L’université de Rouen entretient une très ancienne tradition de spécialisation sur la Révolution française. Nos deux collègues rouennais, Michel Biard et Pascal Dupuy, viennent d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice, avec la troisième édition de leur ouvrage.

Saluons, avant d’entrer dans le vif du sujet, la célèbre « collection U » des éditions Armand Colin, avec laquelle nous avons tant appris, depuis si longtemps. En ces jours où l’ineptie fleurit plus que jamais dans l’édition française, il est important de rendre hommage à une collection qui continue de rendre de signalés services aux étudiants que nous fumes et aux enseignants que nous sommes à présent.

Parmi les travaux de recherche publiés par les deux auteurs, relevons, de Michel Biard, son Danton, le mythe et l’histoire, chez le même éditeur, ainsi que sa participation à la collection de la nouvelle histoire de France chez Belin, Révolution, Consulat, Empire 1789-1815. De Pascal Dupuy, on pourra lire La fête de la Fédération. Autrement dit, deux excellents spécialistes de la période.

C’est en revanche en non spécialiste que nous avons abordé cet ouvrage. Sans doute cette période, qui fut une étape essentielle, fondatrice de la nation française, justifie-t-elle une curiosité renouvelée, curiosité d’historien mais aussi de citoyen

Nous n’apprendrons certainement rien à personne en disant que La Révolution française de Biard et Dupuy est une excellente synthèse sur le sujet. Non seulement l’ouvrage est clair, documenté, à jour, mais il est aussi pénétrant et bien écrit. Il est même à conseiller à tous ceux qui veulent savoir ce que veut dire une pensée organisée. Son plan général, organisé en deux parties de 14 chapitres au total, est un modèle du genre : on n’y trouvera pas les catalogues déséquilibrés de nombreuses ouvrages prétendus universitaires, où le plan à tiroirs inégaux tient lieu de structure bancale ; ici, au contraire, le mouvement de la pensée est cohérent, équilibré, limpide aux yeux d’un lecteur pourtant non spécialiste. Le style et l’enchaînement logique des idées pourraient utilement servir de modèle. On envie les étudiants qui pourront, par devoir puis, nous l’espérons, par plaisir, s’y plonger pour avancer dans leur cursus.

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Le livre de nos collègues rouennais permet de faire le point sur les travaux publiés depuis le Bicentenaire, dont on sait qu’il fut un formidable accélérateur de la recherche sur le sujet. Depuis 1989, pourtant, constatent les auteurs, la recherche « ne s’est pas tarie, loin s’en faut » (ce que confirme par ailleurs une bibliographie très dense de 18 pages). C’est donc à une mise au point sur 20 ans de travaux récents que nous convient Michel Bard et Pascal Dupuy.

Une chronologie de 40 pages, située en fin de volume, permettra à chacun de restituer la cohérence linéaire des événements. Les auteurs conseillent pourtant la lecture complémentaire d’un manuel plus ancien, « fondé sur un récit traditionnel », qui permettra de « mieux suivre le fil événementiel ». Inutile précaution, comme dirait Beaumarchais, tant la première des deux parties permet de rendre compte, de façon certes synthétique, du déroulement chronologique de la Révolution. La deuxième partie développe ensuite des thèmes précis, « essentiels et/ou renouvelés ces dernières années ».

Dans leur introduction, les auteurs précisent leur fil conducteur. Deux aspects guideront leur étude : d’une part, la Révolution comme rupture majeure, étape fondamentale dans la naissance de la démocratie en France ; d’autre part, « la Révolution saisie dans son environnement international », celui-ci ne se réduisant pas aux années de guerre.

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Balayons rapidement le livre, en s’abstenant toutefois d’en déflorer le contenu : entreprise d’ailleurs vaine en raison de la richesse de ces 354 pages.

Le premier chapitre – Le siècle des Révolutions – analyse les troubles révolutionnaires des deux côtés de l’Atlantique antérieurs à 1789. On comprend bien, toutefois, que seule la Révolution française, par « son radicalisme, son soutien populaire et son incarnation dans l’Etat le plus puissant d’Europe » imposera « une nouvelle vision du monde et de la société ». Le chapitre 2 – Naissance d’une révolution – fait le point des tensions sociales et de l’incapacité du régime à se réformer. On y lit notamment les formes multiples de la « rébellion française » qui précéda la Révolution, les fragilités du régime royal et l’échec des tentatives de réforme. Les chapitres suivant évoquent classiquement, mais toujours en faisant le point des recherches récentes, 1789, l’« année sans pareille », la monarchie constitutionnelle (1798-1792), puis la République « assiégée » (1792-1794), avec des passages très stimulants sur la Terreur, et enfin une « République sans Révolution » (1795-1804), qui justifie d’ailleurs le choix de 1804 et la naissance de l’Empire comme terme de l’étude.

Si ces premiers chapitres ne sont pas événementiels, mais plutôt abordés de façon thématique et synthétique dans le détail, leur succession répond à une progression chronologique. Ce n’est pas le cas des chapitres suivants (7 à 14), qui sont consacrés à des thèmes particuliers.

Le chapitre 7 – l’apprentissage de la politique – montre à quel point la Révolution a innové en instaurant des formes démocratiques de représentation politique, qui fondent la démocratie contemporaine. Le chapitre 8 – Luttes rurales et Révolution – bat en brèche l’idée de campagnes nécessairement anti- voire contre-révolutionnaires. Le chapitre 9 – Religion et Révolution – établit que, malgré une culture largement catholique des révolutionnaires de 1789, l’Eglise sortira très ébranlée d’une période marquée par une déchristianisation dont nous ressentons encore aujourd’hui les effets : 1905 sortira de là. Le chapitre 10 – Révolution et culture – montre l’ampleur des ruptures culturelles de la période, et l’installation d’une solide tradition républicaine. Le chapitre 11 – Résistances et oppositions – s’attache à la Contre-Révolution et à l’Anti-Révolution. Les chapitres 12 – De la déclaration de paix au monde à la « Grande Nation » – et 13 – le monde et la Révolution – précèdent un chapitre 14 – la France à l’aube du XIXe siècle – en forme de conclusion.

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Mieux qu’une histoire événementielle, cette histoire thématique et problématisée de la Révolution française montre à quel point la Révolution fut rupture, à quel point elle ne fut pas une révolution comme d’autres en son siècle, mais le creuset de la démocratie en France… et sans doute dans le monde.

Certes ouvrage universitaire, outil de travail de référence, synthèse des recherches les plus récentes, la Révolution française de Biard et Dupuy ouvre à des réflexions immenses sur ce que nous sommes et quel régime nous voulons. En cela, ce livre dépasse de très loin ses ambitions initiales, d’étude des dynamiques et des influences de la Révolution : exaspérante modestie ! Courez donc lire ce livre : il parle du passé, mais explique le présent et questionne l’avenir.

Christophe CLAVEL
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