L’ouvrage est essentiel dans la bibliographie des concours et c’est donc à ce titre qu’il est l’objet d’un compte rendu de lecture spécifique.

Le sous titre de ce manuel est le suivant : historiographie, bibliographie, enjeux et à ce titre il apparaît comme le continuateur de la série « la Nouvelle Clio », que les anciens préparationnaires des concours ont pratiquée avec quelques années en moins.

Penser l’Europe, le sujet est certes stimulant mais c’est surtout l’enjeu qui l’est. Il est vrai que la construction européenne est en panne surtout depuis les « non » français et néerlandais au référendum constitutionnel européen.
En fait c’est tout le débat et les pratiques de cette construction européenne qui sont en jeu depuis le début du XXe siècle, comment se construit-elle ?
Sous quelle forme ? La première partie de l’ouvrage est consacrée à l’historiographie.
Plusieurs perspectives sont ainsi présentées dans cette partie :

Les perspectives fédéralistes ont été les premières qui ont été développées et les pionniers le la construction européennes étaient au départ dans cette orientation.
On pense notamment à Hendrik Brugsman, (1906 – 1997). Avec les autres pionniers il croyait en l’inéluctabilité du dépérissement des Etats Nations. Jean Monnet, Paul Henri Spaak ou Alcide de Gasperi étaient dans cette logique.

Les néofonctionnalistes ont développé une approche finalement similaire à celle de Jean Monnet, considérant que l’Europe se construirait sur les bases d’une action précise. Ernst B. Haas, a développé les exemples à partir de la CECA. Le rôle propre des Etats n’a pas été développé suffisamment. Les intérêts nationaux, cela a été vu, ont été prédominants dans le débat sur la CED et sur le compromis de Luxembourg.
Ce sont des historiens allemands et italiens qui ont été les plus motivés par l’étude de ce thème, notamment Walter Lipgens, un des tout premier historien de la cause européenne et membre de Europa Union. La démarche de cet historien est résolument intégrationniste et il s’appuyait largement sur les idées des mouvements de résistance non communistes pendant la seconde guerre mondiale.

L’effort de publication considérable de cet historien n’a pas permis au final de donner une vision claire du rôle des Etats nation dans ce processus de construction de l’Union européenne.
Les fédéralistes mettent l’accent sur l’histoire des idées et des mouvements qui les ont portés. Tandis que les autres historiens, plus attachés à la construction à partir des Etats, ont développé une réflexion plus inter gouvernementaliste. Andrew Morawcsik, considère que la construction européenne renforce les états plus qu’elle ne les affaiblit. Ce spécialiste qui a étudié la politique gaullienne notamment au moment de la politique de la chaise vide, reprend les arguments à propos des intérêts nationaux, et principalement économiques.

L’école française des relations internationales, a intégré au niveau de la construction européenne, les forces profondes, ou les mentalités collectives, à la suite de Jean-Baptiste Duroselle, le premier à mener cette réflexion sur le sujet dans les années cinquante. Toutefois, l’école française des relations internationales dans la continuité des Renouvin et Duroselle, on pense notamment à René Girault est quand même largement restée dans l’esprit des « réalistes », insistant sur le rôle des Etats dans le processus de construction, allant même jusqu’à expliquer que l’Etat, paradoxalement s’était renforcé. Cela peut paraître contradictoire mais en réalité, l’interventionnisme administratif, l’encadrement dans le processus de construction de l’Europe des industriels, on pense à la CECA, puis des marchands, a renforcé le pouvoir réglementaire des Etats avant que ne se développe de façon massive une administration européenne supra nationale.

C’est bien plus tard que se sont manifestés les historiens de l’Europe qui souhaitaient dépasser les approches fédéralistes ou nationales.

Les approches multilatéralistes ont vu le jour, avec les travaux de Raymond Poidevin ou de Hans Jürgen Kürsters. Dans leurs différentes études, les uns et les autres traitent de l’Europe, la CECA, comme du traité de Rome en prenant en compte les approches globales de la construction et pas simplement la juxtaposition des intérêts nationaux.
L’approche n‘a plus été simplement centrée sur les Etats mais sur les milieux, milieux industriels, marchands, etc. Les doctrines libres échangistes par exemple, avaient la faveur des milieux du grand commerce en France, comme le démontre Laurence Badel. Les sidérurgistes par contre restaient plus attachés aux ententes. Aux côtés des États donc, il existait bel et bien une construction européenne sans doute plus discrète mais en même temps très concrète.

Enfin on s’intéressera particulièrement aux courants politiques, et aux opinions publiques. Les milieux démocrates chrétiens plus avancés dans la démarche intégrationniste ont été l’objet de nombreuses études, avec des approches comparatives de Kaiser in la démocratie chrétienne en Europe, 2001, tandis que P. Chenaux travaillait sur les milieux plus spécifiquement religieux.

Les intellectuels et les courants d’idées qui les portaient sont également objet d’études, comme Paneurope, l’Union européenne des fédéralistes, l’européisme en Belgique dans l’entre deux guerres, etc. On notera dans la bibliographie très complète de nombreuses références à ces études qui montrent au passage comment ces courants d’avant la seconde guerre mondiale ont pu être dévoyés par la perception nazie de l’Europe qui a séduit des milieux collaborationnistes qui avaient pu subir leur influence avant guerre.

Dans la troisième partie de l’ouvrage on reviendra avec profit sur ce point avec le chapitre consacré à l’idée européenne dévoyée par l’Allemagne nazie.

Des hommes comme Julien Luchaire, Henri de Man, Drieu la Rochelle et bien d’autres espéraient voir Hitler réussir là où les fédéralistes avaient échoué.
Dans le même temps, les mouvements de résistance reprennent aussi cette idée d’Europe persuadés que celle-ci éloignerait à tout jamais le spectre d’une nouvelle guerre. Ce sont les fédéralistes italiens notamment qui ont mené cette initiative de rédaction du manifeste de la résistance européenne à Genève en 1944. On y évoquait déjà le statut des voies d’eaux transcontinentales alors que l’Europe était à feu et à sang.

Une telle note de lecture ne saurait se substituer à la lecture de l’ouvrage lui-même répétons-le pour désamorcer les tentations fréquentes de certains préparationnaires. Elle vise simplement à pointer ce qui dans ce manuel est absolument indispensable et novateur.
Dans les innovations majeures de cet ouvrage on trouvera notamment réunis des encadrés très commodes mettant l’accent sur des déclarations ou des points de vues essentiels ou des extraits de discours fondateurs.

Ces derniers souvent dispersés on l’avantage d’être ici réunis. Autre point remarquable, outre ces parties consacrée à l’Europe pendant la guerre, ce qui était assez mal connu auparavant, on trouvera aussi des mises en perspectives des grands débats européens comme la CED, dans une approche fédéraliste avortée mais qui n’a jamais totalement disparu.

Parmi les nuances que l’on pourrait éventuellement souligner dans cette présentation, l’auteur de ces lignes s’interroge sur l’absence quasi totale, en dehors d’une référence au modèle soviétique et à l’euroscepticisme du parti communiste français, de toute présentation sur la vision communiste de l’Europe. Or celle-ci a bien été présente au XXe siècle. Les tenants de la Révolution mondiale à l’aube de la Révolution bolchévique, mettaient l’accent sur la révolution européenne, et notamment en Allemagne. Il y avait bien une conception spécifique du développement du socialisme. Par ailleurs, les marxistes austro hongrois avaient bien là aussi sur le lien entre les nationalités et le socialisme une spécificité qui est d’ailleurs évoquée indirectement dans l’ouvrage.
Enfin, aux lendemains de la seconde guerre mondiale, le CAEM, tout comme le Kominform, traduisaient bien une réflexion sur l’Europe, certes soviétisée, mais qui n’en existait pas moins.

Pour terminer sur cette assistance au travail de préparation, on signalera également page 33, un annuaire de ressources en ligne et notamment le site du réseau Richie, réseau international de chercheurs en histoire de l’intégration européenne. http://www.europe-richie.org

© Bruno Modica – Clionautes