Mathieu Souyris avait présenté cet ouvrage dès sa sortie en 2009. L’initiative de l’éditeur qui vise à rendre accessible cet ouvrage qui évoque les jeunes dans les années noires est louable. Une façon de rappeler que l’évocation des jeunes qui s’engagent ne se limite pas à la célébration officielle, mais oubliée depuis, de Guy Môquet.

Avant de lire la Rose et l’Edelweiss, bien visible en tête de gondole dans la plupart des librairies, il faut rappeler le « statut » particulier de son auteur, Roger Faligot. Défini comme « journaliste et écrivain breton », il tranche avec le profil de la plupart des auteurs spécialisés qui apparaissent régulièrement sur ce site web. Roger Faligot est avant tout un conteur, et son ouvrage va délibérément dans le sens de la vulgarisation. Mais quelle œuvre utile ! L’angle d’attaque de Faligot est de dire : les résistants adultes se sont appropriés toute l’histoire de la résistance face au nazisme, il est donc temps de mettre en lumière le rôle des adolescents dans l’histoire de la seconde guerre mondiale. L’entreprise est vaste, et elle suit toujours le même principe narrateur : un fait accrocheur en début de chapitre, centré sur une personnalité marquante, puis une mise en contexte suivie d’autres faits moins marquants, dans une approche plus historique et moins émotionnelle. Quand, il y a peu, la lettre de Guy Môquet était critiquée pour son côté émotif, le parti pris de Roger Faligot est, justement, de valoriser l’émotion et la fusion empathique pour ces jeunes résistants. Il se justifie d’ailleurs en fin de chapitre en se déclarant solidaire de l’appel lancé par Laurent Joffrin dans Libération : il faut lire la lettre de Môquet car elle est le symbole d’une « résistance éternelle ». Roger Faligot livre ainsi un véritable plaidoyer pour la résistance spontanée, parfois naïve, parfois consciente du danger exercée par tous ces groupes de jeunes gens entre 1933 et 1945 : on y trouvera bien évidemment le mouvement de la Rose Blanche de Hans et Sophie Scholl, mais aussi les curieux Pirates de l’Edelweiss de Cologne, les activistes alsaciens de la Main Noire, les révoltés juifs des camps d’extermination, les scouts anglophiles, les lycéens zazous de Paris, les partisans italiens ou encore les danois du Club Churchill. Il est amusant de voir comment les anglicismes étaient autant de signes de résistance dans l’Europe occupée, notamment autour du mot « swing », décliné sur tous les modes. Faligot évoque aussi les résistants soviétiques, jeunes partisans du Komsomol et on ne peut s’empêcher de penser à une certaine fanatisation chez ces garçons et filles beaucoup moins insouciants que leurs homologues d’Europe de l’Ouest. Une fanatisation qu’on retrouvera chez les Hitler Jugend, les Ballili italiens ou encore les régiments dormants de jeunes Werewolves (Loups Garous) mis en place par les nazis en 1945 pour lutter contre les américains et les soviétiques : ici la force et la fougue de la jeunesse est utilisée pour d’autres objectifs idéologiques.

La force du livre, c’est qu’on alterne entre le pittoresque touchant et l’effroyable, chez des gens qui ont le même âge. Ainsi on peut distinguer la résistance insouciante des zazous ou des swing kids, fils et filles de la bourgeoisie européenne rapidement remis dans le rang, celle plus populaire des Pirates de l’Edelweiss en Allemagne, avec son lot de petites frappes, la résistance déterminée des « scouts gris » de Varsovie ou des réseaux français avec une conscience plus franche de la mort possible et, enfin, la résistance acharnée et fanatique des jeunesses soviétiques. On remarquera aussi les hésitations, les revirements, les trahisons, les atermoiements de chacun, les évolutions idéologiques. Un exemple : quand Hitler arrive au pouvoir, le mouvement qu’on qualifierait aujourd’hui d’écologiste-naturiste des jeunes Wandervögel se divise en deux : la majorité rejoint Hitler et deviennent des pimpfe (jeunes nazis) actifs, l’autre se lance dans une résistance sourde et discrète.

Dans cet ouvrage, chaque chapitre est un morceau d’anthologie, qui plonge à pleines mains dans la substance humaine, dans sa capacité soit à s’indigner, soit à suivre le mouvement, ou encore à renoncer…parfois les trois. Comme Roger Faligot n’est pas académique, le livre est écrit avec verve, avec des expressions familières. Il évoque les « gars », les « filles », les mouvements culturels, leurs petits à-côtés, leurs petites vies, parfois très courtes, de gamins et de gamines, le tout avec un grand respect et une énorme tendresse. Ce sont les jeunes filles qui illuminent surtout cet ouvrage, si bien qu’il semble que Roger Faligot éprouve un léger béguin communicatif pour chacune d’entre elles. C’est ici, peut être, le seul reproche qu’on pourra faire à cet ouvrage : l’absence de rationnel, de mots neutres, bref : d’approche technique et historienne. Mais c’est peu de choses par rapport à la porte dévoilée sur ce monde adolescent dans un monde dangereux, où le poids des ans n’avait pas encore laissé la marque de la désillusion, du renoncement et de l’amertume.

Mathieu Souyris

Annexe

Connaissez-vous la Rose blanche, les Pirates de l’edelweiss, la Main noire ou la Bande du Boul’Mich ? Dans toute l’Europe occupée, ces groupes d’« enfants de la liberté », âgés de douze à dix-neuf ans, ont combattu le nazisme. Obligeant souvent les adultes à s’engager, ils ont été de tous les maquis : français, italiens, soviétiques, polonais… Roger Faligot retrace, dans ce premier livre sur le sujet, la poignante épopée de ces centaines de milliers d’ados, qui, à partir de simples gestes de solidarité, se sont ensuite engagés dans la Résistance au péril de leur vie.
En Allemagne, les Pirates de l’edelweiss combattent dès 1933 le parti nazi. Au Danemark, le Club Churchill allume la mèche de l’action secrète. À Auschwitz, Rerza Robota et ses camarades de déportation font sauter un four crématoire. En France, l’auteur fait revivre les manifs lycéennes du 11 novembre 1940 ; les opérations de la Main noire contre les chefs nazis en Alsace, la chasse au renseignement des enfants-espions de Lorraine la mystérieuse histoire de la Bretonne Anne Corre, les actions de guérilla de Thomas Elek du groupe de l’Affiche rouge à Paris.
Ce palpitant récit, nourri de documents et de témoignages inédits, pose la question de savoir pourquoi ces ados n’apparaissent pas clans l’histoire officielle de la Résistance. Enfin, ces différentes trajectoires n’ont pas fini de faire réfléchir, jeunes et moins jeunes, sur toutes les manières de dire « non » et d’organiser sa révolte face à l’oppression.