Professeur à l’université d’Orléans, Laurent Touchart se consacre en particulier à la limnologie, domaine dans le lequel il excelle, comme le montrent notamment ses travaux sur le lac Baïkal, et plus largement à la géographie physique du monde russe. Il nous livre le second volet d’une trilogie consacrée à la géographie physique et environnementale de la Russie. Après un premier et riche volume consacré aux « Milieux naturels de la Russie. Une géographie de l’immensité », Laurent Touchart aborde ici les questions d’ordre climatique. Un troisième opus sera consacré à l’hydrologie.

L’ouvrage s’attache à montrer combien la Russie est le pays du froid et quels défis se posent à elle dans un contexte de « changement climatique global ». Le propos de l’auteur se décline en trois chapitres : deux consacrés à une stricte « géographie du froid », le dernier plus en rapport avec la thématique du changement climatique.

L’auteur montre d’abord, classiquement, en quoi la Russie est le pays des grands froids secs. L’hiver se caractérise en effet par sa longueur et son intensité, avec un « pôle du froid » situé au nord-est de la Sibérie : « La totalité du territoire russe est située à des latitudes élevées et cette localisation géographique explique la longueur du froid hivernal et, en partie, son intensité. » (p. 42) L’été est court et marqué par le chaleur. Deuxième caractéristique : la Russie est un pays peu arrosé, surtout au nord-est, car l’ « évaporation et la capacité hydrométrique de l’air sont réduites par les basses températures » (p. 45) : il neige donc peu en Sibérie, contrairement à une idée répandue. Troisième caractéristique : la Russie est le pays le plus continental du monde. « C’est ainsi la continentalité qui explique la grande rigueur de l’hiver russe, la chaleur de l’été malgré les latitudes élevées, la brutalité du passage de l’hiver à l’été et la forte amplitude thermique annuelle. C’est elle aussi qui provoque un rythme saisonnier proche de la course du soleil dans le ciel. En Russie, le froid culmine toujours en janvier et la chaleur en juillet, car il n’y a presque aucune inertie océanique. […] » (p. 48) Au total : « L’hiver dure d’autant plus longtemps qu’on va vers le nord, mais le froid est d’autant plus intense qu’on se déplace vers l’est. » (p. 73) En dépit de ces caractéristiques largement partagées, la Russie offre une variété non négligeable de climats auxquels l’auteur consacre de longs développements bien illustrés : climats continental modéré, continental et continental excessif, en passant, sur les marges, par celui de l’Extrême-Orient russe ou ceux du littoral oriental de la mer Noire. On apprendra que Verkhoïansk est la ville la plus froide du monde (même si cette localité ne compte que 1900 habitants, selon les critères russes c’est bien une ville!).

Laurent Touchart s’attache ensuite, dans un deuxième chapitre parfois marqué par une géographie des « genres de vie », à établir en quoi le froid constitue comme « un socle identitaire à la Russie. » (p. 75) L’auteur rappelle justement qu’il serait « puéril, et faux, de nier, sous couvert facile de déterminisme, l’influence de l’hiver long et sévère sur la vie en Russie et, surtout, sur la culture russe. » (id.)
L’hiver russe est dans l’ensemble fort contraignant : les habitations sont conçues de façon à se protéger efficacement des très basses températures. Les développements que l’auteur consacre par exemple à l’emblématique « izba » et à l’isolation des habitations urbaines sont à cet égard très éclairants : « L’association du béton, de plaques d’isolant synthétique et de briques est aujourd’hui la norme pour la construction urbaine de la plupart des immeubles russes. » (p. 120). Par ailleurs, les canalisations doivent être préservées du gel. Ainsi, « des postes de chauffage sont répartis sur certaines canalisations aériennes sur pilotis, gainées d’isolants, qui forment une bonne part du paysage urbain des grandes villes russes du nord et de la Sibérie. » (p. 113) La facture énergétique liée à la lutte contre le froid finit par être très élevée.

Néanmoins, la perception de l’hiver par les Russes n’est pas nécessairement toujours négative : ainsi, par exemple, la neige peut constituer un bon isolant thermique pour les sols arables face aux gels intenses et pour les automobiles les pistes sont « bien plus praticables en hiver, d’autant que le réseau routier n’est asphalté qu’aux deux tiers. Bien damées, les routes non goudronnées deviennent sûres, surtout si on les recouvre intentionnellement d’eau, qui, en gelant, forme un revêtement très apprécié. La ‘route d’hiver’ est, en Sibérie, la seule supportant les poids lourds qui, aux autres saisons, s’enliseraient. » (pp. 80-81)

Le chapitre nous livre quelques autres informations étonnantes : ainsi Yakoutsk, la ville de plus de 200 000 habitants la plus froide du monde, voit sa population augmenter; ainsi le « thé de Krasnodar » est produit sur les plantations de thé subtropical les plus septentrionales du monde.

C’est dans le troisième et ultime chapitre que Laurent Touchart expose d’intéressantes considérations relatives aux liens entre climat et environnement et explicite la perception relativement positive du réchauffement climatique par les autorités russes.

L’auteur émet le constat d’un net réchauffement de la Russie depuis la fin des années 1980, même s’il se trouve moins marqué que celui de l’Europe de l’Ouest ou, surtout, de l’Amérique du Nord. A l’instar du pergélisol planétaire, la « vetchnaïa merzlota » (le pergélisol russe) a tendance à fondre et à se rétracter, ce qui pose un certain nombre de questions concernant notamment l’hypothèse très discutée d’un dégagement de grandes quantités de méthane. La taïga, apparemment plus sèche, monte en latitude (et en altitude en Sibérie orientale et en Extrême-Orient) et la toundra tend à s’épaissir d’arbustes, ce qui laisse supposer un accroissement des risques d’incendie.

La Russie a été touchée dans la décennie 2000 par quelques épisodes caniculaires, dont la canicule exceptionnelle de 2010, à laquelle l’auteur consacre des pages suggestives : « toutes les valeurs instantanées des maxima de température qui existaient depuis la mise en place des instruments de mesure en Russie au XIXè siècle ont été battues, ensuite la durée de la canicule atteignit une longueur inégalée […]; enfin, sur le plan géographique au sens strict, l’espace touché fut gigantesque. » (p. 193)

La Russie est en outre confrontée à de sérieux problèmes de pollution atmosphérique, notamment celle au dioxyde d’azote liée à l’accroissement des émissions par les automobiles : « Au total, l’évolution des rejets de polluants dans l’atmosphère a connu une trajectoire géographique allant de la vieille région d’industries lourdes vers la grande ville de services » (p. 233) qui concentre aujourd’hui les rejets de la circulation automobile.

L’auteur dresse un bilan mesuré des politiques menées en matière de réduction des rejets de gaz à effet de serre et consacre une très intéressante étude à la relation entre microclimat urbain et niveau de pollution par quartier dans l’agglomération de Moscou.
En guise de conclusion, il considère, assez justement, qu’il « n’est pas possible, ni même pertinent, de rayer de la pensée des siècles de lutte contre de terribles froids. Le gel, la longueur de l’hiver, l’intensité du froid ont toujours représenté la principale contrainte de la mise en valeur du territoire russe. Pourquoi condamner avec violence la Russie quand elle émet, pourtant avec beaucoup de précautions, que certaines formes de réchauffement pourraient avoir comme conséquence une diminution du nombre de morts qu’elle subit en hiver et […] une éventuelle baisse de certaines dépenses, par exemple, énergétiques, comptées dans le surcoût du froid? » (p. 231)

L’ouvrage de Laurent Touchart est, au total, d’une grande richesse. L’auteur ayant le souci constant d’éviter tout jargon, son livre a le mérite de fournir, sur des questions complexes, des développements clairs, par ailleurs constamment appuyés sur un grand nombre d’exemples, variés, et de photographies précisément commentées, souvent issus de sa riche expérience du terrain. Laurent Touchart sollicite en outre abondamment la littérature des grands auteurs russes, dont de nombreux extraits sont traduits par ses soins et mis à contribution pour éclairer des considérations géographiques dans l’ensemble fort peu littéraires. On regrettera cependant l’absence d’une carte qui aurait permis de localiser aisément les principaux lieux cités et la mauvaise impression de quelques documents graphiques.

Philippe Retailleau (La Réunion) Les Clionautes