Le magazine bimestriel Guerres et Histoire, lancé en 2011 par Jean Lopez affiche une rubrique régulière, la « chasse aux mythes ». Il s’agit de relativiser la portée de certains événements ou de certains personnages, allant de la bataille de Poitiers aux très surestimés Waffen-SS en passant par la réévaluation positive de l’action de Grouchy lors de la bataille de Waterloo.

Dans le dernier numéro d’avril 2019, ce sont les marines américains qui ont les honneurs de cette rubrique. Guillaume Lasconjarias, délégué à l’éducation de défense au ministère de l’éducation nationale et chercheur à l’IRSEM, retrace la bataille de Bois-Belleau, en juin 1918, qui opposa les corps des marines et l’armée allemande. Ce fut la première bataille décisive menée par l’armée américaine lors du conflit, et elle a forgé le mythe du courage et de la ténacité du corps des marines. Crée en 1798, c’est à l’origine un corps de fusiliers marins, mais qui en 1918 n’a plus grand chose à voir avec son rôle initial. L’imaginaire américain donne aux marines une place particulière, comme le montrent les tableaux du peintre Tom Lovell (cf illustration de la bataille de Bois-Belleau ou de l’entrée des marines à Mexico en 1848) où ils apparaissent toujours dans des attitudes victorieuses. Or, s’il est vrai que les marines ont gagné lors de cette bataille, ce fut au prix de lourdes pertes. Lasconjarias parle de « victoire à la Pyrrhus ». En un seul jour de combat les marines perdent 1087 hommes, alors que le corps n’en avait perdu que 142 depuis sa création. Les marines, tout comme le reste du corps expéditionnaire américain, sont en effet en 1918 loin d’être une unité d’élite. L’armée américaine à longtemps été d’une grande médiocrité, à l’image de l’incompétence de nombreux officiers lors de la Guerre de Sécession, dans les deux camps. De plus, en dehors de cette guerre civile, l’armée américaine n’a jamais été confrontée à des adversaires de poids. Un ancien numéro de Guerres et Histoire montrait ses difficultés lors de la guerre des Philippines (1898-1902) avec son lot d’exactions. Toutefois, pour justifier la présence américaine au rang des vainqueurs, il fallait une référence forte, une belle victoire à présenter. Le commandant des marines, James Harbord, va en effet jouer sur la dureté, celle ci bien réelle, des combats de Bois-Belleau et mettre de côté les pertes énormes afin de présenter les marines comme un corps de combattants d’élite acharnés et combatifs incarnant les États-Unis. Le mythe est né et va vite se propager, y compris chez les Allemands, soutenu par des « petites phrases » devenues incontournables. Ainsi, à un marine blessé, une dame patronnesse française demande: « vous devez être américain ? » Et l’autre de répondre : « non madame, je suis un marine ». La même technique de mythification vaudra aussi pour les Harlem Hellfighters, compagnie d’infanterie composée d’afro-américains : mêmes pertes très lourdes, même réputation de courage insensé, même mythologie glorieuse. Tout cela nous pousse à relativiser, sans pour autant réfuter le courage et l’implication des combattants, tout ce qui peut être lu ou vu au sujet des « régiments d’élite », où trop souvent la légende prend le pas sur la réalité.

Mathieu Souyris, lycée Paul Sabatier, Carcassonne.