Geoffrey Parker : La révolution militaire. La guerre et l’essor de l’occident
Folio Histoire Gallimard

Cet ouvrage est une réédition de la traduction française publiée en 1993 du titre original anglais des presses universitaires de Cambridge paru en 1988.
Ce livre est particulièrement intéressant, au-delà du public traditionnel des familiers de la chose militaire, et nous en comptons quelques-uns chez les Clionautes, pour les professeurs d’histoire de tous les ordres d’enseignement, du second degré à l’enseignement supérieur en passant par les classes préparatoires. L’intérêt de cet ouvrage est d’établir le lien entre le processus très souvent étudié de la révolution industrielle et du phénomène de mutation de l’ordre militaire qui affecte l’Occident contre le début du XVIe siècle est celui du XIXe. Très heureusement publié dans une collection à petit budget, cet ouvrage présente également l’intérêt d’apporter une vision globale sur toutes les questions militaires, y compris dans les relations avec les mondes africains, moyen orientaux, méso-américains et extrêmes orientaux. De ce point de vue, notamment pour les questions qui surprennent parfois et qui suscitent également des polémiques intéressées toute référence à des casaleries n’est pas une coïncidence , à propos des empires africains du Mali, du Ghana et du Songhai, cet ouvrage est particulièrement précieux.

L’œuvre de Geoffrey Parker permet de comprendre comment le monde occidental a pu imposer sa supériorité aux différents empires qu’il a affrontés. La question de l’utilisation des armes à feu n’est qu’une partie du problème. Il faut attendre le milieu du XIXe siècle, et encore mieux l’apparition de la mitrailleuse et du tir en rafale pour que la question se pose réellement. Dans l’affrontement entre les armées occidentales et les populations qui sont soumises, ce sont les questions d’organisation, de logistique et de conception de la guerre qui font la différence.
On retrouve cet argumentaire dans plusieurs chapitres de l’ouvrage et notamment celui qui concerne « la guerre des services », au sens où l’on entend tout ce qui relève de l’équipement, des approvisionnements, bref de la logistique.

L’armée permanente

Au début de la période traitée c’est bien la question de l’armée permanente qui pose les bases d’une organisation militaire intégrée, aussi bien sur terre que sur mer. Pour ce qui concerne la marine, Geoffrey Parker explique comment et pourquoi les îles britanniques se sont peu à peu imposées, en reprenant ce qu’il y avait de meilleur dans les marines espagnoles et hollandaises. Au passage, et aux côtés de développements techniques intéressants comme l’apparition de l’affût roulant pour les pièces d’artillerie de marine, l’auteur explique que face à la Chine, au Japon, et surtout à la Corée, avec ses navires tortues, ancêtres des cuirassés modernes, le monde occidental a eu des difficultés, jusqu’à la révolution de la vapeur et du canon à tir rapide. Encore une fois la démonstration de force de 1853 du commodore Perry en rade de Tokyo rappelle cette domination de l’Europe à partir du milieu du XIXe siècle.
Le livre rappelle des éléments intéressants sur les armées européennes dont certaines, comme l’armée suédoise au XVIIe siècle faisaient trembler l’Europe avant que la bataille de la Poltava en 1720 ne mette un terme à cette aventure.

De la terre à la mer

Le livre comporte des illustrations dont certaines sont difficilement lisibles en édition de poche, qui montrent des points particuliers des arguments de l’auteur. Les gravures des fortifications pour la guerre de siège, l’organisation des défenses, largement reprise par Vauban, à partir de ce que l’on appelle des le seizième siècle « la trace italienne », la mise en œuvre des systèmes de santé et les systèmes de batteries, apportent des éclairages pertinents aux propos de l’auteur.
Parmi les réflexions que la lecture de cet ouvrage suscite, on peut retrouver une analyse en termes de causalité circulaire : qui de la révolution militaire ou de la révolution industrielle a pu susciter le décollage économique de l’Occident, et par voie de conséquence le retard pris par les autres grandes civilisations ? La question ne relève pas simplement d’un jeu intellectuel, dans l’analyse historique des sociétés, on sait que les questions militaires exigent une forme d’excellence technique qui favorise l’innovation qui irrigue ensuite l’économie « civile ». Ce sont peut-être des facteurs culturels dans d’autres cultures, qui favorisaient l’exploit guerrier individuel au détriment de l’action coordonnée de la piétaille, qui explique comment le monde occidental a pu s’imposer et dominer le monde. Mais les armes qui ont forgé cette victoire ont depuis, largement été reprises par les puissances non européennes qui disputent aux anciennes grandes puissances le leadership dont elles ont été privées pendant quelques siècles.

Bruno Modica