En 1944, à Lestelle-Bétharram, dans les Hautes Pyrénées, les enfants juifs de la colonie de La Croix, jusque-là épargnée, sont arrêtés par les autorités de Vichy et allemandes, suite à une dénonciation. Seul le jeune Léon échappe à cette rafle. Toute sa vie, il porte le poids de la culpabilité, persuadé de sa responsabilité dans le tragique destin de la colonie.
Soixante-dix ans plus tard, l’identité du délateur est révélée, faisant la une de la presse dans toute la France. Vieux garçon qui a été surprotégé par sa mère, Samuel Adler, le fils de Léon, instituteur à Paris, passe le plus clair de son temps libre auprès de ses parents. Cinq ans avant le début de l’intrigue, Léon s’est muré dans le silence pour une raison inconnue. Un matin de juillet 2010, alors que Léon est en vacances, une lettre est retrouvée dans le Nord de la France. Dans cette lettre figure le nom de celui qui a condamné la famille de Léon et le reste de la colonie de La Croix. Ce n’est qu’à ce moment-là, quand sa mère lui apprend la nouvelle par un article de journal, que Samuel découvre le passé de sa famille. Surgit alors Marie, la fille du présumé délateur. Samuel et Marie décident de faire équipe et d’enquêter, afin de dénouer les fils du passé et de faire la lumière sur les événements. Rapidement, ils découvrent que, même après plusieurs décennies, les consciences s’accommodent encore du secret, et que les secrets enfouis ne sont pas prêts à être dévoilés.
Quand le polar permet de faire revivre les mémoires de l’Occupation
En utilisant les codes du polar pour parler de la mémoire et de l’Occupation, ainsi que les visions personnelles de Marie et de Samuel, Gilles Vincent, auteur de polar plusieurs fois récompensé, nous offre un récit poignant sur l’Occupation et la déportation. En menant leur enquête, les deux héros deviennent les témoins de la mémoire des autres, de leur accommodement face à l’horreur de la déportation et de comment les secrets ont bouleversé leur vie.
Ce beau récit, court et facile à lire, a toute sa place dans les CDI des établissements scolaires. Il est accessible aux collégiens, comme aux lycéens. Dès les premières lignes de l’intrigue, le lecteur est embarqué dans cette tragique histoire familiale. Cependant, si Gilles Vincent reprend les codes du polar, l’investigation est psychologique, touchant à l’intime des habitants de Lestelle-Bétharram et des protagonistes. C’est une enquête dans la mémoire de ce village et de la Shoah, avec un habile aller-retour entre les deux époques. La délicatesse de l’écriture et du suspense, distillé avec beaucoup de douceur, permet de donner aux faits toute la place qui leur revient, nous permettant de mesurer l’horreur de l’Occupation et de plonger dans le quotidien des personnages, vivant avec eux leurs doutes, leurs souffrances et leur difficile résilience. Au travers de la très belle plume de l’auteur, le lecteur peut facilement se projeter dans les Pyrénées de 1944, ressentir l’angoisse, la peur, l’insouciance de l’enfance qui cède face à la réalité, le poids des secrets qui empoisonne les familles et les choix impossibles qu’elles ont dû faire pour survivre, ou, pour certaines, profiter de la situation.
Ce roman est une véritable invitation à réfléchir. Combien de familles ont-elles vécu, ou même vivent-elles encore, dans les secrets liés à cette guerre ? La mémoire de l’Occupation est longtemps restée tabou. Si nous traversons actuellement une période d’hypermnésie, les mémoires de cette période sont-elles, pour autant, totalement sorties de l’ombre ? Ou certaines demeurent-elles refoulées ? Avec beaucoup d’aisance et de délicatesse, Gilles Vincent traite des différentes stratégies des Français face à l’Occupation, ainsi que de la libération de la mémoire afin de pardonner, de se reconstruire et permettre aux générations actuelles et futures de ne pas reproduire les erreurs du passé. Avant que ne débute l’intrigue, une citation de Nathalie Portman est mise en avant : « Israël correspond à une fantaisie étrange, très particulière ; un fantasme d’orphelins où les adultes ont disparu et où les adolescents se retrouvent investis de la tâche de bâtir un pays ». S’il n’est pas question d’Israël dans ce roman, les enfants ont bien pour tâche de faire la lumière sur le passé afin de construire le futur.