Quand la libération tourne à l’aliénation et à la dépossession. Cet essai convaincant signé Kris Manjapra dévoile tout le processus qui, des Antilles à l’Amérique du Nord et au continent africain, a délaissé la justice au profit d’injustices notoires.
C’est à l’histoire de l’imparfaite abolition que nous convie Kris Manjapra, né en 1978 aux Etats-Unis et professeur d’histoire à l’université de Tufts (Massachusetts). C’est aussi une contribution à la cause des réparations qu’il livre à travers six chapitres explicites, tournés vers l’administration des preuves du vol organisé autour des émancipations et/ou des indépendances.
Contre la glorification de l’histoire abolitionniste, K. Manjapra impose son travail qui place l’agency des esclaves au premier plan. Dans ce but, sources juridiques, témoignages anciens et récents se superposent. Les Etats du Nord en prennent pour leur grade, tout comme Abraham Lincoln, et l’ouvrage nous fait prendre conscience d’une liberté octroyée sans moyens. A contrario, les mouvements panafricanistes du XIXe siècle, le poids de certains lettrés afro-américains (Du Bois) soulignent une vision parfois militante que le lexique tend à confirmer.
L’échec de l’émancipation
En creux se dessine donc l’histoire d’une abolition juste qui ne fut jamais à l’ordre du jour (les lois Jim Crow aux Etats-Unis en constituant un des parangons). Le titre original du livre, Black Ghost of Empire : The long death of slavery and failure of emancipation, insiste également sur un processus long, mais semble plus explicite (l’échec de l’émancipation). Toutefois, il faut garder à l’esprit que dans les Antilles anglophones par exemple, l’émancipation ne constitue pas le nœud central de l’historiographie, mais une étape importante sur le chemin de l’indépendance nationale. Enfin, l’actualité indique toute la pertinence des débats soulevés par l’ouvrage autour de la réparation, avec les récentes excuses officielles du gouvernement des Pays-Bas pour le passé esclavagiste, excuses fraîchement accueillies dans les anciennes colonies, plus attentives à un processus co-construit et orienté vers…. les réparations.
Traduction de Gabriel Boniecki.