« Les grands principes du Front National ont toujours été les mêmes : rétablir l’autorité de l’État ou rétablir la souveraineté nationale, et assurer la pérennité de la civilisation. Voilà les grands principes qui sont les nôtres. »
Marine Le Pen, Le Grand Journal, Canal +, 22 mars 2011.

« Dimanche 7 mai 2017, 20 heures : Marine Le Pen est élue première présidente de la République française avec 50,41 % des voix face à François Hollande. « Elle devient la huitième chef de l’État de la Ve République ! C’est une déflagration. Un séisme politique sans précédent », annonce le journaliste à l’antenne. Le choc est national et planétaire. Éditorialistes, politologues, politiciens de tous bords se succèdent sur les plateaux télé, incrédules et médusés : beaucoup justifient cela par l’abstention, l’absence de coalition, la conjoncture… Des manifestations et des affrontements éclatent dans les heures qui suivent, notamment place de la Bastille. La France se réveille avec la veisalgie… Et après ?

François Durpaire, historien et universitaire spécialisé dans les questions de diversité́ culturelle et consultant médias pour les États-UnisAuteur d’une quinzaine d’ouvrages dont Enseignement de l’histoire et diversité culturelle. Nos ancêtres ne sont pas les Gaulois, Paris, CNDP, Hachette Éducation, 2002. est le premier, dès 2007, à avoir anticipé́ la victoire du jeune sénateur Barack Obama à la présidence des États-Unis. Il récidive au cours de l’hiver 2015 en imaginant cette fois l’arrivée de Marine Le Pen à l’Élysée dans un récit de politique-fiction sur « les jours de Marine Le Pen à l’Élysée », qui s’est transformé en BD politique d’anticipation particulièrement effrayante et bien documentée de l’arrivée du Front national au pouvoir« Toute ressemblance avec des situations existantes ne saurait être que fortuite, à moins qu’elle ne ressemble à la simple application du programme du Front national », annoncent ainsi les auteurs dans le préambule du 1ertome.. Pour ce faire, l’historien s’est entouré d’une équipe de spécialistes pour tenter de cerner avec le plus de précision possible les conséquences économiques, (géo)politiques, culturelles et sociales, à toutes les échelles dont une fine analyse pour l’outre-mer… de l’application stricto sensu du programme du FN. Les lois de surveillance généralisée, prises au lendemain des attentats de janvier 2015, ont également particulièrement retenues l’attention de François DurpaireDURPAIRE F., BOUDJELLAL F., La Présidente, tome I, éd. Demopolis, coll. « Les Arènes BD », novembre 2015, p. 5. Ce projet de roman graphique est ainsi né de la rencontre avec Farid Boudjellal Son premier récit, L’Oud, paraît chez Futuropolis au début des années 1980. Il écrit de nombreux scénarios et dessine plusieurs albums consacrés au thème de l’immigration (Les Soirées d’Abdullah, Mémé́ d’Arménie), à la crise du logement en France (trilogie L’Oud), au racisme (Juifs Arabes, Jambon-beur, Le Beurgeois) et au handicap (Petit Polio). (1953-), né à Toulon et issu de l’immigration algérienne et de l’exode arménien, adopte un graphisme bien différent de ses œuvres habituelles. Dans un style très photographique, il réalise des planches en noir et blanc d’un réalisme saisissant (exception faite de quelques personnalités, difficilement reconnaissables de prime abord) qui accentue le côté obscur et sombre, parfois oppressant, de cette trilogie.

Dans ce premier volet, le lecteur suit donc l’arrivée puis l’installation à l’Élysée de la présidente Marine Le Pen qui concentre, grâce à la constitution de la Ve République, énormément de pouvoirs. Elle constitue ainsi un gouvernement de droite conservatrice et balaye quarante ans de politique européenne par ses premières mesures mélange de politique sociale et de préférence nationale : elle se lance dans un rapport de force avec Bruxelles, négocie avec les États-Unis et avec l’Allemagne d’Angela Merkel, décide rapidement d’une sortie de l’Otan. Dans une crédibilité inquiétante, le lecteur se retrouve au cœur d’une France divisée qui connaît des grèves massives (notamment dans les médias), des expulsions et une chasse aux opposant.e.s, le rétablissement des douanes, la sortie de l’euro par référendum et la surveillance généralisée des citoyens… L’application de ces mesures est vécue à travers le(s) regard(s) des membres d’une famille d’un quartier populaire et de quatre personnages principaux : Tareq, Stéphane, Fati, et la doyenne Antoinette, veuve et ancienne résistante au nazisme. Plutôt que d’entrer dans la lutte armée, Stéphane crée le site resistance.fr et il relaie les mouvements sociaux qui s’opposent à la nouvelle politique de l’État Français. La résistance, notamment numérique, s’organise et le pire semble encore évitable.
Ce premier tome qui s’est vendu à 120 000 exemplaires a été un succès immense et anticipe un certain nombre de faits (géo)politiques qui ont marqué l’actualité de ces deux dernières années. Il est à lire absolument pour contrer l’avertissement des auteurs en préambule : « vous ne pourrez pas dire que ne saviez pas… ».

Ce deuxième volume se veut plus, selon les propos de son auteur, de la « politique fiction » qu’un récit d’anticipation comme le précédent. Quelques mois seulement après l’arrivée de Marine Le Pen à la présidence française, le pays est au bord de l’abîme. La France se retrouve isolée diplomatiquement, les conflits internes sont de plus en plus importants et violents, la sortie de l’euro et le protectionnisme entraînent une crise économique sans précédent et conduisent à la mise en place d’une cure d’austérité drastique : le pays est dans l’impasse.

Sur le plan politique, l’enlèvement du président de l’Assemblée nationale, Florian Philippot, et la pression du Bloc identitaire conduisent le gouvernement et sa chef à opérer un tour de vis sécuritaire important : les expulsions se poursuivent, les opposant.e.s sont écartés, les médias et les citoyen.ne.s sont de plus en plus muselés et contrôlés.

L’action débute en 2021 et les sondages ne sont pas bons pour la présidente, qui est donnée vaincue aux élections de 2022 face au candidat Mohamed Labbes, président du parti Fraternité (mouvement rassemblant la gauche et le centre droit et ouvert sur la société civile dans un large « front républicain »). Sur le plan international, Hillary Clinton n’aura fait qu’un mandat, remplacée par Donald Trump qui met en place son programme : mur avec le Mexique, interdiction des musulmans sur le territoire américain, rupture avec la Chine et rapprochement avec Poutine qui se rêve en tsar éternel. En Grande-Bretagne, Boris Johnson a remplacé Theresa May qui a raté la sortie de l’Europe après le Brexit, tandis qu’en Allemagne, Frauke Petry remplace Angela Merkel fortement critiquée pour sa politique migratoire ouverte. L’UE a volé en éclat et les nationalistes ont fondé l’ANE (Alliance des Nations d’Europe) afin de protéger la forteresse Europe de toute intrusion extérieure.

Sur le plan national, le bloc identitaire a infiltré le gouvernement et l’Élysée et les mesures radicales s’enchaînent. Déchéance de nationalité pour les binationaux puis à toutes et tous commettant des actes « jugés hostiles à la nation » François Durpaire, Farid Boudjellal, La Présidente, tome II, « Totalitaire », éd. Demopolis, coll. « Les Arènes BD », 2016, p. 18. ; l’état d’urgence est intégré à la constitution et tout spectacle, évènement sportif ou culturel doit être autorisé par la préfecture ; la peine de mort a été rétablie pour les terroristes ; les programmes scolaires ont été revus et La Marseillaise est entonnée chaque matin par les élèves, pour lesquels des « cours de morale et d’apprentissage de la nation »Ibid, p. 18 sont instaurés ; le port du foulard et de la kippa est interdit dans les lieux publics (« La République ne reconnaît aucune communauté »Ibid, p. 19.). Enfin, une Journée du drapeau a été instaurée, durant laquelle les Français et les Françaises doivent arborer le drapeau tricolore aux fenêtres sous peine d’amende. Les drones et les robots participent à la surveillance et au contrôle des citoyen.ne.s : la résistance s’organise, tout est encore possible…

Dans ce troisième et dernier volume de la trilogie, le duo Durpaire- Boudjellal est rejoint par Laurent Muller, né en 1969, éditeur de BDIl a été six ans directeur éditorial des collections BD et mangas et directeur des droits audiovisuels chez Glénat. En 2007, il a cofondé les éditions 12 bis. Il est entré aux éditions des Arènes fin 2014 pour créer le département BD. Très impliqué dans l’élaboration de la trilogie La Présidente, il a fini par participer à l’écriture du tome 3, « La Vague ». Juin 2023, le monde semble au bord de l’implosion. Marion Maréchal-Le Pen, qui a remplacé sa tante un an plus tôt, demande par référendum électronique la suppression de la fonction de Premier Ministre. La devise de la France devient « Unité, Modernité, Sécurité » et la fin de l’école est programmée au bénéfice d’un enseignement à domicile avec des cours en ligne très contrôlés. Le totalitarisme s’installe un peu plus avec une série de mesures mises en place avec l’aide des géants du net pour étouffer toute opposition et la diffusion des idées. La surveillance généralisée et globale se met en place. La situation économique et sociale se détériore de manière très alarmante. Le peuple descend massivement dans la rue, manifestant son opposition au gouvernement. Août 2024, nouveau coup de théâtre politique : Marine Le Pen est rappelée au pouvoir ! Le clan Le Pen s’entête dans son idéologie nationaliste. Sur le plan international, Donald Trump et Vladimir Poutine durcissent le ton face à la Chine et aux États du Sud. Avec l’aide de la CIA, les États-Unis apportent leur soutien à la présidente. Un tandem improbable Taubira-Macron se forme afin d’essayer d’inverser le cours des choses…

En définitive, cette trilogie de politique-fiction ou politique civique, parfaitement documentée et glaçante, vaut largement le détour et est indispensable à toutes et tous, afin de saisir les mécanismes et les rouages complexes qui animent la France et le monde aujourd’hui, traversés par les dérives totalitaires et le repli sur soi. L’avenir ne peut appartenir qu’aux peuples et à l’ouverture aux autres et au multiculturalisme pour éviter le chaos.

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Rémi Burlot, pour Les Clionautes