Voici un pavé original qui trouvera sans doute sa place dans les écoles primaires ou les centres de documentation des collèges. Il est l’oeuvre conjointe d’un historien et d’une dessinatrice. Leur but ? Retracer l’histoire du monde sous forme de dessins.

Un projet humaniste

Caroline Souffir est graphiste et directrice artistique chez Nina Ricci. Robert Franck est un historien bien connu qui a notamment dirigé l’ouvrage collectif « 1937-1947. La guerre-monde » paru en 2015. Il faut de suite préciser que dans leur introduction les auteurs soulignent qu’ils veulent aborder toutes les civilisations. « Cette volonté de l’homme de se civiliser, caractéristique de la condition humaine, se trouve dans toutes les régions du monde. Il y a une diversité d’humanités, mais elles sont toutes nôtres, à condition que nous nous familiarisions avec l’ensemble d’entre elles. » On l’a compris, une fibre humaniste parcourt ce livre. La couverture intérieure de départ montre plusieurs images de l’homme de la Préhistoire et lorsque l’on referme l’ouvrage, Caroline Souffir a choisi de représenter un lieu visé par les attentats de 2015 et elle l’assortit de la célèbre phrase « Paris sera toujours Paris ».

Dessiner l’histoire du monde

Le livre est découpé en six grandes chapitres. Pour chacune d’elles, on trouve d’abord un texte qui dit l’essentiel sur la période, avec sur le côté quelques événements, des repères et des dates. Pour s’en faire une idée, même si tous les facettes du livre ne sont pas montrées, c’est ici http://helium-editions.fr/livre/nos-humanites/. Puis, chaque grande partie est découpée en sous-parties qui comportent un texte introductif sur le thème traité. Ainsi, dans le thème « Un monde européen XVI-XVIIIème siècles », une des sous-parties s’intitule « Majestés absolues ».
A l’intérieur de chaque thème, on trouve des dessins et, à la fin de ceux-ci, des pages qui commentent brièvement la plupart des éléments dessinés. Un point est particulièrement à souligner : Caroline Souffir mentionne quelles sont ses sources d’inspiration. Ainsi, page 174, le portrait de François I er qu’elle propose en dessin s’inspire du célèbre tableau de Jean Clouet. On tient là sans doute une piste pédagogique intéressante pour constituer avec les élèves un fonds d’images repères, comme une sorte de socle commun illustré.

A chacun son antiquité

Cette première partie envisage plusieurs civilisations avec à la fois les Grecs, les Romains, mais aussi les Chinois ou encore l’Inde à travers le Mahâbhârata. Babylone et l’Egypte ne sont pas oubliées. Le thème propose donc des personnages mais aussi des évènements et le tout en une soixantaine de pages. On peut s’arrêter sur les pages 64 et 65 consacrées à Rome avec une dizaine de représentations qui peuvent former un utile condensé de civilisation romaine. En effet, on y retrouve l’armée romaine, les chiffres, un char, une villa ou encore un portrait d’Auguste.

Le temps des empereurs, chevaliers et des rois

Ce chapitre est traité en une soixantaine de pages. La double page d’introduction de la période évoque dix événements, de l’Hégire à la chute de Constantinople, en passant par les chiffres arabes, la boussole ou, plus traditionnel, la guerre de Cent ans. Là encore, on trouve bien les traces d’une histoire globale avec, au-delà des cas européens et de l’islam, des dessins sur les Tang et les Song, une représentation d’Angkor ou plusieurs représentations autour de l’empire du Mali. Les personnages dessinés sont nombreux : Otton I er, Genghis Khan, Marco Polo, Edouard III, Charles V et aussi Jeanne d’Arc.

Un monde européen XVI ème- XVIII ème siècles

Cette partie est structurée en quatre sous-parties. Elle commence par « Le grand basculement » en donnant quelques repères : Bartolomeu Dias, Vasco de Gama ou encore Nicolas Copernic. On trouve une double page Léonard de Vinci, mais aussi quelques portraits d’humanistes. Le sous thème « Majestés absolues » propose de nombreux personnages, lieux ou événements. Certains ont droit à une pleine page, comme Luther et Calvin, voire à une double page avec le dessin d’un côté et le texte de l’autre comme le massacre de la Saint-Barthélémy. Les auteurs proposent également une entrée intitulée « Les révolutions dans les têtes et dans la rue », occasion d’envisager les révolutions scientifiques et politiques avec les Lumières. On trouvera plusieurs figures majeures de cette époque en allant de Toussaint Louverture aux figures majeures de la Révolution française.

Le siècle des évolutions, 1800-1900

Le texte introductif balise d’abord la période avec quelques dates : la pile électrique de Volta, la Traviata de Verdi, la projection des frères Lumière ou encore le cubisme en 1907. Quatre sous-thèmes totalisant quatre-vingt-dix pages sont abordés : « Romantisme, réalisme et optimisme », « Naissance du capitalisme et du socialisme », « Coloniser le monde » et « La Belle époque ». On mentionnera particulièrement le troisième aspect avec l’expansion coloniale montrée d’après une célèbre illustration du supplément illustré «  Le petit journal ». On voit Marianne à l’avant d’un bateau face aux peuples que la France a colonisés. Le dernier thème offre une multitude de personnages, qu’ils soient liés à la mode, à l’art ou au sport.

Brutalité et effervescence 1914-1974

Ces soixante années ont droit à un peu plus de cent pages pour donner à voir tant de changements. La période est évidemment marquée par « Deux cataclysmes », mais aussi par « De nouveaux rêves » et « Une nouvelle société ». Parmi les images symboles, ici réinterprétées en dessin, on trouve le cliché de Robert Capa sur la mort d’un soldat républicain pendant la guerre civile espagnole. La Résistance française offre les portraits de Jean Moulin, Germaine Tillion, entre autres, mais aussi celui peut-être moins connu de Lise London. Les auteurs n’hésitent pas à insister sur les aspects artistiques, ce qui n’est pas le plus courant, et on retrouve ainsi aussi bien des figures de l’existentialisme, de la mode, du désign ou encore de la musique. Néanmoins, les grands événements de la période sont aussi là, qu’il s’agisse de la guerre du Vietnam, de la domination de Mao sur la Chine ou encore de mai 68.

L’ère du doute : depuis le milieu des années 70

Il est toujours délicat de choisir les faits saillants de la période la plus proche de soi. Les auteurs avancent les thèmes suivants : « Mondialisation et dérégulation du monde », «  La mort des idéologies » », «  Les grands chocs » et « Nouveaux horizons, nouveaux défis ». La page introductive à cette partie sélectionne dix faits qui vont de Michel Foucault à la COP 21 en passant par l’invention d’Internet ou les printemps arabes. La partie sur « Les grands chocs » juxtapose des faits très différents entre la catastrophe de Tchernobyl, le SIDA ou les créations de Louise Bourgeois.

Ce pavé constitue indéniablement une proposition originale. Il ne s’agit pas d’une simple mise en images de grands événements de l’histoire du monde mais bien d’un projet qui met les cultures au centre. Cette volonté d’ecclectisme géographique et thématique est à saluer. Pour l’enseignant, il pourrait constituer un matériau utile pour donner à voir et à comprendre la diversité de nos humanités.

© Jean-Pierre Costille