« Une fois que l’on admet que l’écrasante majorité des jeunes ne sont pas délinquants, élèves de grands lycées, organisateurs de « raves », consommateurs de drogues ou sportifs de haut niveau, il reste à définir une jeunesse qui ne laissera probablement aucune trace dans l’épopée de l’histoire juvénile, tellement elle est banale : ni victime absolue de la crise économique, ni rebelle avec ou sans cause, ni écrasée par l’échec, ni critique du système. » (p.11). Ainsi commence la préface écrite par François Dubet pour ouvrir le livre de Jean-Luc Roques, son ancien élève.
Et quoi de mieux que cette plume (l’auteur de Les Lycéens) pour replacer le travail de Roques dans un contexte épistémologique ? L’étude de Roques s’intéresse à ceux dont on ne parle pas, comme l’avait fait en son temps Edgar Morin avec les jeunes Bretons de Plodemet (E. Morin, Commune en France : la Métamorphose de Plodemet, Paris, Fayard, 1967). Ici, ce sont les jeunes de deux villes du Sud qui sont étudiés. Uzès et Bagnols-sur-Cèze sont deux cités, aux profils sensiblement différents (une communauté tournée vers son passé, une autre davantage tournée vers l’industrie et notamment atomique). Ce que Roques désigne sous le terme de petite ville est une « entité en soi, c’est à dire qu’elle possède des caractéristiques propres tant dans le domaine économique que culturel ou social. » (p.16). Pour ce faire, la petite ville doit être éloignée de la grande. Il s’agit pour lui d’un espace intermédiaire et ce qui l’intéresse, c’est de voir vivre les jeunes de 15 à 19 ans dans cet environnement et de savoir si celui-ci influe sur eux.
Pour approcher les jeunes des petites villes, Roques a pris le parti de travailler la notion de projet chez eux même s’il est très critique sur la place que celui-ci prend désormais dans la manière d’envisager la vie. Projet scolaire, professionnel, de vie sont abordés par le biais d’un QCM (rempli par 733 jeunes), d’entretiens (20 seulement), de cartes mentales (qui ne sont malheureusement pas reproduites dans le volume). Les questionnaires comme les enquêtes ont été menées par des jeunes de baccalauréat professionnel (classe de première) service-accueil. Ce matériau a été complété par l’exploitation de sources diverses : statistiques INSEE, statistiques de l’inspection académique du Gard, sources diverses de l’histoire locale.
L’objectif de cette étude était de vérifier l’hypothèse qu’il existe trois types d’attitudes par rapport à la problématique du projet. Ces trois stades (en projet, projet médian, anti-projet) révèlent une participation active jusqu’à une attitude de retrait par rapport à l’avenir. Il apparaît que ceux qui ont un projet scolaire sont ceux qui sont les plus satisfaits de leur établissement scolaire. Cette satisfaction va déclinante en fonction de la motivation des jeunes à poursuivre des études. Les filles sont plus motivées par l’école que les garçons. Jean-Luc Roques note aussi une différence entre l’attitude des garçons de Bagnols-sur-Cèze et ceux d’Uzès. Ces derniers sont nettement moins motivés par l’école et l’obtention de diplômes. Il constate aussi que plus l’âge des jeunes augmente et plus ils sont impliqués dans un projet professionnel. L’implication dans tout type de projet est plus forte chez ceux qui vivent dans la commune depuis plus de 10 ans. Si le profil sociologique entre en ligne de compte sans expliquer les différences entre les deux communes, Jean-Luc Roques estime que l’effet de lieu joue pour beaucoup. Les deux petites villes présentent des profils différenciés tant au niveau de l’offre scolaire que du marché de l’emploi. « Le système de valeurs dans ces deux petites villes sont forts différents et sous-tendent des types d’attitudes particuliers (tout au moins pour les jeunes de notre population. » (p. 124). Travail saisonnier et « valorisation de l’oisiveté » (en raison de la présence de touristes) expliqueraient la moindre implication des jeunes dans un projet de quelque nature qu’il soit. Alors qu’à Bagnols-sur-Cèze, le milieu est plus favorable à l’intégration : importance du statut de cité atomique. « L’image de travail industrieux structure l’identité et la conscience collective de cette localité » (p.132) même si la situation économique locale s’est dégradée.
« La petite ville est donc un espace particulier qui possède et développe sa propre identité. Elle développe les marchés qu’elle désire. Elle véhicule les images qu’elle souhaite. Elle exerce un contrôle ou une pression sur les individus » (p. 206). Malgré ce constat assez terrible (effet local important), Jean-Luc Roques veut espérer que les choses vont changer. Bagnols-sur-Cèze est en perte de vitesse côté industrie alors qu’à Uzès le tourisme laisse espérer beaucoup de débouchés, y compris pour sa jeunesse.
Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes