains ouvrages présentés dans ces colonnes.

Mer intérieure ou eaux territoriales ?

Enfin pour la bonne bouche et pour terminer sur les appareils cartographiques de cet Atlas, une évocation du statut de la mer Caspienne et de l’apparition de revendications consécutives à la création de la Communautés des États Indépendants. Les gisements de pétrole off shore mais aussi la zone où les esturgeons viennent frayer sont autant d’enjeux dans cette confrontation complexe entre plusieurs points de vue, opposant la Russie et l’Iran mais aussi le Turkménistan, le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan. En fait, le cas d’une mer totalement fermé n’avait pas été évoqué lors de la convention de Montego Bay, ce qui est évidemment à l’origine du litige. La Russie s’appuie sur des accords avec l’Iran signés en 1921 et 1940 tandis que les nouveaux États souhaitent mettre en œuvre une approche basée sur le régime maritime de droit commun. Délimitation ses ZEE selon la règle de l’éuidistance qui les avantage. Au-delà des délimitations les débouchés sous forme d’oléoducs sont également sensibles et évoqués dans des discussions qui restent pour l’instant en stand by. Cependant tous les acteurs, Russie comprises et Union européenne développent leurs intérêts dans cette région dont on sait qu’elle est amenée à monter en puissance sur le marché mondial du pétrole.
La richesse d’un tel ouvrage est difficile à présenter en un volume forcément limité. Il se lit comme une belle invitation au voyage outre mer pour ceux qui auraient une âme de navigateurs, mais ce n’est pas simplement cela. Très bien documenté, y compris sur des questions aussi techniques que les questions liées à l’hydrothermalisme des fonds marins, ou les problèmes des pêches maritimes et des gestions des ressources halieutiques il fournit une excellent mise au point qui devrait figurer très vite dans tous les centres universitaires et même dans les centres de documentation des lycées. Il est rare en effet qu’un ouvrage fasse littéralement le point de la question à une réserve près toutefois, celui de l’aspect militaire de ce sujet. La militarisation des océans relève bien de ce sujet et on pourrait s’étonner de l’absence de ce point. Toutefois à la décharge des auteurs, on peut considérer que cet aspect est quand même très spécialisé et surtout que les informations sont difficilement vérifiables sans parler de leur péremption rapide.

© Bruno Modica – Clionautes