Là où se termine la terre est un beau roman graphique de Désirée et Alain Frappier (connus pour leurs ouvrages précédents : Dans l’ombre de Charonne (2012), ou encore Le choix (2015), sur l’avortement).
Au travers du portrait de Pedro Atias, dont on suit au fil des 250 pages les événements marquants de la jeunesse, les deux auteurs dressent le portrait d’un Chili bruissant de l’affrontement Est-Ouest.

Les auteurs rendent compte de l’état d’esprit qui a animé une partie des populations au temps du Vietnam, de la Baie des Cochons et de la course aux étoiles, des espoirs qu’ont suscité Cuba, 1968, les mouvements de la jeunesse en Italie au Japon ou en Tchéchoslovaquie, le poing levé, ganté de noir, de Tommie Smith aux JO de Mexico. La violence du monde (assassinats de Kennedy et Martin Luther King, chars soviétiques à Prague, répression féroce du printemps mexicain), accompagne les luttes politiques chiliennes, les occupations de terres, l’élection de Salvador Allende, puis le coup d’État du 11 septembre 1973. Au travers de Pedro apparaît l’influence américaine, le rejet exaspéré de l’impérialisme du grand voisin… tout autant que de la fascination pour les produits made in USA ; on voit aussi se dessiner, entre 1948 et 1973, les nouveaux équilibres politiques du continent…

Quoique extrêmement documentée, cette bande dessinée est tout sauf aride grâce à une écriture gracieuse et poétique, des illustrations parfois d’une grande beauté, en parfaite osmose avec le texte, qu’elles soient empruntes de lumière ou de noirceur. L’oeuvre est pleine d’émotion car, si les encarts historiques sont de plus en plus nombreux, il est aussi question des souvenirs intimes du héros, de l’histoire familiale, du grand-père, originaire de Syrie, qui, comme tant d’autres a rêvé d’Amérique, des rapports ambigus avec le père, grand intellectuel de gauche, de la Coupe du monde de football de 1960, de la nostalgie de l’exil sous-jacente au récit…

Là où se termine la terre est donc une lecture à conseiller à nos lycéens, d’autant que l’Amérique Latine trouve trop peu de place dans nos programmes.

Gaëlle Ruffel, pour Les Clionautes©