Présente chez les libraires depuis le 29 octobre 2014, cette histoire de la Ve République est le résultat du travail d’un auteur prolifique, aux centres d’intérêts pour le moins variés. L’auteur a commencé à s’intéresser aux pharaons et aux reines d’Égypte, avant de réaliser une série de monographies sur les 24 présidents de la république française, en faisant un détour par « Hitler et les sociétés secrètes », pour en arriver à la Ve République. Nul ne doute que la situation politique du moment n’aitfortement influencée cet auteur particulièrement fécond, même s’il ne faut pas attendre de cet ouvrage de synthèse de grandes révélations. Pour autant, ce livre présente un certain intérêt, avec un index des 539 ministres et secrétaires d’État de la Ve République, un index des personnalités citées, le texte intégral de la constitution du 4 octobre 1958, qui aurait pu être relié aux différentes modifications que ce texte a pu connaître depuis sa présentation aux Français, place de la république, par le général De Gaulle.
Incontestablement l’auteur a une belle plume, très plaisant à lire, et on peut parcourir ce livre en s’appuyant sur les index colorés qui apparaissent sur la tranche et qui correspondent aux 7 présidents de la Ve République.

L’auteur fait tout de même un certain nombre de choix qu’il commence à présenter dans son avant-propos. Il semble particulièrement sévère à propos de Jacques Chirac, qu’il considère comme « pas prêt à diriger » ainsi que sur François Hollande, qu’il présente au final comme élu par défaut. Évidemment la personne du général De Gaulle domine le tableau, et il consacre un chapitre entier, de la page 43 à la page 88 à l’Algérie. On y trouve d’ailleurs différentes informations, notamment sur le 17 octobre 1961, à propos de la répression de la manifestation des Algériens, ainsi que sur certains calculs opérés à propos du nombre de victimes. De la même façon, un certain nombre de rubriques semblent plutôt à charge à propos de la politique algérienne du général De Gaulle, notamment celle de l’élimination des supplétifs musulmans de l’armée française, sur le massacre des Européens d’Oran, en juillet 62, ainsi que sur le sacrifice des Français d’Algérie. L’auteur ne manque pas d’une certaine habileté en jouant la fois sur sa connaissance des travaux historiques qui font consensus et quelques formules qui devraient satisfaire les tenants de la « nostalgérie » qui peuvent fournir un contingent de lecteurs.

Le général de Gaulle, largement présenté

On peut revenir également sur l’affirmation de la politique étrangère du général De Gaulle, sur la politique économique de la Ve République, à ses débuts, pendant la période des Trente Glorieuses. On notera dans un encadré intéressant, celui concernant le rapport Rueff Armand, que déjà les rigidités de l’économie française étaient soulignées en des termes qui ne sont pas très différents de bien d’autres publications. De Jacques Attali à Dominique Gallois, et sans doute avec Emmanuel Macron, on retrouve cette constante qui s’inscrit dans une sorte d’affirmation des principes libéraux.
Pour autant bien des mesures auraient pu être prises et, en période de forte croissance, passer plus facilement. Le Général n’a pas souhaité cliver la société française avec un face de lui, un puissant Parti communiste et une CGT solidement implantée. Comme quoi, même les grands hommes savent parfois faire des compromis. C’était d’ailleurs le cas pendant la période 1958 – 1969. Cela était d’ailleurs parfaitement résumé par la formule : « entre les communistes et nous, il n’y a rien ».
Ce gros chapitre sur le général De Gaulle et sa présidence s’achève par une bibliographie importante qui utilise très largement les témoignages des acteurs de la période.
De la page 159 à la page 216, la présidence de Georges Pompidou mérite assurément le détour. On n’y trouve une biographie intéressante qui montre la trajectoire de cette personnalité, issu d’une famille clairement marquée à gauche, avec Léon Pompidou qui a été, tout comme Jean Jaurès, professeur au collège et au lycée d’Albi. Élèves des classes préparatoires à Toulouse et à Louis-le-Grand, passionné de littérature, hypermnésique, Georges Pompidou en impose. Professeur à Marseille au lycée Saint-Charles pendant 3 ans il rejoint le lycée Henri IV en 1938 à 27 ans. Mobilisé en 1939, il retrouve son poste à Henri IV et partage sa vie avec son épouse, Claude Pompidou, à propos duquel il a manifesté une fidélité sans faille. (Dans ce domaine, il semble avoir été le dernier président de la Ve République à faire preuve de cette vertu. )
Georges Pompidou reste à Paris pendant la guerre, ne s’engage en aucune manière dans une action de résistance, ce qu’il a parfaitement admis, mais dès 1944, il manifeste son intérêt en souhaitant participer à la reconstruction du pays. Il est nommé charger de mission au cabinet du général à 33 ans, en charge de l’information.

Georges Pompidou – Un bon bilan ?

Dès 1948 il devient le chef du cabinet du général De Gaulle mais refuse de s’engager dans la conquête d’une circonscription pour le compte du RPF.
En 1954, il rejoint l’équipe dirigeante de la banque Rothschild, change clairement de niveau de vie et jusqu’en 1958, avec Claude, il devient une des personnalités de la jet-set parisienne. C’est le retour du général De Gaulle pouvoir qui le ramène au service de l’État en devenant le directeur du cabinet du général De Gaulle. Sa puissance de travail et son influence lui permettent de peser, d’après l’auteur, sur de nombreuses décisions concernant la décolonisation. Il intervient dans des missions secrètes pour mettre fin à la guerre d’Algérie et à partir de 1962, il remplace Michel Debré au poste de Premier ministre. Il est très clairement un collaborateur du général De Gaulle, en assume la fonction et constitue autour de lui un réseau de techniciens, ce qui suscite de fortes réserves du personnel politique. Il est à noter que le général De Gaulle semble lui porter une confiance absolue, au moins jusqu’en 1965. L’obligation pour le général De Gaulle de mener campagne pour le second tour de sa réélection en 1965 semble avoir distendu les relations entre les 2 hommes. Le général encadre clairement son premier ministre avec des personnalités fortes comme Michel Debré à l’économie et Edgar Pisani à l’équipement. Partisan d’une modernisation industrielle du pays basée sur une restructuration de l’outil de production, il ne cache pas ses réserves devant les projets de participation des salariés préconisés par le général De Gaulle. Ce dernier semble avoir envisagé son départ de Matignon au profit de Maurice Couve de Murville. La défaite électorale à Paris de ce dernier impose au général de la maintenir dans sa fonction. Les événements de 1968 marquent une véritable cassure entre les 2 hommes. Les élections législatives de juin 68 sont un succès pour le parti gaulliste mais le général De Gaulle ne retient pas son collaborateur depuis 24 ans.
L’affaire Markovic
Selon l’auteur cette affaire crapuleuse aurait été initiée par le Garde des Sceaux René Capitant, ennemi juré de Georges Pompidou, pour salir son épouse Claude, accusée d’avoir participé à des ballets roses ou bleus, et l’empêcher d’être candidat à la prochaine présidentielle. Si la machination fait finalement long feu, Georges Pompidou n’a plus véritablement confiance dans le général et à partir de Rome, où il a rencontré le pape, il annonce sa candidature à l’élection présidentielle en cas de vacance du pouvoir. L’échec du général De Gaulle au référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat le conduise à accélérer son engagement est organisée autour de lui un réseau qui regroupe des gaullistes historiques, les fameux barons, les républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing et même René Capitant et Jean-Louis Tixier-Vignancour. Avec un tel soutien est face à un président du Sénat, président de la république par intérim, Alain Poher, il réalise une élection de sénateur, retrouvant le score du général De Gaulle en 1965 de près de 45 %. Second président de la Ve République le 20 juin 1969, il nomme Jacques Chaban-Delmas premier ministre. Il s’agit clairement d’un signal envoyé à la gauche réformiste.
La présidence de Georges Pompidou a été sans doute celle qui a le plus transformé la France, bénéficiant d’une expansion économique sans précédent, mais avec un fort interventionnisme de l’État. Au niveau de la gestion du pouvoir le président doit composer avec un premier ministre « progressiste » et un bloc conservateur. Jacques Chaban-Delmas paraît comme trop dilettante aux yeux du président, ce qui le conduit peu à peu à dépouiller son premier ministre de l’essentiel de ses prérogatives. Le premier ministre se retrouve d’ailleurs affaibli par 2 scandales qui touchent ses proches dans un premier temps et lui-même à partir de la publication le 3 novembre 1971 de sa feuille d’impôt. En 1972, l’échec du référendum voulu par le président, sur l’élargissement de l’Europe, marquée par une forte abstention, celle de destins du premier ministre.
Pendant sa présidence le pays a été fortement modernisé, autour de groupes industriels puissants, notamment avec le nucléaire, largement contrôlé par l’État. La modernisation agricole se poursuit et les performances françaises en matière économique la place devant l’Allemagne et les États-Unis, juste après le Japon, avec un taux d’investissement moyen sur la période de 20 % du PNB. La productivité augmente de près de 6 % par an. C’est également pendant cette présidence qu’a été créé le premier ministère de l’environnement, appelé « le ministère de l’impossible », confiée à Robert Poujade.
Dans le domaine de la politique étrangère, même s’il ne cache pas ses réserves devant l’Öst politik du chancelier Willy Brandt, il ne dévie pas de la ligne fixée par le général De Gaulle. En matière de politique étrangère il cherche à jouer un rôle dans les discussions à propos du désarmement stratégique même s’il est très méfiant à l’égard de Leonid Brejnev.
La nomination de Pierre Messmer premier ministre s’inscrit dans une volonté de reprendre la main tandis qu’il mène un combat acharné contre la maladie qui devait l’emporter. L’ancien ministre de la défense du général De Gaulle est un homme d’honneur et de fidélité, et il faut toute sa détermination, face à une gauche qui s’est réorganisée et unie avec la signature du programme commun, pour finir par emporter les élections législatives de 1973. C’est pourtant cette année-là que les tensions sociales atteignent en France leur point culminant, le plus important depuis 1968, tandis que le premier choc pétrolier affecte l’économie mondiale et ralentit la croissance française.
Le bilan de cette présidence est exceptionnel avec une croissance du PIB de 6,2 % par an, une réduction du temps de travail à 44 heures, une productivité de près de 6 % par an et une balance des paiements excédentaires entre 1970 et 1972 et presque équilibrés en 1973.
Au niveau de son entourage, s’il a su le canaliser au service de l’État, les fortes personnalités qui le composaient, comme Marie-France Garaud, Pierre Juillet, Jacques Foccart, Édouard Balladur et Jacques Chirac, ont manifesté très clairement leur volonté de jouer un jeu personnel après la disparition du président.

Du dilettante aux immatures

Valéry Giscard d’Estaing est l’objet d’une présentation biographique intéressante également qui marque largement les ressorts psychologiques, mais également les travers du personnage. Si l’on apprend pas grand-chose sur les éléments essentiels de sa trajectoire personnelle, l’ouvrage est intéressant par l’action qu’il mène dans les différents gouvernements du général De Gaulle et de Georges Pompidou. On apprend que Valéry Giscard d’Estaing a d’abord accepté un poste de ministre de l’éducation nationale en 1969 avant de se voir confier celui des finances.
L’auteur revient également sur les conditions de sa candidature, à la mort de Georges Pompidou, avec les doubles trahisons de Maurice Herzog et de Jacques Chirac qui permettent d’affaiblir suffisamment Jacques Chaban-Delmas, le candidat gaulliste « naturel », tandis que le maire de Tours, le très conservateur Jean Royer, sert de réserve de voix pour le second tour.
Valéry Giscard d’Estaing apparaît comme « le président qui voulait être aimé ». Il entend marquer la rupture avec le passé, choisissant des réformes sociétales, en abaissant la majorité électorale, en desserrant l’étau qui pesait sur l’ORTF, et en permettant avec les centristes, Jean Lecanuet et Simone Veil, le divorce par consentement mutuel et le vote de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. On est un petit peu sur sa faim à propos des relation exécrables entre Jacques Chirac et le président, même si l’on apprend que ce dernier souhaitait une dissolution anticipée de l’Assemblée nationale à l’automne. Face à la crise économique qui s’approfondit à partir de 1976, les différents gouvernements de Raymond Barre doivent affronter une montée de la gauche qui remporte les élections intermédiaires, et notamment les municipales de mars 1977. C’est la rupture de l’union de la gauche qui préparait les élections législatives de 1978 qui lui permet de sauver sa majorité.
Valéry Giscard d’Estaing a poursuivi l’entreprise de modernisation de l’économie française qui avait été largement initiée et même développée par son prédécesseur. On retrouve la même démarche dans le domaine de la Défense nationale. Sans doute parce que l’actualité a beaucoup évoqué cette question en 2014, l’affaire de Robert Boulin occupe une place assez importante. On rappellera que le septennat de Valéry Giscard d’Estaing a été marqué par différentes affaires politiques violentes, notamment le meurtre de José Fontanet abattu le 31 janvier 1980 par des tueurs qui n’ont jamais été identifiés. L’affaire Bokassa vient entacher la faim de ce septennat.
François Mitterrand, le seul président de la Ve République avoir mené deux septennats consécutif jusqu’à leur terme, occupe évidemment une place de choix dans cet ouvrage. Encore une fois, on ne retrouve pas de véritable révélation dans cette biographie qui synthétise ce qui a été largement développé par ailleurs, si ce n’est un rappel du passage de François Mitterrand dans le groupe L’Oréal, entre 1944 et 1946. On lui confie pendant cette période la direction d’un magazine féminin « votre beauté ». En 1946 il met fin à cette expérience.
Le passage de Mitterrand par Vichy et rapidement évoqué en s’appuyant sur ce qui aujourd’hui fait à peu près consensus.
C’est en 1947 que commence véritablement la carrière politique de François Mitterrand, plusieurs fois ministre de la IVe République, des anciens combattants au ministère de la France d’outre-mer en passant par le ministère de l’information en juillet 48, ministre de l’intérieur de Pierre Mendès-France en juin 1954 et Garde des Sceaux en 1956. Il s’oppose au retour du général De Gaulle, se retrouve compromis dans le pseudo attentat de l’observatoire en 1959, une affaire qui le suivra jusqu’à la clôture définitive de la procédure le 30 mai 1967.
Bénéficiaire de l’échec de la candidature de Monsieur X, alias Gaston Defferre en 1965, il est un brillant candidat de la gauche au premier tour, mettant ballottage le général De Gaulle. Il semble manquer son rendez-vous avec l’histoire pour la première fois en 1968 avec sa conférence de presse du 28 mai dont l’impact est balayé par le retour du général De Gaulle de Baden-Baden. On est un peu déçu à propos de la constitution de l’union de la gauche qui a été précédée par le congrès d’Épinay en 1971 qui n’est pratiquement pas évoquée.
La partie biographique sur François Mitterrand fait clairement apparaître les inimitiés de l’auteur. On y retrouve des interprétations pour le moins discutable à propos d’une duplicité consubstantielle à sa personnalité du premier président socialiste de la Ve République. Pour le reste, on retrouve un catalogue des mesures de la gauche dans le domaine économique et social, mais également sociétal.
On s’étonne par exemple de cet encadré sur le suicide de René Lucet, dans lequel Nicole question au en charge de la solidarité nationale se retrouve qualifiée de gauchiste, tandis que Robert Badinter aurait agi à propos de cette enquête de façon partisane. Il est clair que cette affaire a été classée en janvier 1988, et qu’elle a été très largement oubliée aujourd’hui. Ce personnage qui avait été nommé directeur de la caisse primaire d’assurance-maladie des Bouches-du-Rhône en 1979 s’était violemment opposé à la CGT qui représentait à cette époque une véritable puissance.
La politique extérieure de François Mitterrand semble trouver grâce aux yeux de l’auteur, mais pour le reste, et sans aucune complaisance de la part de l’auteur de ces lignes, il semblerait que l’auteur se soit livré un portrait à charge du président socialiste.

La 3e partie de l’ouvrage porte le titre évocateur de « les immatures ».

Jacques Chirac pour son septennat et son quinquennat, Nicolas Sarkozy et François Hollande se font véritablement « tailler un costard », ce qui n’est pas forcément très éclairant dans un ouvrage qui pourrait prétendre devenir une référence.

Sans doute l’absence de recul par rapport à des événements somme toute très proches encore, mais peut-être une tentation de la facilité conduise l’auteur à juxtaposer des éléments de biographie, des informations recueillies dans de nombreuses publications, mais sans véritablement tirer de bilan politique. Comment les 3 successeurs de François Mitterrand se sont-ils adaptés aux institutions ? Comment ont-ils échoué globalement à marquer leur mandat présidentiel dans l’histoire ? On reste globalement encore une fois sur sa faim.
Au final, cet ouvrage peut se révéler commode en matière d’accès, mais il est clair qu’il ne peut prétendre apparaître comme une somme de l’histoire politique de la Ve République, même si cela est vu sous l’angle de la monarchie présidentielle. Au moment où l’on peut s’interroger sur le caractère « improbable » de cette institution, et par là-même de la constitution qui la porte, il serait pourtant bien utile qu’un tel ouvrage sorte des presses.

Si l’histoire, sans cesse évolutive, peut constituer une matière en mouvement, elle doit aussi éclairer par ses analyses les perspectives à venir. Cette monarchie présidentielle, sans véritable contre-pouvoir, est-elle encore aujourd’hui viable ? C’est bien toute la question implicite qui reste posée après l’examen des présidences successives de la Ve République. Il n’est pas évident de trouver un début de réponse dans cet ouvrage.