Les éditions Casterman ont fait paraître une très intéressante bande dessinée. Comme l’indique l’exergue, le titre de la La Révolte des terres a été inspiré par le poème « La Saison noire », qu’écrivit René Lacôte alors qu’il était détenu à la prison de Fresnes.

La plus grande grève de l’Europe occupée

Les auteurs ont en effet travaillé sur la grève du 27 mai au 10 juin 1941, qui a paralysé la production minière dans le bassin minier du Nord. Les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais sont alors rattachés au commandement militaire de Bruxelles, avec la Belgique : la pression allemande y est très importante. Les compagnies minières, placées sous la tutelle de l’Oberfeldkommandantur de Lille, doivent augmenter leur production, indispensable à l’effort de guerre du Reich. Les mineurs doivent d’ailleurs travailler une demi-heure de plus à partir du 1er janvier 1941, sans aucun gain de salaire.

Malgré cette pression — et surtout à cause d’elle —, on estime qu’environ 100 000 personnes participent au mouvement social, soit environ 80 % du personnel des mines. Outre les conditions de travail dégradées, à quoi s’ajoute un paiement des salaires par équipe, les causes tiennent au rationnement sévère, en particulier celui du savon indispensable aux gueules noires. L’exemple des Belges, qui « viennent d’obtenir huit pour cent de revalorisation » salariale (p. 22), est un élément externe incitatif non négligeable. Plusieurs dizaines de milliers de mineurs ont en effet bloqué la production charbonnière de la Wallonie (principalement la province de Liège) du 10 au 18 mai 1941, à l’initiative du parti communiste clandestinJulien Lahaut (1884-1950), l’un des dirigeants du parti communiste belge clandestin, se porte à la tête du mouvement. Arrêté le 22 juin 1941, il est emprisonné au fort de Huy d’où, après trois tentatives d’évasion, il est déporté à Neuengamme, dans la région d’Hambourg (Allemagne). Condamné à mort, il est déplacé à Mauthausen en Haute-Autriche, où il est libéré. Il reprend ses fonctions politiques avant d’être assassiné lors de la contestation du roi Léopold III.
Source : fiche biographique du Maitron, dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier-mouvement social.
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Dans le Nord et le Pas-de-Calais, les structures clandestines du parti et des syndicats ont aussi pu renaître, grâce à l’action de dirigeants communistes comme Marthe Desrumaux et Auguste Lecœur qui sont à l’origine de plusieurs débrayages à partir de septembre 1940. Ces épisodes préliminaires ne sont malheureusement pas abordés, ce qui laisse penser au lecteur non averti que la grande grève de 1941 éclate ex nihilo. Mais les auteurs montrent que le mouvement a été amorcé avec la commémoration du Premier Mai.

Les mineurs du puits du Dahomey, à Montigny-en-Gohelle, cessent donc le travail le 27 mai, sous l’impulsion de Michel BrûléMichel Brûlé (1914-1942) est mineur au puits n° 7 « Le Dahomey » des mines de Dourges. Militant communiste, il est le dirigeant des Jeunesses communistes de Montigny-en-Gohelle. Il prend part à la réorganisation du parti et aux mouvements sociaux dès 1940, et notamment de la grève de mai-juin 1941. Michel Brûlé échappe aux arrestations, et continue son activité résistante en multipliant sabotages et attaques (dont celle de la poudrière de Beaumont-en-Artois, le 23 septembre 1941). Arrêté sur dénonciation en octobre 1941, il est enfermé à la prison de Loos ; une tentative d’évasion, concertée avec le groupe de Charles Debarge, échoue le 18 janvier 1942. Michel Brûlé est condamné à mort par le tribunal militaire d’Arras ; il est exécuté le 14 avril 1942 au fort du Vert-Galant, près de Lille, avec trente otages.
Source : fiche biographique du Dictionnaire des fusillés (1940-1944).
, évoqué dans l’ouvrage. Les femmes prennent une part très importante, que les auteurs montrent bien, pour distribuer les tracts ou faire pression sur les éventuels « jaunes ». Émilienne MoptyÉmilienne Mopty (1907-1943), militante communiste et résistante à Montigny-en-Gohelle, son activité est importante dès les mouvement sociaux de 1933-1934. En mai-juin 1941, elle entraîne les femmes à manifester en solidarité avec les mineurs, barrant des routes pour empêcher le passage des voitures de police et des automitrailleuses allemandes. Arrêtée puis libérée, faute d’éléments à charge suffisants, elle est à nouveau arrêtée le 14 mai 1942 par la gendarmerie. Elle parvient à s’évader, et passe dans le clandestinité. Son mari, Adrien Mopty, avait été arrêté et son fils ainé âgé de seize ans avait rejoint les combattants clandestins. Agent de liaison d’un des chefs de la résistance FTPF dans le bassin minier, Charles Debarge, elle transporte des armes et des explosifs et cherche des planques pour les résistants. Elle est arrêtée par la gendarmerie française d’Arras le 16 septembre 1942, alors qu’avec son groupe elle envisageait d’attaquer un peloton d’exécution près de la citadelle d’Arras.
Torturée, traduite devant le tribunal de la Feldkommandantur d’Arras, elle est condamnée à mort. Les Allemands n’exécutant pas les femmes en France, elle est déportée et guillotinée le 18 janvier 1943 à Cologne. Adrien Mopty est d’abord interné à la prison de Bruxelles puis déporté à la citadelle de Huy (Belgique) et au camp de Vught (Pays-Bas), dans deux de ses commandos, puis en Allemagne à Sachsenhausen et à Neuengamme dont il fut libéré le 2 mai 1945.
Quand le corps d’Emilienne fut rapatrié à Hénin-Liétard en 1948, année de la grande grève des mineurs, ses fils étaient incarcérés à la prison de Béthune.
Source : fiche biographique du Dictionnaire des fusillés (1940-1944)
est l’une des grandes figures du mouvement. La répression est cependant importante, du fait de l’activité des forces de l’ordre françaises (symbolisées par le commissaire Moutin). Plus décisive est l’intervention allemande : plusieurs centaines de mineurs sont arrêtés. 273 mineurs sont déportés le 13 juin à la citadelle de Huy (Belgique), et la majeure partie est envoyée au camp de Sachsenhausen ; la moitié d’entre eux périrent ; d’autres sont fusillés.

Après la répression, les autorités allemandes prennent des mesures pour calmer les esprits et relancer la production : dans le contexte de l’invasion de l’URSS en train de se déclencher, les ressources des régions occupées sont essentielles. Les salaires progressent légèrement, et le rationnement se relâche, notamment sur le savon, la viande et les vêtements de travail.

Le récit

Pour évoquer ces événements tragiques, Marion Mousse et KozaMarion Mousse est le pseudonyme de Pierrick Pailharet, Koza celui de Maximilien le Roy. ont opté pour des choix très pertinents. Le récit tourne autour d’un jeune mineur, Ferdinand Ruchot (« avec un « t » »), qui se trouve impliqué alors qu’il cherche à mener une vie tranquille avec sa femme et son enfant, partagé ses loisirs entre les échecs et la pêche à la ligne. Il ne s’agit pas d’un militant : l’identification est ainsi facilitée.
En réalité, on ne sait pas grand chose de ce qu’il pense. Quand on lui met un pinceau dans les mains, il ne refuse pas d’inscrire des slogans sur les murs. L’amitié qui se développe entre l’anarchiste Günther et lui est peut-être plus éclairante : rejeté par son groupe, il n’a guère d’autre choix pour s’en sortir de l’enfer concentrationnaire. Et pourtant, sa mise au ban ne l’empêche pas d’aider ses camarades mineurs, notamment lors de la marche finale. On comprend que l’individualisme conduit à la perte : la solution est forcément collective. On comprend surtout que Ferdinand est le prototype de ces hommes normaux propulsés dans un contexte dramatique, qui ne font rien qui puisse nuire et qui n’hésitent pas à aider quand l’occasion se présente. Un homme simple ; un anonyme qui ne cherche pas à se mettre en valeur.

À Montigny, Ferdinand s’oppose à un autre mineur, Gilles. Celui-ci s’apprête à se marier avec la sœur de sa femme, le 8 juin 1941. Quand la grève est déclenchée, Fredinand est contraint d’y participer malgré lui. Cependant, il est arrêté dans un concours de circonstances assez malheureux. Il est déporté à Huy puis à Sachsenhausen. Mais il est victime d’une ostracisation, en butte à Gilles, qui le fait passer pour un indicateur de la police.

Le récit procède par une série de va-et-vient entre quatre lieux : Montigny-en-Gohelle ; la citadelle d’Huy ; le camp de concentration ; l’hôtel Lutetia. C’est d’ailleurs là que l’histoire commence, en juin 1945, avec la quête de la femme de Ferdinand.

L’accent est mis sur la violence des conditions de détention et la pression qui s’exerce sur le jeune mineur. Pour en rendre compte, les auteurs ont épuré les dialogues ; avec les dessins au noir, rehaussés de gris et d’ombres, cela accentue la lourdeur de l’atmosphère et ses aspects dramatiques. On a l’impression d’un mécanisme qui se déploie inexorablement, broyant les hommes que le hasard lui permet de happer. Le procédé esthétique permet en outre de mettre en valeur les yeux, exorbitants : la peur est un élément prégnant que l’on ressent en permanence, soutenue par une violence débridée. On subit en même temps un mal-aide assez net. Mais les couleurs sombres servent en même temps de lien graphique entre les lieux, notamment entre la mine et Sachsenhausen.

Bien documentée Les auteurs expriment leurs remerciements à Laurent Thiéry et à son étude « La Répression des grèves de mai-juin 1941 », publiée dans la revue d’histoire locale Gauheria, n° 60, 2006, p. 87-102.La Révolte des terres est une bande dessinée qu’on ne peut que recommander, notamment auprès d’un public jeune, mais il saura séduire bien au-delà. Il permettra notamment de replacer dans l’imaginaire collectif l’un des épisodes mal connus de l’Occupation, qui nécessitera, si on veut bien comprendre le contexte historique, de se documenter. Certaines bandes dessinées proposent un dossier final ; peut-être manque-t-il ici, au moins pour que l’on sache que les événements relatés ont réellement existé, chose qu’un lecteur mal informé aurait peut-être tendance à négliger en raison de l’univers quasi-fictionnel dans lequel on est plongé.
L’album rappellera également que, malgré les menaces de la répression, comment l’effort de résistance a pu émerger et se développer, et comment la survie dans les camps a pu se faire, en prenant appui sur la solidarité.

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Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes©