C’est à un tour d’Europe que nous invite Michel Foucher dans cet ouvrage. Il a pour cela réuni autour de lui six géographes spécialistes d’espaces régionaux européens pour envisager les effets territoriaux, géopolitiques et géoéconomiques de la construction européenne et les aspects spatiaux de la problématique de l’extension continue de son territoire. Car c’est bien ces problématiques qui agitent aujourd’hui l’espace européen. On est donc bien loin de celles qui occupaient Lucien Febvre dans son cours donné au Collège de France aux lendemains de la seconde guerre mondiale, attaché qu’il était à faire la genèse de la civilisation européenne et par là même à délimiter la forme et le fond de l’objet Europe.
Michel Foucher fait le choix de faire une présentation géopolitique de l’Europe en partant d’une analyse des institutions, pas seulement celles de l’UE mais aussi du Conseil de l’Europe (1949), de l’Alliance atlantique (1949), de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, 1975). Il montre que sans les Etats Nations, rien ne serait possible, y compris dans le contexte de la guerre froide qui divisait le continent européen. Toutefois, Michel Foucher rappelle, larges citations d’ouvrages à l’appui (Robert Franck, notamment), qu’il ne faut pas confondre européanité (sentiment d’appartenance culturelle) et européisme (sentiment d’urgence à construire l’Europe). Il insiste aussi sur le rôle joué par les frontaliers dans la construction européenne (Schuman, De Gasperi, Adenauer). Il procède ensuite à une analyse par échelles de l’Europe. La réflexion qu’il mène sur la place de l’Europe centrale dans la géographie européenne retiendra l’attention : il ne faut pas voir les pays de l’Est comme un tout. La fin de la mixité ethnique, l’extermination des populations juives et les volontés d’affirmation nationale singularisent plus les Etats de l’Est qu’elles ne les unit, même si un retard de développement plus ou moins fort (y compris à l’échelle nationale entre la capitale et le reste du pays) est souvent présenté comme un trait commun en comparaison aux autres pays de l’UE. Il insiste aussi sur le fait que la question des limites de l’UE est cruciale. La centralisation autour de la question de l’entrée ou non de la Turquie fausse le jeu. La question géopolitique est beaucoup plus vaste. Elle concerne aussi l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie. Elle interroge sur les finalités de l’UE : union politique intégrée ou large communauté d’Etats Nations ?
Le reste de l’ouvrage est essentiellement occupé par une analyse régionale de l’UE. Le lecteur appréciera le découpage peu usité par les autres manuels consacrés à la question. Ce choix éditorial constitue la plus value de cet ouvrage. Il permet de mettre en relief les caractéristiques de chaque espace. L’ensemble est très actualisé (septembre 2009) et propose une synthèse sur chaque région. Le lecteur opère donc un tour d’Europe, comme promis dans l’introduction, en commençant par l’Europe nordico-baltique. Cette analyse met l’accent sur la coopération régionale de cet espace (plus de 300 organisations régionales) même si l’entrée en 2004 dans l’UE de nouveaux Etats a eu tendance à recentrer cette coopération autour de Bruxelles. Ensuite, c’est aux confins de l’Europe que conduit la lecture. Connu pour avoir été le théâtre de nombreux évènements géopolitiques (Révolutions de couleurs, guerre en Géorgie), cet espace est aussi présenté par le biais de son économie. Cette partie permet de faire le point sur ces économies en croissance mais sans développement, où « la logique du clan y a succédé à la logique du Plan ». La contribution de Georges Prévélakis retient l’attention (Balkans ou Europe du Sud Est ? une énigme pour la géographie). L’auteur opte pour une approche historique qui lui permet de s’interroger sur l’unité de cet espace. Il reprend à son compte l’analyse de Jean Gottman pour traiter du cloisonnement de cet espace géographique, qui est paradoxalement (voir la carte : le carrefour sud européen) un carrefour. Il faut comprendre ce cloisonnement comme la conséquence de la circulation qui s’est opérée dans la région sous l’effet de différents envahisseurs (Ottomans, Autrichiens). Pour se prémunir contre la circulation, les frontières se sont multipliées (mécanisme d’auto-défense). Ce phénomène est appelé par Gottman l’iconographie. Il faut comprendre par là le fait que les Serbes, pris en tenailles entre les invasions ottomanes et autrichiennes, partaient s’installer avec leur icône dans un territoire situé plus au nord et jugé plus sûr. Le fait d’emporter l’icône opérait un transfert symbolique du territoire à un autre. Pour Prévélakis, l’iconographie est la clé de lecture de cet espace. Cette approche apporte beaucoup à la compréhension de la géographie de la région. La question de la délimitation de l’Europe est reprise par Jean-François Drevet dans le chapitre L’Europe et les Suds. Toutes les régions européennes ne font pas l’objet d’un développement. C’est ainsi que l’Europe occidentale ou des pays entrés dans l’UE en 2004 comme la République tchèque ou la Slovaquie ne sont pas traités en tant que tels. Il faut donc estimer que le dernier chapitre consacré à la métropolisation fasse office d’analyse de substitution.
Magali Reghezza et Géraldine Djament achèvent le volume par une contribution consacrée aux villes européennes face à la métropolisation à partir du constat que « la ville représente un « marqueur privilégié de l’européanité » (Lévy) ». la question est donc de savoir si il existe un modèle de ville européenne. Il apparait que la ville européenne contemporaine est le compromis entre le modèle médiéval et le « règne de l’urbain » diffusé dans le cadre de la mondialisation. Seule Londres est véritablement une ville globale. On voit toutefois apparaître « une ville à trois vitesses », juxtaposant des centres-villes embourgeoisées, des espaces périurbains dévolus aux classes moyennes et des cités d’habitat social. » Jean-Luc Pinol estime que « la ville européenne n’existe plus ou plus précisément. » La métropolisation s’accompagne d’un étalement urbain qui pose la question de la gouvernance de ces ensembles et de la durabilité des mobilités qui parcourent cet espace. Ainsi, même la question de l’Europe ne cesse de nous ramener à celle qui a occupé les émissaires des chefs d’Etat mondiaux en décembre 2009 à Copenhague.
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