Pour comprendre la situation politique en Libye
Dix ans après la chute de Kadhafi, la Libye est un Etat marqué par la guerre civile et une très forte instabilité politique. C’est en partant de ce constat que la revue Hérodote a confié ce numéro à Ali Bensaad, professeur à l’Institut français de géopolitique à l’Université Paris 8.
Dans sa préface, Béatrice Giblin, qui a pris la direction de la revue en succédant au fondateur Yves Lacoste, désigne le pays comme relevant « d’une géopolitique du chaos » (page 3). Le pays est le théâtre de multiples influences politiques (France, Royaume-Uni, Etats-Unis) et d’interventions militaires (Russie, Turquie, Emirats Arabes Unis). La situation géopolitique est extrêmement fragile en dépit d’un cessez-le-feu signé à Genève à la fin Octobre 2020, et à l’élection présidentielle prévue le 24 décembre 2021.
La complexité de la situation géopolitique libyenne résulte de la multiplicité des acteurs à la tête de groupes armés, résultat de l’extrême fragmentation de la société. Au gré de l’évolution des rapports de force sur le terrain, les alliances se font et se défont sans stratégie politique clairement définie mais selon les avantages qui en sont attendus ou espérés pour les groupes armés et/ou les groupes locaux concernés (voir l’article de Badi). À cette situation interne confuse et complexe s’ajoutent les nombreux acteurs internationaux (Russie, Turquie, Égypte, Émirats arabes unis, Jordanie, Arabie saoudite), chacun poursuivant ses propres intérêts nationaux. La Libye constitue désormais un terrain d’affrontement et/ou de coopération entre puissances régionales et extrarégionales.
Béatrice Giblin, Hérodote n°182, Automne 2021, page 4
Dix articles composent ce numéro et permettent de dresser un large panorama de la situation libyenne depuis 2011. Dans le premier, Ali Bensaad insiste sur les origines de ce « chaos » (page 7). La situation actuelle sera la conséquence du « printemps arabe » qui aurait favorisé le rétablissement d’un pouvoir autoritaire.
Parmi les articles suivants, signalons celui de Mohamed Lazib (doctorant en géopolitique à l’IFG) qui analyse la construction de la bipolarisation politique du pays à travers la figure du maréchal Haftar. La coalition qu’il dirige, l’ANL, était en passe de prendre le contrôle du pays jusqu’à son revers à Tripoli. Malgré un pustch raté en 2014, Khalifa Hafta dirige un groupe de combattants chargé de déloger des groupes armés à Benghazi (opération Dignité). C’est à partir de ce noyau qu’est entrepris « la conquête vers l’Ouest » (page 66) afin de s’emparer des terminaux pétroliers du centre du pays. Par l’intermédiaire d’alliances avec des groupes locaux, l’ANL poursuit sa route en prenant des bases dans le Sud-Ouest du pays (dont al-Joufra). Khalifa Haftar s’alliera alors avec des tribus Touaregs vivants dans le zone de la triple frontière (Niger, Algérie, Libye). L’ANL ne s’inclinera qu’en avril 2019, aux portes de Tripoli, après plus d’une année d’affrontements et l’arrivée décisive de la Turquie dans le camp adverse. Cet échec laissera des traces. Selon Mohamed Lazib, « elle a aussi affaibli la carrure et les prétention de « l’homme fort de la Libye » et a également érodé l’autorité de Kahlifa Haftar dans fief oriental » (page 72).
Notons aussi que la géopolitique peut également prêter le lecteur à sourire, même en travaillant sur la Libye. Le dernier article de ce numéro en est la preuve, à travers le récit d’une courte anecdote de terrain, par Marc-Antoine Pérouse de Montclos. En interrogeant un mercenaire et contrebandier nigérian qui a combattu en Libye, le chercheur est décontenancé par l’une des questions de Magadi Dangui : « Sais-tu combien de cartouches de G3 ou de Kalachnikov peut contenir un cul de chameau ? ». Il faudra lire le passage à la page 163 pour obtenir la réponse !
On regrettera simplement la quasi-absence de cartes (une seule à la page 135 sur la fragmentation du pouvoir politique et les influences étrangères). Une carte des principales régions et villes du pays aurait été utile pour mieux comprendre les zones d’influences respectives du Gouvernement d’Union National (GNA) autour de Tripoli, et de l’ANL (Armée nationale Libyenne) du maréchal Haftar de Tobrouk à Syrte.
En conclusion, un numéro dense qui permet de mieux saisir les différents enjeux politiques et militaires de ce pays-clé dans la sécurité de l’Afrique du Nord, et de l’ensemble du bassin méditerranéen (migration, terrorisme).
Pour aller plus loin :
Antoine BARONNET @ Clionautes