Doit-on encore présenter Fernand Braudel ? Né en 1902, mort en 1985, il fut l’un des plus célèbres (le plus célèbre ?) représentant de l’école des Annales. Rappelons qu’il fut professeur au Collège de France et membre de l’Académie française, entre autres et multiples fonctions et titres.

On pourra renvoyer à sa page Wikipedia : ainsi qu’à la volumineuse biographie que Pierre Daix lui a consacrée (567 pages en 1996 chez Flammarion).

Nos amis d’Armand Colin nous offrent une réédition de ce livre majeur. On ne sait au juste combien d’éditions en parurent en diverses collections chez divers éditeurs : j’en ai personnellement compté 11. Peut-être y en a-t-il davantage, notamment si l’on tient compte des réimpressions ? Braudel a travaillé à ce livre toute sa vie, le réécrivant sans cesse. Depuis 1985, on sait que le texte en est figé.

Heureusement découpée en trois volumes correspondant aux trois parties de l’œuvre, cette édition intégrale est précédée d’un texte de Paule Braudel (décédée en 2017), qui fut la conjointe de l’historien jusqu’à sa mort en 1985. Ce texte (« Braudel avant Braudel : la naissance d’un livre ») qui éclaire la genèse du livre est la reprise d’un article des Annales ESC de janvier-février 1992. On pourra le consulter sur Persée , ce qui permettra de combler opportunément une malheureuse coquille qui a fait sauter trois lignes du texte entre la page 9 et 10 de la présente édition.

Cette édition 2017 reprend la quasi-totalité des documents iconographiques de l’édition 1966. Autant dire qu’il s’agit d’une réédition très riche, et qu’elle remplace aujourd’hui celle de 1986, toujours chez Armand Colin, dont j’ai longtemps regretté qu’elle rassemblât les trois parties en deux tomes…

*

Nous donnons ci-après le résumé éditorial et les tables des matières sommaires de ces trois volumes. Chaque partie correspond à un temps différent de l’Histoire, selon la fameuse « décomposition de l’Histoire en plans étagés » de l’auteur : le temps géographique, le temps social, le temps individuel. Cette « triple temporalité » braudélienne convoque les autres sciences humaines – géographie, économie… – au service d’une « Histoire totale », comme le disait cet autre immense historien que fut Pierre Vilar.

1. La part du milieu


  1. Les péninsules : montagnes, plateaux, plaines

  2. Au cœur de la Méditerranée : mers et littoraux

  3. Les confins ou la plus grande Méditerranée

  4. L’unité physique : le climat et l’histoire

  5. L’unité humaine : routes et villes, villes et routes

Ce premier volume suit pas à pas les genres de vie qu’imposent aux hommes de Méditerranée la nature et les héritages de civilisation. Grands propriétaires des plaines et leurs paysans asservis, montagnards pauvres mais libres, peuples des marins, des pêcheurs et des corsaires, nomades du désert, immenses troupeaux des transhumances entre plaine et montagne, bêtes de somme et chariots, mers animées à la belle saison et désertées chaque hiver quand les vents mettent en péril voiliers et galères – telle nous apparaît la Méditerranée du XVIe siècle, toujours au bord de la disette, misérable et cependant richissime, à la croisée des routes du grand commerce mondial.

2. Destins collectifs et mouvements d’ensemble


  1. Les économies : la mesure du siècle

  2. Les économies : métaux précieux, Monnaies et prix

  3. Les économies : commerce et transport

  4. Les empires

  5. Les sociétés

  6. Les civilisations

  7. Les formes de la guerre

  8. En guise de conclusion : la et les conjonctures

Le deuxième volume de La Méditerranée est consacré aux économies et aux sociétés. Tout au long du XVIe siècle, la Méditerranée, bien qu’envahie par les bateaux du Nord, reste la puissance économique prééminente : l’or et l’argent que déversent en Espagne les mines d’Amérique aboutissent dans les mains de banquiers italiens, maîtres du crédit à travers toute l’Europe. Cependant, la Méditerranée partage les difficultés de sociétés en crise dans une montée à la fois d’inflation, de banditisme, de guerres civiles et religieuses – un destin commun aux deux civilisations qui la divisent : Islam et Chrétienté.

3. Les événements, la politique et les hommes

  1. 1550-1559 : Reprise et fin d’une guerre mondiale

  2. Les six dernières années de la suprématie turque : 1559-1565

  3. Aux origines de la Sainte Ligue : 1566-1570

  4. Lépante

  5. Les trêves hispano-turques : 1577-1584

  6. La Méditerranée hors de la grande histoire

Ce troisième volume est celui de l’histoire vive des événements durant le demi-siècle que domine le règne de Philippe II. En Méditerranée le conflit est permanent entre les deux grands champions de l’Islam et de la Chrétienté, l’Espagnol et le Turc. La paix avec la France, en 1559, marque le début d’un âpre duel, jusqu’au triomphe de la flotte chrétienne à Lépante, en 1571. Paradoxalement, celui-ci inaugure une longue période de paix. C’est que les flottes des deux adversaires, chacun aux prises avec ses propres drames, désertent la Méditerranée pour le grand bonheur des corsaires turcs et chrétiens, dont la petite guerre va remplacer la grande.

*

Qu’il me soit permis, pour finir, d’expliquer pourquoi j’ai souhaité présenter le compte-rendu d’un livre vieux de près de 70 ans.

Il y a bien longtemps, désormais, la Méditerranée de Braudel fut ma rencontre personnelle avec l’Histoire. La grande Histoire. Pas celle des manuels scolaires ou universitaires, dont les qualités sont souvent remarquables, mais qui ont un autre propos. De cette rencontre, je sortis émerveillé. La Méditerranée fait partie de ces rares livres qui orientent une vie.

Or, il y a quelques mois, j’ai croisé un de mes anciens élèves… aujourd’hui en licence III d’Histoire. C’est toujours une joie de voir que nos élèves, en particulier les meilleurs, se plongent à leur tour dans notre discipline. Et celui-là s’y est plongé avec passion. Mais quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir, au hasard de notre conversation, son ignorance absolue de Braudel en général et de la Méditerranée en particulier ! Certes, la recherche historique progresse et a continué de progresser depuis 1985. Il ne viendrait à l’esprit de personne de le contester. Mais nous parlons là d’un livre fondateur. Et il est ahurissant – de mon seul point de vue – que personne dans notre belle université ne lui en ait recommandé la lecture.

Aux collègues qui auraient pu passer à côté de la Méditerranée, je prodigue donc mes encouragements les plus amicaux à s’offrir ces trois beaux volumes. L’été approche…

Christophe CLAVEL

Copyright Clionautes 2018