Ses travaux On se reportera au site pour une bibliographie enrichie du texte. croisent via la circulation des cartes institutionnelles, commerciales, participatives, radicales, la géomatique, les géographies de l’information et de l’environnement et la cartographie critique. Retour ligne automatique
A ce titre, ils devraient permettre aux enseignants soucieux d’approfondir leur réflexion sur les usages de la “carte’ en classe de mieux comprendre les enjeux de ce qui se joue dans leurs pratiques et dans la transmission à ceux que l’on a appelé un peu légèrement digital natives tant le manque de réflexion sur leurs usages numériques est grande.
Dans la préface, Gilles PalskyVoir Bio : [http://www.parisgeo.cnrs.fr/spip.php?article155&lang=f->http://www.parisgeo.cnrs.fr/spip.php?article155&lang=f] souligne d’entrée l’omniprésence “envahissante” de la carte sur le web, ces innombrables “petites cartes” – vite faites et mal faites ? Les moyens d’accès se simplifiant toujours plus et les non-spécialistes s’immisçant là comme ailleurs dans ce qui leur était il n’y a pas si longtemps GP parle d’ »histoire déjà ancienne qui remonte à près d’un quart de siècle ». On peut néanmoins être impressionné de la rapidité de l’évolution en question… le domaine réservé des professionnels et qui s’opposeraient au grand récit de la représentation du monde par les cartes officielles et institutionnelles qui ont rythmé les grandes circum-navigations dès l’Antiquité et surtout depuis le XVe siècle. Au grand récit s’opposent ou se juxtaposent plutôt – telle une vision “kaléidoscopique” – des quantités de petits récits qui nous obligent à analyser ces pratiques nouvelles. GP constate le peu de recherches francophonesRetard francophone ou plutôt français pour la réflexion sur le numérique, lié à une méfiance séculaire envers le monde anglo-saxon ? Citons malgré tout Serres, Stiegler, Alexandre…concernant cette “néogéographie” et l’intérêt en conséquence du livre de MN.Si MN se livre à une typologie de la galaxie des “petites cartes”, c’est pour placer ensuite au coeur de son propos la question des pratiques et “l’approche critique de la fabrique cartographique des petites cartes du web” : le pari est ici de renouveler la pensée critique en cartographie que John Brian Harley a initiée au milieu des années 90, puis à travers l’exemple de la Guyane de montrer “sans naïveté ni irénisme” l’intérêt de cette “contre-cartographie”.
Chapitre 1 La fin des grands récits cartographiques et la profusion des petites cartes
“Toute carte est un double spectacle : celui du territoire représenté, et celui des moyens mis en oeuvre pour produire cette représentation”. Retour ligne automatique
Henri Desbois, La carte et le territoire à l’ère numérique, 2015, p. 58
Passage de témoin entre 2 mondes qui se côtoient encore mais pour combien de temps ? Les grands récits cartographiques appartiennent à l’histoire qui associait exploration de mondes inconnus et prouesses technologiques ; or l’histoire – récente – de la cartographie numérique et des systèmes d’informations géographiques, s’il elle abandonne les grandes aventures, continue sous d’autres formes les progrès technologiques.
L’Institut Géographique National (IGN) va alors produire des fonds de plans numériques à la fois scientifiques et institutionnels, mais la simplification de la technologie fait exploser la production de données géographiques publiques sans que les organismes (SIG) créés se soucient d’une quelconque cohérence commune…
C’est dans ce contexte qu’arrive en 2006 GoogleMaps. Les grands groupes américains de l’internet ont compris l’intérêt de mettre en synergie l’accès à la recherche pour les utilisateurs de contenus et leur indexation spatiale.
La découverte par les utilisateurs du web d’un tout autre paysage que celui qui leur était donné par les cartes murales de l’école ou les cartes d’Etat major des randonnées en famille est un grand moment de l’histoire glorieuse de Google. De portail “moteur de recherche” porté par un algorithme –Page-Rank-autant performant que mystérieux, la société californienne se mue en un pourvoyeur de rêves géographiques nouveaux à toutes les échelles du “local familial” (ma maison, ma rue) au planisphère.
Conséquence indirecte, le fond cartographique, devenu pour le citoyen interface des dispositifs de recherche, voit ses caractéristiques historiques (statique, égalitaire, exhaustif et légitime institutionnellement Extrait de la note 2003-CNIG-085 du document de doctrine sur la notion de référentiel géographique par le Conseil National de l’Information Géographique : « les données (…) sont placées sous la responsabilité d’une structure publique (…). Les utilisateurs accordent aux données de référence un niveau de confiance très élevé, lié à la légitimité de l’organisme responsable (…). Elles offrent une couverture exhaustive du territoire. ) en concurrence avec la possibilité de produire un environnement cartographique dynamique et personnalisé.
Les grands récits cartographiques auront donc été complétés puis contournés par la production pléthorique de ce que l’auteur nomme “petites cartes du web”…
2- Vers un renouvellement de la critique : de la carte à la fabrique cartographique.
D’abord « renouveler » la pensée des fondateurs, Harley en tête, pour analyser à leur tour ce que sont les « petites cartes du web » en ne se contentant pas d’un regard technique ou économique, pour ensuite se tourner vers le processus de fabrication des cartes. Là est selon l’auteur la clé d’une nouvelle approche de la cartographie critique : dans la fabrication (map making) accompagnant et expliquant la prolifération des dites cartes.
Ce qui s’est joué dans la dernière décennie avec les “petites cartes du web” oblige la géographie et les géographes à réfléchir sur leur prolifération et leur institutionnalisation. Pour l’auteur, il ne s’agit pas seulement ici de décrypter les objets en question mais surtout de partir d’elles pour renouveler la cartographie critique en insistant sur la fabrication (map making) plutôt que sur le produit lui-même (map).
D’abord faire retour sur les acquis de la cartographie critique : En 1989, J.B. Harley publie un article intitulé “Deconstructing the map” dans la revue canadienne Cartographica. Considéré comme une provocation dans le milieu institutionnel lors de sa parution, il est devenu aujourd’hui une référence incontournable… Harley conçoit en effet la carte non comme “miroir de la nature” mais comme des textes culturels à déconstruire selon les méthodologies proposées par Jacques Derrida et Michel Foucault Michel Foucault « Questions à Michel Foucault sur la géographie« , 1976. quant aux relations entre savoir et pouvoir.
Harley a ouvert la porte dans le monde des chercheurs en sciences sociales à une réinterrogation du statut de la carte, objet de pouvoir et attribut du pouvoir, mais il est resté méfiant vis à vis des méthodes assistées par ordinateur qu’il considère comme “rendant la rhétorique scientiste des cartographes encore plus marquée”. Ce seront les chercheurs américains qui mettront les premiers en résonance les questionnements de Harley avec les SIGPour un panorama des questionnements de l’époque (SIG « participatifs » ou approches féministes des SIG), voir H. Desbois, « La carte et le territoire à l’ère numérique« , 2015 autour de deux courants : le premier établissant que les cartes ne constituent pas des “relevés passifs” mais un discours rhétorique profondément influencé par les facteurs culturels et sociaux comme le montrait déjà Harley, le second insistant sur l’effet performatif des formes cartographiques sur la pensée des acteurs : la “carte-preuve”, “arme inaltérable du faire-paraître vrai”.
Les enseignants qui s’interrogent déjà sur ce qui se joue avec les usages numériques à l’école ne seront pas surpris d’apprendre que nombre de fabricants de « petites cartes » se seront concentrés – la simplicité technique aidant – sur l’intention finale de leur propos considérée comme porteuse d’une vérité dont l’évidence dans leur esprit ne fait pas débat.
Question récurrente à laquelle les concepteurs de cartes n’échappent donc pas.
Ensuite l’enjeu de son renouvellement :
Si Harley pouvait retracer le parcours « biographique » d’un cartographe ou même d’un collectionneur, le temps de la cartographie numérique complexifie ce décryptage : support virtuel et paysage reconstitué, l’utilisateur peut être aussi bien consommateur que producteur ; la porosité des positions dans l’économie numérique rend – comme on l’a déjà vu – les distinctions de compétence et de hiérarchie floues, ce qui peut s’avérer également un avantage obligeant à repenser les codes usuels. Ce faisant, l’auteur en propose deux :
- « l’hybridation des données numériques » ainsi qu’en rendent compte les néologismes produsers et proam qui tendent ici à accréditer la thèse que si la « fracture numérique » reste une réalité incontournable, la compétence numérique chère à Milad DoueihiM. Doueihi, La Grande Conversion numérique, 2008 – au passage un des grands théoriciens francophones du numérique dont on aimerait entendre parler plus souvent – s’accroit, tandis que les différences entre « producteurs / utilisateurs » « pros » et « amateurs » s’amenuisent. C’est en conséquence dans les usages que MN invite à explorer, les usagers étant loin d’être tous naïfs quant à leur pratiques et à leur intentionnalité.
- Leur malléabilité : c’est la pratique du mashup, couches venues de données et d’applications différentes se mélangeant pour former un nouvel objet censé être qualitativement et subjectivement supérieur aux parties qui l’ont permis. L’histoire du 1er mashup créé pour des recherches immobilières à partir d’un fond de carte aspiré de GoogleMaps deux mois après la sortie de ce service est édifiante : non seulement le fauteur de troubles es copyright n’est pas poursuivi mais embauché, mais Google rend public son APIInterface de programmation ou Application Programming Interface permettant ainsi aux utilisateurs de personnaliser leur données à partir de la carte. D’où les succès d’outils ludiques comme Panoramio à l’école Que Google a débarqué fin 2016 pour valoriser GooglePhotos …
Intentionnalités personnelles, commerciales, ludiques, pédagogiquesUn domaine qui se développe et dont les pratiques devraient générer des études à venir…, citoyennes – les cartes du web n’échappant pas au bien commun revendiqué par l’économie de partage. Sauf que l’exhaustivité n’est guère de mise tant la multiplication des pratiques, leurs interactions restent complexes à classifier, tant les acteurs peuvent sans toujours en avoir conscience, « brouiller les cartes »…
De la carte à l’analyse de la fabrique de la carte :Retour ligne automatique
A la manière de Harley proposant de déconstruire la carte papier en retirant les contenus sémantiques de son « cadre blanc », Mathieu Noucher nous propose d’aller à la recherche des non-dits de la « petite carte », soit les nombreux éléments contextuels formant en arrière un archipel cartographique de ce qui l’a précédé en étant à l’origine de sa fabrication.
3- Analyser les cartes “en train de se faire” – Etude de cas en Guyane.
Pourquoi la Guyane ?
Si cette portion de l’Amérique “française” a connu ses épopées cartographiques coloniales, sa situation géographique entre Brésil et Suriname, son étendue – l’équivalent de l’Autriche, sa très faible densité – 3,2 hab/km2, sa couverture nuageuse intense rendant difficile les prises de vues aériennes ont paradoxalement fait de la Guyane un territoire à fort enjeu informationnel. Retour ligne automatique
L’auteur en fait donc ici un laboratoire de “cartes en train de se faire”, issues de demandes d’acteurs dont les contextualités s’opposent.
Le point de départ est de retracer la circulation de la carte d’orientation minière…
Cette carte qui est censée faire la démarcation entre activités minières autorisées et interdites a été l’objet de controverses lors de la phase d’enquête publique. Jusque là, rien d’exceptionnel pour un schéma qui divise les acteurs – les conflits d’usage sont légion en métropole. Là, Mathieu Noucher s’est livré à une démarche rigoureuse de déconstruction de la synthèse obtenue, à la fois en remontant aux différentes couches préalables qui l’ont constituée et aux acteurs qui les ont utilisées au moyen d’enquêtes de terrain et d’entretiens croisés.
… Qui met en évidence une région aurifère avec des perspectives de développement contradictoires…
D’un côté un des gisements régionaux les plus prometteurs, évalué à au moins 120 tonnes d’or par an, qui mobilise les professionnels du secteur mais aussi de nombreux orpailleurs clandestins – les garimpeiros venus du Brésil et du Suriname voisins – avec les inévitables conséquences de précarité humaine et de dégâts environnementaux, de l’autre une population guyanaise qui balance entre les impératifs de respect de la biodiversité et le désir de s’approprier localement un développement piloté par l’Etat suspect en la matière d’attitude néo-colonialiste. Retour ligne automatique
L’Etat avait d’ailleurs cherché à assainir des pratiques opaques d’attribution de concessions antérieures en mettant en place le SDOM (Schéma départemental d’orientation minière) avec un document dont la carte de synthèse est issue et dont la traduction territoriale sera répercutée sur les ScoT et Plu régionaux.
… Et qui cristallise les oppositions…
Parmi les multiples avis qui contestent la carte, trois expriment des points de vue divergents issus de la société guyanaise mais ont en commun d’y cristalliser leur rejet du projet gouvernemental : Retour ligne automatique
La Fédération des opérateurs miniers de Guyane (FEDOMG) ainsi que le Komité de sauvegarde de l’orpaillage guyanais (KSOG) y voient une restriction trop importante des zones d’exploitation dictée par le lobby environnemental, un encouragement à l’orpaillage illégal et un frein au développement local. D’où la production d’une contre-carte compilant données originelles brutes du web et données d’inventaires du “potentiel minier” fournies par la fédération qui propose une surface d’exploitation non plus de 50% mais de 75% du territoire guyanais. Retour ligne automatique
Les associations de protection de l’environnement se mobilisent elles aussi contre la carte, mais pour des raisons bien différentes liées en priorité aux lacunes de connaissances concernant la biodiversité guyanaise, mettant ainsi en évidence le fait que le zonage du SDOM privilégie les espaces protégés au détriment des espèces protégées . Ils produisent alors leur propre carte à l’aide des données de la plateforme Faune Guyane.Retour ligne automatique
Enfin le Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenge, organisme officiel récent chargé de conseiller les collectivités territoriales quant aux impacts de projets d’aménagement sur leurs zones de vie, a condamné l’extension de zones d’exploitation sur leurs territoires et réclamé « l’élaboration d’une cartographie participative”.
… Mais qui s’adapte, pour garder un rôle central, renforcé finalement par le numérique :
d’alternatives au récit institutionnel classique. Au delà de la prolifération de la production de “petites cartes” par les amateurs, il s’agit bien ici d’enjeux essentiels quant aux types de développement à venir, ici pour la Guyane.
La concertation aboutit à un compromis qui modifie la carte – à la marge – et dans lequel les groupes disposant d’une avantage comparatif ont plus les moyens d’imposer leurs vues que les communautés indigènes plus démunies techniquement et qui doivent s’appuyer sur une revendication participative pour ne pas être marginalisés. Retour ligne automatique
Ce que nous aurions pu anticiper à la lecture du 1er chapitre – un déplacement du pouvoir conféré par la carte à ceux qui la produisent – ne s’est pas produit : si le Parc amazonien de Guyane a pu produire ses propres outils dans le cadre de la démarche participative liée au code de l’Environnement, il n’a pu se passer des espaces de zonage définis par la carte du SDOM pour penser l’avenir du parc…
http://carto.geoguyane.fr/1/sdom.map
Ainsi la carte produite par l’Etat même légendée comme ne constituant “qu’un caractère indicatif et provisoire” garde la main. Mieux (?), sa malléabilité due au numérique la renforce comme document d’autorité.
C’est ce que confirme une autre étude cartographique sur la circulation des toponymes teko et wayãpi menée par l’auteur selon la double approche déjà décrite, 1- technique, par le décryptage des systèmes numériques, 2- sociologique, par des entretiens menés avec les acteurs.
On sait comment les toponymies “africaines” du temps des colonisations ont été au service de l’exploitation des ressources ; or il semble bien que la malléabilité des bases de données (facilité de fabrication, vitesse de propagation, recyclage récurrent par les réseaux) leur donne l’autorité naguère conférée aux grands récits cartographiques. C’est le cas pour la banque de données toponymiques GeoNames, de source libre, avec un wiki permettant à tout un chacun d’y indexer et géolocaliser les noms de son choix et gérée par les usagers eux-mêmes. Avec plus de 10 millions de noms et des centaines de milliers de requêtes, elles s’impose comme un standard de fait mais sa représentation cartographique pose question : ainsi les différentes plateformes qui s’emboîtent telles des poupées russes “moissonnent” certaines données comme celle des noms indigènes guyanais qui disparaissent car non pris en compte par les algorithmes – chaque couche fragmentant les données et permettant ainsi leurs récupération ou leur suppression – ou parce que leur statut juridique – la base de données GéoGuyane n’étant pas formellement sous licence libre – ne l’autorise pas. Si l’on compare les deux plateformes, celle à l’origine, locale et celle terminale, mondiale, l’effet est saisissant :
Sur cette carte et sur le lien qui suit, la cartographie du Parc amazonien de Guyane avec les toponymes en trois langues avec l’appropriation par les habitants de leur espace actuel, linguistique, historique.
Et ce qui reste de la même zone dans la base toponymique mondiale Geonames, soit une quinzaine de noms pour moitié en français et en brésilien :
http://www.geonames.org/maps/google_3.169_-52.335.html
Ainsi réapparaît la fracture numérique évoquée dans le 1er chapitre par l’auteur, là où on attendait un processus d’émancipation et d’empowerment. Pour être visible dans le débat public, il reste nécessaire de maîtriser les “bons” outils (cartographie institutionnelle ou contre-cartes) capables de faire bouger les lignes, tandis que les wikis participatifs des communautés amérindiennes se seront perdus en route…
Conclusion : Aux géographes de se réarmer sur le plan critique !
25 ans après, la critique radicale d’Harley dans “Deconstructing the Map” est devenue académique. Pis, une forme de “néo-positivisme numérique” se répand, généré par tout ce que le système techno-numérique permet de produire si facilement en faisant l’économie de tout regard critique. M. Goodchild avertissait récemment de ce paradoxe : “Critical GIS is in danger to become invisible”.
Mathieu Noucher invite donc la communauté des chercheurs à un “réarmement critique” avec ce double enracinement sur le terrain qu’il aura théorisé et pratiqué, en se confrontant à la fois aux acteurs ainsi qu’à la complexité des infrastructures techniques du web.
Ce qui pose in fine la question de l’articulation entre les chercheurs universitaires s’engageant dans une démarche critique et les professeurs en charge de la discipline géographique en général et des cartes en particulier à l’école qui auront à éveiller leurs élèves là comme dans toute pratique numérique à ce qui se cache derrière des usages considérés comme vérité a priori.