Etouvie : village ou ghetto ? est un ouvrage né de la volonté, en 2014, de travailler sur l’identité et la mémoire de ce quartier d’Amiens par Ghislaine Roche, directrice du Centre social et culturel (CSC) de ce même lieu.
L’aventure a connu de multiples rebondissements en raison d’un manque notoire de financements mais le projet voit finalement un aboutissement favorable avec la mise en place d’une résidence d’écrivain en 2019. C’est le journaliste Philippe Lacoche qui se voit ainsi chargé d’offrir sa vision du quartier, épaulé par Xavier Desjonquières qui a travaillé pour le développement social et la rénovation urbaine de quartiers pendant 27 ans à Amiens et à Arras. Il a également résidé plusieurs années à Etouvie et est secrétaire de la CRUE (commission rénovation urbaine d’Etouvie).
Le livre comporte également toute une série de petites textes d’habitants qui émaillent les propos des deux principaux auteurs et offrent le regard d’habitants sur leur lieu de résidence.
Etouvie, à l’origine, est un petit hameau situé à l’ouest de la métropole picarde. Le développement du nouveau quartier éponyme s’est fait sous l’impulsion de la CCI. Entre 1956 et 1969 sort de terre ce que l’on appelé par la suite le « vieil Etouvie », soit un millier de logements HLM et une quarantaine de maisons. En 1969 débute la construction du « nouvel Etouvie » qui s’achèvera en 1976 avec l’édification de l’immeuble des Coursives regroupant logements, commerces et éléments institutionnels. La quartier compte près de 12 000 habitants en 1982.
Sur le plan architectural, le « vieil Etouvie » est composé de barres de quatre étages disposées le long de rues. Des pavillons HLM sont également présents et seule la « tour bleue », aujourd’hui détruite, constituait un ensemble plus proéminent. Le « nouvel Etouvie » offre plus de variétés que les structures de l’ensemble précédent : immeubles de hauteurs différentes, bow-windows en béton ou en plastique coloré… De larges avenues permettant les circulations piétonne et automobile sont également développées. Le quartier comporte des espaces verts encore appréciés aujourd’hui par les habitants et les logements sont plutôt spacieux et clairs.
La démolition de logements et la « réduction » de la taille des familles (séparations, vieillissement) ont entraîné une diminution du nombre d’habitants du quartier : en 2013, Etouvie ne compte plus que 7 000 habitants.
Le quartier, qui connaissait une vraie mixité sociale avant les années 70, a vu progressivement le départ de ses habitants les plus aisés entre 1975 et 1982.
Xavier Desjonquières écrit, à propos du quartier (p.44), que « le cumul des situations de pauvreté et de difficultés sociales, familiales, éducatives, de santé a augmenté les besoins sociaux et les a transformés. En 2017, le taux de pauvreté a atteint plus de 56 % de la population (25 % pour l’ensemble d’Amiens, 15 % au niveau national). La part des emplois précaires, pour ceux qui en ont un, était de près de 36 % en 2016 (20 % pour Amiens) ». L’auteur relève également une proportion élevée de jeunes de moins de 25 ans et de personnes âgées.
Les différentes contributions font part d’une grande affection pour le quartier et soulignent l’esprit d’entraide entre habitants même si certains regrettent des incivilités, les déjections des goélands et des pigeons et l’absence de commerces.
Le rôle majeur du CSC (Centre social et culturel) dans la trajectoire de certains témoins est plusieurs fois mis en avant, preuve de la grande utilité de cette structure de proximité.
L’ouvrage, outre des textes plus personnels ou des réalisations graphiques, présente également les luttes passées des résidents, comme le choix de plaques de rues en rapport avec la Commune de Paris par des habitants du quartier eux-mêmes. En 2015, le réseau associatif d’Etouvie a dressé un diagnostic des actions urgentes à mener sur le quartier. En voici les principaux axiomes et revendications (p.180) : se soucier de l’emploi, de l’éducation et de la jeunesse et des personnes âgées ; pouvoir se rencontrer et échanger lorsque l’on est isolé ; favoriser le développement d’un cadre de vie de qualité ; pouvoir gérer les problèmes de santé ; permettre de bien se repérer dans le quartier ; assurer la tranquillité ; permettre l’apprentissage du français. Un constat qui reste encore d’actualité pour cette entité de la métropole picarde selon Xavier Desjonquières.
S’il n’est pas un ouvrage scientifique à proprement parler, Etouvie : village ou ghetto ? ouvre une fenêtre des plus intéressantes sur un quartier d’Amiens, en intégrant la parole des habitants de ce même lieu à la prose d’un écrivain et d’un urbaniste.
Il en ressort une belle publication permettant de dépasser les clichés fort nombreux sur cette partie de la capitale picarde.
Grégoire Masson
Le petit texte qui suit est « l’hymne d’Etouvie » réalisé en 2007 lors du cinquantième anniversaire du quartier par une quinzaine d’habitants (il figure pages 73 et 74 de l’ouvrage). Il a été écrit dans le cadre d’un spectacle de rue intitulé « La Tour bleue » qui mettait en scène Bleuette, dernière habitante de la tour évoquée précédemment. Dans le cadre du spectacle, Bleuette refusait l’expulsion préalable à la démolition de la tour. Les habitants d’Etouvie se proclamaient « commune libre d’Etouvie ».
« Hymne d’Etouvie.
Habitants d’Etouvie/ Nous n’avons qu’une envie/ Ton destin t’appartient ! / Et cela dès demain/ C’est à nous de choisir notre avenir ou périr/ De la tour à Amiens/ Ce quartier c’est le mien /
Des tours englouties / Et des passés enfouis / Des poussières amères qui sortent de la terre / Ne vous y trompez pas sans nous rien ne tiendra / Disparaître pour renaître si c’est votre slogan / Vous pouvez foutre le camp / Vous pouvez foutre le camp /
Habitants d’Etouvie/ Nous n’avons qu’une envie/ Ton destin t’appartient ! / Et cela dès demain/ C’est à nous de choisir notre avenir ou périr/ De la tour à Amiens/ Ce quartier c’est le mien /
Alors marchons, vivons, réveillons-nous, luttons / Bougeons tous nos voisins soyons les plus malins/ A l’aube ce matin tu ne regretteras rien / Et ce sera ton tour abattez donc la tour / Et plantez dans la cour / Un bel ar-arbre d’amour / Un bel ar-arbre d’amour /
Habitants d’Etouvie/ Nous n’avons qu’une envie/ Ton destin t’appartient ! / Et cela dès demain/ C’est à nous de choisir notre avenir et sourire/ Être heureux être bien / Tous ensemble à Amiens ».