En ces temps d’incertitude économique et des médiatiques records annuels des Resto du Cœur, la question de la pauvreté en France se rappelle à nous, non sans une certaine acuité.

Une vision engagée et critique de l’économie libérale
Economiste spécialiste des questions sociales, c’est tout naturellement que Denis Clerc s’intéresse à la question de la pauvreté dont il s’attache ici à démêler le ressenti et la crainte de la réalité économique.
Agrégé d’économie, Denis Clerc est plus qu’un économiste, c’est un économiste engagé et critique vis-à-vis du système économique libéral.
Cet engagement s’est traduit, il y a 30 ans, par la fondation de la revue économique et sociale, Alternatives Economiques, dont le titre à lui seul évoque le projet humaniste d’inspiration keynésienne qui anime ses auteurs, à savoir celui de (re)mettre l’économie au service de l’homme…Et non l’inverse.

Après s’être penché sur le phénomène paradoxal dans une société riche du travailleur pauvre CLERC Denis, La France des travailleurs pauvres, Mondes vécus, Grasset, 2008, 221 p. , Denis Clerc généralise ici son étude par ce titre quelque peu provocateur, la paupérisation des Français. Ainsi, par ce titre, Denis Clerc nous indique qu’il souhaite confronter le sentiment de pauvreté qui peut animer les Français, au gré de la conjoncture, à la réalité économique et sociale du phénomène.

L’ouvrage s’organise autour de 25 questions, principe de la collection, que l’auteur a classé en quatre parties : une première partie dresse un état des lieux au cours duquel Denis Clerc en profite pour redéfinir les notions essentielles comme seuil de pauvreté, revenu médian, puis l’auteur s’interroge sur les origines de la pauvreté actuelles, ensuite, Denis Clerc tente une projection dans l’avenir en se demandant comment évoluera le phénomène de pauvreté et enfin, dans un quatrième temps, il analyse et s’interroge sur les effets réels des politiques publiques en matière de réduction de la pauvreté.

La pauvreté, un phénomène complexe car protéiforme
Au début de son livre, Denis Clerc s’attache à délimiter les contours de la pauvreté en soulignant la difficulté de mesurer ce phénomène. En effet, la pauvreté peut se parer de diverses formes, pauvreté monétaire, culturelle, relationnelle…
On peut donc mesurer la pauvreté sous différents angles, selon différents critères, le revenu et les conditions de vie.
Denis Clerc conclut que la pauvreté est un phénomène de manque mais qui ne se résume pas au revenu, le pauvre étant celui qui ne parvient pas à vivre décemment.

La nouvelle pauvreté, un phénomène de proximité
Dans les évolutions récentes que connaît la pauvreté, Denis Clerc met en avant la banalisation du phénomène qui tend à toucher une population non marginale, intégrée à la société. Il note surtout l’inquiétant rajeunissement de la pauvreté qui touche en particulier les jeunes sortis du système éducatif avec peu ou pas de diplômes.
Pour Denis Clerc, cette banalisation s’explique essentiellement par la détérioration du marché du travail qui offre de plus en plus des emplois de faible qualité (horaires, salaires) donnant ainsi naissance à une nouvelle catégorie de pauvres, les travailleurs pauvres.
En outre, cette banalisation d’une pauvreté discrète, invisible car touchant des gens qui nous ressemble contribue à créer et entretenir ce sentiment de crainte de l’avenir particulièrement fort en France d’après un sondage de 2008 Denis Clerc cite un sondage de septembre 2008 commandé par le ministère de la Ville et du Logement dans lequel 60% des Français interrogés redoutaient de se retrouver un jour, eux ou leurs proches, sans domicile fixe, p. 5. .

L’ombre menaçante de la paupérisation, mythe et réalité
Dans ce qui constitue le fil directeur de son ouvrage, Denis Clerc s’attache à démêler le ressenti des Français de la réalité. A ce titre, il souligne l’importance de distinguer la pauvreté de la paupérisation. La pauvreté au sens monétaire étant un état situé en dessous du seuil de pauvreté, la paupérisation est au contraire un processus, une dynamique de baisse du niveau de vie.
Denis Clerc, chiffres à l’appui, démontre que ce sentiment de paupérisation est infondé et qu’il n’est une réalité que pour une minorité. Il souligne au contraire que le pouvoir d’achat moyen des salariés a plus ou moins régulièrement augmenté depuis les Trente Glorieuses. Cependant, il explique les origines de ces craintes par l’incertitude croissante du marché du travail.

La dégradation du marché du travail, de la flexibilité à la pauvreté laborieuse
Selon Denis Clerc, le diagnostic de cette nouvelle pauvreté est clair, la dégradation du marché du travail. Cette dégradation est le fruit d’une demande accrue de flexibilité de la part des entreprises, notamment dans le secteur prépondérant des services. C’est ce qui explique en grande partie le paradoxe nouveau et inquiétant du travailleur pauvre condamné à se satisfaire des miettes de travail que sont l’intérim et le temps partiel.
Ainsi, la lutte de l’Etat contre la pauvreté ne se situe plus sur le terrain de la protection sociale mais celui de la sécurisation du marché du travail.

La nécessaire intervention de l’Etat, de l’assistance à l’encadrement du marché du travail
Le marché n’agit pas spontanément contre les inégalités sociales. Tel est le constat de Denis Clerc dans lequel on reconnaît bien son engagement keynésien.
Dans la dernière partie de son ouvrage, Denis Clerc n’hésite pas à dénoncer le marketing politique des gouvernants lorsqu’ils s’attaquent aux conséquences de la paupérisation, le manque de ressources (et encore, dans des proportions modestes), et refuse de s’attaquer aux causes, la dégradation de la qualité des emplois.
Au contraire même, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’Etat, sous forme d’exonérations fiscales Denis Clerc fait ici allusion à la baisse de la TVA à 5,5% accordée aux restaurateurs en juillet 2009 ainsi que les exonérations fiscales octroyées aux organismes et particuliers employant des personnes à domicile, soit, en tout, 8 milliards d’euros soutenant des emplois précaires et paupérisants, p. 127. , a encouragé ces emplois paupérisants concentrés essentiellement dans les secteurs de la restauration-hôtellerie et les services à domicile. Pour Denis Clerc le verdict est sans appel, la pauvreté laborieuse provient en partie de décisions politiques.
Ce verdict est cependant un motif d’espoir car il souligne l’importance de la volonté et de la décision politique dans la lutte contre la pauvreté.

Conclusion, les investissements collectifs, clés pour réduire la pauvreté
La conclusion de Denis Clerc est réaliste, on ne pourra jamais éradiquer la pauvreté. Cependant, on pourra toujours et ce doit être l’objectif de tout Etat démocratique, la limiter à un état transitoire dont on peut sortir sans trop de dégâts.
Pour ce faire, la collectivité doit investir sans compter dans la formation et la santé.
Dans une économie en mutation qui se transforme peu à peu en économie de la connaissance, la lutte contre l’échec scolaire devient prioritaire car le « capital humain » est la richesse de demain et la matière première des économies des pays développés. Dans une société où le risque de dualité entre ceux qui servent et ceux qui sont servis, est bien réel, la protection sociale doit être renforcée et gagner en équité.
Tels sont les enseignements de cet ouvrage qui conclut sur un autre paradoxe apparent, la pauvreté, question économique à l’origine, est avant tout une affaire politique… A bon entendeur…

Un ouvrage pédagogique utile aux citoyens comme aux enseignants
Dans un langage limpide, accessible, sans jargon économique abusif et non dénué d’humour et d’ironie, Denis Clerc nous expose clairement les contours et les enjeux de la paupérisation dans la société française d’aujourd’hui.
En outre, le propos de Denis Clerc est très documenté, il s’appuie sur les dernières statistiques et études de l’INSEE sur le sujet, de plus, il est complété par une bibliographie fournie, organisée et très récente, qui ne fait que confirmer, s’il en était besoin, la rigueur et la pertinence du propos.
Cependant, on notera quelques redites au fil des questions, sans doute imposées à l’auteur par la forme de la collection ; redites parfois salutaires permettant d’insister sur les idées maîtresses du livre. On pourra également souligner l’insuffisance de documents illustratifs (graphiques, tableaux ou schémas expliquant les différentes formes de pauvreté, les différents types de prestations sociales par exemple…) d’autant plus regrettable lorsque l’on connaît la richesse des représentations graphiques de la revue Alter Eco. Pour satisfaire son goût pour les chiffres en représentation, le lecteur avisé devra donc se reporter au numéro 286 de décembre 2009 d’Alternatives Economiques CLERC Denis, « Face à la pauvreté », Alternatives Economiques, n° 286, décembre 2009, p. 51-60. qui comporte un dossier sur la pauvreté rédigé par un certain… Denis Clerc.

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