Gilles Baum est né en 1975 à Mulhouse et grandit dans la cité populaire Wolf-Wagner. Après des études de mathématiques, il passe les concours de l’enseignement et devient professeur des écoles. En 2007, il s’installe à Kingersheim, dans la banlieue de Mulhouse, après sa mutation à l’école élémentaire de la Strueth. Depuis, il est très impliqué dans la vie associative de sa ville ainsi que dans les divers comités de démocratie participative initiée par la Municipalité.

C’est lors d’une sortie scolaire organisée à la médiathèque du quartier Drouot à Mulhouse qu’il rencontre le dessinateur Thierry Dedieu. Commence alors entre les deux hommes une relation épistolaire au cours de laquelle, du fond de son Gers natal, l’illustrateur accepte gentiment de jeter un œil sur les écrits de notre jeune auteur. Les histoires de Baum s’inspirent de ce qu’il peut vivre au quotidien avec ses élèves ou ses propres enfants mais également de son amour pour la nature. Au bout de trois ans constants de correspondance, l’un des textes de Gilles Baum retient l’attention de Thierry Dedieu. Ce dernier l’introduit auprès d’une maison d’édition. Deux beaux ouvrages illustrés qui sensibilisent avec humour à l’environnement naissent en 2013 de ces échanges : J’ai adopté un crocodile et Un mur sur une poule aux éditions Gulf Stream. Après huit albums avec Thierry Dedieu et quelques autres avec Matthieu Maudet, Barroux et autres, La Nuit des géographes est le premier roman de Gilles Baum.

Dans cet ouvrage, Thomas et Idriss sont deux enfants d’une dizaine d’années. Amoureux des cartes et mappemondes, ils se sont fait une solide réputation de bons élèves brillantissimes en géographie. Lorsque Monsieur Melvil, leur enseignant de CM2, organise de petits tests pour toute la classe, Idriss et Thomas se font un point d’honneur à être les plus rapides à répondre. Ils connaissent ainsi le nom de tous les cours d’eau, de toutes les montagnes et de toutes les capitales de cette Terre. Ces challenges éprouvants et cette concurrence saine sont soudainement remis en cause avec l’arrivée d’une nouvelle, Lisa, une fille de surcroît ! Lisa s’avère être une adversaire redoutable. Elle a voyagé, elle aussi elle adore la géographie. Si Thomas-le-râleur n’apprécie qu’à moitié l’intruse, Idriss est carrément tombé sous le charme. Il invite Lisa dans leur repère, une vieille caravane tapissée de cartes routières, de posters, et remplie de livres, de magazines et de classeurs.

Les trois enfants vont apprendre à se connaître et à former une petite bande très soudée lorsque Lisa va proposer aux deux garçons de « voyager dans le blanc des cartes », ce dont ils ont toujours rêver : explorer des « territoires vierges ». L’idée de Lisa est de voyager à portée de caravane, dans un territoire inexploré par les enfants, c’est-à-dire la nuit. Lisa prend le temps de convaincre ses camarades car, pour eux, « la nuit n’est pas un lieu à visiter, mais un simple moment de la journée » ! Mais c’est sans compter la définition que leur maître leur a donné de la géographie : « c’est étudier comment l’homme s’adapte à son milieu ». Que savent les enfants de la manière dont les hommes vivent et s’adaptent à leur milieu la moitié de l’année, la nuit ? Pour certains d’entre eux, les mêmes espaces continuent à vivre une partie de la nuit.

Les trois géographes en herbe se lancent alors dans des expéditions nocturnes qui vont les conduire à découvrir leur espace proche dans un autre contexte, à un moment où la nuit change les rapports humains, les rapports à l’espace et les comportements. C’est lors de l’une de leurs expéditions qu’ils vont observer M. Melvil, leur enseignant, dans une vie solitaire,  entre bar et cimetière. Cet homme qui leur fait la classe le jour avec tant d’enthousiasme, mène une vie nocturne plongée dans le chagrin. Les enfants vont tenter d’y remédier et d’apporter un peu de chaleur à un homme en détresse. Cette nouvelle mission va souder les trois enfants qui sortiront transformés de cette aventure socio-géographique.

Ce roman de Gilles Baum est sublimement écrit. Le texte est fluide et le découpage en chapitres nous permet à peine de respirer tant le lecteur est happé par le souci de suivre les enfants dans leurs découvertes. Un jeu subtil nous amène à nous poser une foule de questions, d’entrer dans la vie intime de ce maître d’école, terrassé par le chagrin, de connaître ses secrets, de les violer presque. Mais toujours, l’auteur nous remet à notre place. Les enfants ont cette dignité de ne pas être invasifs. Jamais l’explorateur ne devient colonisateur.

Cette fiction de Gilles Baum soulève finalement une question géographique : si les spatialités d’un même espace diffèrent selon les individus, elles diffèrent également en fonction de la temporalité longue et courte. Georges Perec en avait fait l’expérience en restant assis des journées entières à la terrasse d’un café de la place Saint-Sulpice dans le VIe arrondissement de Paris en octobre 1974[1]. La thèse de Luc Gwiazdzinski[2], soutenue en 2002 à l’Université Louis-Pasteur de Strasbourg, étudiait avec précision cette « dimension oubliée » qu’est la nuit dans un quartier de la capitale alsacienne. Cette thèse abordait alors un sujet totalement novateur en géographie humaine.

[1] Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Paris : Bourgeois, 1974.

[2] Luc Gwiarzszinski, La nuit dimension oubliée de la ville : entre animation et insécurité. L’exemple de Strasbourg, thèse de géographie, Université de Strasbourg, 2002.