C’est sur le territoire soviétique que fut mise en œuvre la Shoah par balles avec le déploiement des Einsatzgruppen. La dimension de masse mais aussi de proximité des exécutions a permis aux historiens ou aux associations comme celle du père Desbois (Yahad-In Unum) de travailler sur les témoignages des habitants des régions concernés. Ainsi ont pu être identifiées de nombreuses fosses et exploitées de nouvelles sources.

L’ouvrage d’Andrei Umansky est consacré à ce qui a été vu par les Allemands eux-mêmes et montre que cet aspect du génocide était connu de beaucoup : combattants comme civils. L’ouvrage distingue 3 catégories de témoins : les bourreaux, les petites mains, les spectateurs…. La plupart de ces témoignages sont largement exploitables pour nos cours. Certains sont issus de dépositions recueillis par les services judiciaires allemands lors de leurs enquêtes, d’autres sont des lettres ou extraits de journaux personnels, il y a même des photographies. De plus, tous sont contextualisés : parcours de l’auteur, fonctions, suites judiciaires ou pas… Les hommes et femmes présentés ont des origines sociales diverses, on y trouve des Allemands du Reich  comme des Volskdeutsch.

 

Les bourreaux

Les 7 premiers témoignages occupent environ un tiers de l’ouvrage et nous montrent que le processus de mise à mort a mobilisé des services très divers. On y retrouve R. Tögel,  un policier originaire des Sudètes et qui est mobilisé au bataillon de police de réserve n°9. Il accompagne l’Einsatzgruppe D dans le Sud de la Russie en 1941 et à ce titre participe à des exécutions.. Avec W. Findeisen, on a le témoignage de celui qui fût conducteur de Heydrich, mais aussi conducteur d’un des camions à gaz employé par l’Einsatzgruppe C. Une forme d’exécution qui épargne les tueurs. Autre extrait de procédure, celle impliquant  A. Holzhauser, feldgendarme mêlé à des exécutions à Akhtyrka en 1942 ; il montre que  même les endroits reculés n’échappent pas aux bourreaux. Une procédure originale, ce jugement d’un tribunal nazi visant un officier, A. Weisheit, responsable de l’exécution de 75 Juifs. La machine judiciaire nazi discute du fait qu’il ait agi sans ordre et lui trouve des circonstances atténuantes car il a exécuté des Juifs, et le condamne en fait surtout pour maltraitance : tentative de viol et… mauvais traitement sur son chien…… Jugement qui est finalement annulé par la Wehrmacht.

Tout autre est l’extrait du journal intime de F? Landau qui participa aux exécutions en tant que membre d’un Einsatzkommando  et joua le rôle de Judengeneral  à Drohobytch ; il est plus préoccupé par ses problèmes personnels que par le sort des Juifs qu’il exécute ou dirige. Autre journal intime trouvé celui de P? Hohn, soldat de la Wehrmacht, qui décrit froidement l’extermination des Juifs de Berezino. Enfin, les lettres de  l’obersturmfürher K. Kretschmer, du Sonderkommando 4, montre un père de famille allemand, soucieux des colis qu’il envoie, signe du pillage des ressources, et qui fait par contre des exécutions un élément de la routine du quotidien?

 

Les petites mains

Dans cette  catégorie l’auteur range ceux qui, même s’ils n’ont pas forcément tué par eux-mêmes, ont permis la réalisation de ces massacres de masse.

A l’image de J. Bauer, chauffeur de P. Blobel,  chef du Sonderkommando 4A qui agit notamment à BaBi Yar. Son interrogatoire révèle la structure du Sonderkommando et donne de nombreux détails sur l’organisation des massacres. Il finit d’ailleurs par reconnaître de lui-même sa participation à des exécutions mais parce qu’il n’aurait pas eu le choix… H. Gieschen sert en tant que photographe au bataillon de police 105. Dans ses lettres, on trouve de nombreuses références aux exécutions auxquelles participe son bataillon, celles de civils, partisans et juifs.  Il en parle à sa femme mais plus pour lui confirmer ce dont elle doit avoir entendu parler que pour vraiment l’informer. E. Consée est lui rédacteur du journal de guerre du Sonderkommando 4a, une fonction qui le met au courant de tout.  Son interrogatoire permet de découvrir la tâche quotidienne de l’unité. P. Dercho lui est un Volksdeutsch d’Ukraine du sud qui, en tant que membre de l’administration locale, dut annoncer aux Juifs du village  « 16° section »  de se rassembler puis les enregistrer avant leur exécution.

 

Les spectateurs

Cette catégorie regroupe aussi bien des militaires que des membres de l’administration ou des Allemands qui vivent à proximité des lieux d’exécution. Les attitudes varient de l’approbation des massacres au mépris des tueurs.

H. Hippler servait comme brancardier dans la Wehrmacht en Lituanie. Lorsque s’ouvrit en 1958 le procès des Einsatzgruppen, il décida d’envoyer des photos qu’il avait prises à Kaunas. Il est ensuite interrogé comme témoin des exécutions commises au fort VII. A. Kraütle est lui aussi dans une unité sanitaire mais à Loutsk. Il mit à disposition de la justice son journal intime ainsi que des photos prises à l’époque. Un témoignage intéressant sur l’élimination des ghettos mais aussi un effort pour tenter de sauver des Juifs est celui de C. Herchenröder, membre d’une compagnie de propagande. Son statut lui permet d’aller récupérer jusque dans la fosse où il allait être exécuté le technicien juif qui travaillait pour elle. Une attitude complètement différente de celle d’A. Bohrer. Ce sergent a disparu en 1944, mais ses lettres témoignent des exécutions et de son antisémitisme profond.

Le témoignage du soldat F. Liebe montre qu’à Belaïa Tserkov, les exécutions sont quasi -publiques tellement il est aisé d’y assister. Ce n’est pas le cas partout, dans une lettre au tribunal, le commandant  A. Thiel raconte, photos à l’appui, comment il a pu assister à de telles scènes à Krivoï Rog en octobre 1941. H. Pilz est lui aussi officier, mais  à l’état-major à Kovno. Il va noter dans son journal intime le détail des informations qui lui parviennent à ce sujet. Il le fait parfois sous forme codée par crainte et lui aussi a des photos (ghetto, affiches, lieu d’exécutions…).

Des femmes et des enfants sont aussi cités. Mme E. Nehring est Allemande, mais épouse d’un juif. Elle et son mari quittent l’Allemagne en 1937 et finissent par arriver en Galicie où ils sont rattrapés par l’avancée nazie. Elle va voir son mari disparaître et peut raconter comment les Juifs de Kolomea ont été ghettoïsés avant d’être assassinés. Elle-même n’est pas assassiné car Allemande, mais est cependant est victime de discriminations et même d’un viol  de la part d’un officier SS. H. Dowlad est Volksdeutsche et interprète de la Gestapo de Tarnopol. Elle fait partie d’un service dont les membres organisent des déportations (elle assiste à l’une d’elles) et participent à des exécutions. Elle obtient ainsi des informations sur le déroulement de ces meurtres de masse et témoigne aussi de l’abus d’alcool de certains tueurs et de l’importance du butin récolté sur les cadavres. Enfin H. Bau est l’épouse du responsable de l’administration civile de Buczacz. Elle habite près du lieu de l’exécution et raconte comment policiers ukrainiens et polonais, gendarmes allemands et Gestapo organisent les exécutions. Les juifs sont emmenés à travers la ville lors de plusieurs actions d’exécution. Enfin, E. Demmer était alors enseignante à Kamionka-Strumilova, elle et ses élèves peuvent voir les exécutions de la cour de récréation. Harald M. est lui traumatisé par ce qu’il a vu enfant. Son père, gardien de camp, n’hésite pas à exécuter des Juifs  devant lui.

En conclusion

Une grande diversité de témoignages qui montrent qu’au-delà d’une certaine diversité dans l’exécution finale, les massacres ont bien une logique commune et touchent toutes les communautés juives. Le processus associe toutes les composantes des forces d’occupation allemandes et leurs supplétifs locaux. L’attitude des Allemands varient mais aucun ne tente de s’opposer à ce qu’il voit et l’information circule d’Union soviétique vers l’Allemagne. Au-delà des massacres, l’ouvrage  permet de voir également les formes d’exploitation des juifs par les nazis : du travail forcé pour l’administration au service personnel de certains individus.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau