Cet ouvrage, sous la direction de Anne Villard-Le Tiec1 en collaboration avec Yves Menez2 et Patrick Maguer3, regroupe les actes du 40e colloque international de l’AFEAF (l’Association Française pour l’Etude de l’Âge du Fer) et fait le point sur l’état de la recherche à propos de l’architecture de l’Âge du Fer en Europe occidentale et centrale4.
A destination de la communauté scientifique, il présente donc ici des communications pointues dans lesquelles cependant, l’amateur, le passionné ou tout simplement le professeur pourra trouver ça et là quelques éléments pour compléter ses connaissances et/ou ses cours au travers des 45 articles qui se décomposent comme suit : les architectures funéraires et culturelles (2) ; l’organisation général de l’habitat (6) ; les clôtures et les portes (4) ; l’architecture des bâtiments et les matériaux (14) ; les voies et les ponts (3) et les études de cas (16).
Rappelons que l’Âge de Fer, période de la protohistoire, est composé de deux cultures : celle du Hallstatt, 1200 env. -400 av. J.C. , et celle de la Tène, 450-25av. J.C. Cependant, comme les limites chronologiques de cette période varient considérablement selon l’aire culturelle et géographique considérée, elle peut appartenir à la Préhistoire, à la Protohistoire ou à l’Histoire. Exception faite de la première étude qui débute au bronze final IIIB (-900 -800 av. J.-C.), l’ensemble est calé au 1er millénaire. av. notre ère.
Les travaux présentés se distinguent par le caractère majeur des sites étudiés, mais aussi par leur aspect novateur, tant en termes méthodologiques que scientifiques. « Dans ce bilan des recherches les plus récentes, l’histoire de l’environnement bâti au cours de l’âge du Fer en Europe occidentale et centrale apparaît ainsi dans toute sa complexité » ; en voici quelques exemples5 qui montrent bien les aspects techniques, sociaux et culturels de cette recherche.
Architectures funéraires et cultuelles.
L’ensemble commence donc par le chapitre sur les architectures funéraires et cultuelles qui montrent en trois communications la grande constante de ces pratiques : l’édification du tumulus circulaire, en calotte sphérique recouvrant la zone sépulcrale ; les variations sont seulement dues au déterminisme géologique ou, parfois, à une variante régionale. Il existe bien entendu aussi des différences en raison de l’ampleur des monuments, ceux en pierre étant plus petits que ceux en terre. Le tumulus n’est pas strictement protohistorique. Il semble découler de modèles antérieurs, du Néolithique final au début du Bronze final avec une réutilisation ce qui montre la continuité de cette architecture.
Dans des régions comme la Bretagne et le Poitou Charente la combinaison de tumulus et d’enclos fossoyés montre un phénomène d’endosmose entre les deux traditions. Elles ont en commun le grand enclos quadrangulaire non tumulaire (sauf en Bretagne) ce qui constitue une rupture avec les traditions de l’architecture funéraire de l’âge du Bronze et c’est aussi l’idée qu’il y a peut-être une entité médio-atlantique précoce dans le processus de celtisation.
Les données sont limitées en ce qui concerne les temples. De petite forme carrée ou rectangulaire, ils peuvent être identifiés en comparaison aux maisons circulaires contemporaines. Mais on note aussi des temples à l’intérieur de l’habitat, sur des fortifications de hauteur. Il est difficile parfois de déterminer la fonction de bâtiments carrés. Ils sont rares et petits (un petit nombre de personnes pouvait y entrer) et leur forme quadrangulaire sur poteaux comme les greniers ou des bâtiments destinés au stockage pourrait suggérer des temples liés à la fertilité du sol.
Habitats, organisation générale, urbanisme, clôtures et portes, bâtiments de stockage…
Même si tous les articles sont intéressants, celui sur l’urbanisme de l’Hispania celtique fait partie de ceux qui sortent du cadre de la Gaule. Tout au long de l’âge du Fer, dans cette région, les chercheurs ont constaté une stabilisation de l’habitat avec une nette augmentation de la démographie : le développement de l’urbanisme et les variations sont le produit d’une mosaïque en fonction des traditions propres des régions et des influences extérieures : on notera l’adoption du « village fermé » provenant du monde ibérique septentrional et l’achèvement de la transformation des villes sous l’influence croissante de l’urbanisme romain.
On remarquera après l’étude sur « les clôtures et les portes des établissements ruraux du second âge du Fer » que l’architecture monumentale, comme celle des plus petits habitats, a généré « la fonction d’architecte au moins en tant que conseiller technique voire comme activité indépendante exercée avec des contrats définissant les bâtiments à construire présentés et décidés par les élites ou les assemblées de cités ».
Vous avez dit poliorcétique ?
Si je devais choisir une des 45 communications, ce serait celle qui concerne « l’art de la fortification celtique : architecture ingénierie des systèmes défensifs ». C’est certes un avis personnel mais l’article montre à la fois les liens entre les diverses civilisations qu’on peut retrouver en classe de 6e (gauloise, romaine mais aussi grecque et même carthaginoise) ainsi que les différentes techniques poliorcétiques employées lors des confrontations entre Gaulois et Romains. Ce dernier point pourrait rendre plus vivant une étude sur la guerre des Gaules dans laquelle le murus gallicus dont il ne faut pas oublier les caractéristiques esthétiques, n’aurait donc pas eu des qualités intrinsèquement puissantes mais aurait été associé à une conception dynamique, active, de la défense… bien loin des considérations de César à propos de ses adversaires.
Ainsi, comme les Romains, les Gaulois ont vraisemblablement appliqué les principes d’Enée le Tacticien et de Philon de Byzance : « La connaissance théorique de l’ensemble des disciplines intellectuelles, dont l’art de la guerre, de la construction des villes et de la fortification, a également pu être diffusée par les druides et leurs disciples celtes entre les VIe et IVe s. av. J.-C. par l’intermédiaire des Pythagoriciens ».
Tout aussi technique et intéressant, la communication sur « le dess(e)in d’architecture en Gaule à l’âge du Fer» qui fait appel à des textes historiques notamment de Vitruve, auteur d’un traité nommé « De Architectura » (Ier s. av. n. è.) pour les architectures monumentales. On pourra aussi compléter nos connaissances sur les techniques par l’article sur « les étalons et les unités de mesure en Europe Celtique (VIIe – Ier s. av. n.è.) » qui montre que les principes mathématiques connus des architectes et arpenteurs celtes se concentrent principalement autour du théorème de Pythagore et des triplets pythagoriciens avec l’emploi de la corde à nœuds.
Certaines études techniques portent sur des éléments peu connus comme celle sur sur les clous qui, si elle paraît surprenante pour le néophytes (car ces objets sont souvent délaissés), n’est pas du tout anecdotique au vue de la très importante quantité nécessaire employée (on pense ainsi aux fiches de fer employées pour les murs, soit 200 grammes par clou, soit 5 tonnes pour le rempart extérieur de Moulay !). On voit donc bien là, au travers de toutes ces communications, une société certes hiérarchisée mais aussi constituée de corps spécialisées (pensez aussi à la gestion forestière pour les besoins en bois desdits remparts).
Un peu de géographie…
Enfin, pour ceux qui aiment la géographie, l’ouvrage se termine par une cartographie des évolutions architecturales de l’âge du Fer en Gaule mais comprend aussi des études les chemins avec bande de roulement, pourvus de fossés bordiers, sur l’aménagement et l’entretien des voies durant la protohistoire en Languedoc.
C’est toute la mise en place des réseaux d’habitats avec la création ou la pérennisation de chemins régionaux mettant en relation les principaux oppida et les comptoirs lagunaires (étude effectuée dans le Languedoc) qui se déroule à la fin du VIe s av. n.è.
Avec l’article sur les rues, chemins, voies gauloises (itinéraire Rennes-Angers) de l’ouest de la France, on constate une perpétuation des itinéraires mis en place dès la préhistoire et dont le choix des tracés ne seront pas démentis par les ingénieurs gallo-romains qui mettront ces routes à leurs normes. Là aussi, les solutions mises en œuvre par les Gaulois témoignent de la maîtrise d’un certains nombres de paramètres : réglage des profils de circulation, choix des matériaux, gestion de la main d’œuvre. Elles sont donc révélatrices de la présence de personnes qualifiées et spécialisées (ingénieurs, géomètres, arpenteurs, charpentiers) .
Pour conclure.
C’est un très bel ouvrage de plus de 730 pages sur papier glacé qui vient donc d’être édité aux Presses Universitaires de Rennes. Les très nombreuses photographies, illustrations, reconstitutions, cartes et schémas ainsi que bien entendu la qualité des communications des 114 auteurs en font un ouvrage de référence sur l’architecture de l’âge du Fer en Europe occidentale et centrale tant au point de vue technique, culturel, qu’ interculturel.
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1 Anne Villard-Le Tiec est conservatrice en chef du Patrimoine en archéologie. DRAC, SRA Bretagne, CreAAH UMR 6566.
2 Yves Menez est conservateur régional du Patrimoine en archéologie. DRAC, SRA Bretagne, CreAAH UMR 6566.
3 Patrick Maguer est ingénieur chargé de recherche, Inrap, Centre archéologique de Poitiers , Inrap GSO, EA 3811 HeRMA (Hellenisation et Romanisation dans le Monde Antique, Identité et phénomènes interculturels); il est chargé de cours à l’université de Poitiers.. Il prépare actuellement une thèse sur « L’architecture des bâtiments de l’âge du Fer dans l’ouest de la Gaule (IXe s.-Ier s. avant notre ère) ».
4 La collection Archéologie et Culture est dédiée à l’étude de la culture matérielle, de la production figurative et des données monumentales qui caractérisent les civilisations des mondes anciens et modernes. Les ouvrages issus de l’activité de recherche de spécialistes de toutes périodes sont fortement orientés vers la dimension culturelle et historique de la discipline archéologique. La collection compte 61 ouvrages, de la préhistoire au Moyen-Âge. http://www.pur-editions.fr/collection.php?idColl=18
5 L’ouvrage se conclue par les résumés des communications avec leurs mots-clés.