Olivier Jouvray adapte en B.D. La conquête du courage, un classique de la littérature américaine, écrit par Stefen Crane et paru en 1895. Cette adaptation est libre et personnelle. Si le récit originel est un récit initiatique qui met en scène un soldat qui triomphe de sa propre lâcheté, l’adaptation d’Olivier Jouvray, intitulée Le soldat, est un récit résolument anti-militariste.

Le récit se déroule durant la Guerre civile américaine (1861-1865). Le jeune Henry Flemming s’engage comme soldat de l’Union, aux côtés de son copain Wilson, malgré les réticences de sa mère. Tous deux rejoignent un campement où les attendent anciens et nouveaux soldats. Tous attendent le prochain combat. Cette attente est longue, éprouvante. Si Wilson fanfaronne, Henry est tenaillé par l’angoisse. Les anciens véhiculent les pires rumeurs : « Il parait que ce sont des sauvages, des démons, des cannibales… ». Le vieux Jim pressent que l’attaque aura lieu le lendemain. Il prévient que si le danger est trop grand, il s’enfuira. Pourtant, il a l’expérience du combat et des horreurs de la guerre. Mais sauver sa peau est ce qui importe. Le lendemain, la troupe prend la route. Les soldats marchent, s’arrêtent… se mettent en position de tir… font demi-tour… et finalement installent un nouveau campement. Les officiers eux-mêmes ne semblent pas savoir quelle stratégie adoptée. Dans ce contexte d’indécision, l’angoisse d’Henry s’intensifie. Sera-t-il capable de faire face à l’ennemi ? Le lendemain matin, un assaut est subitement donné. Les tirs sont meurtriers. Un groupe de soldats sudistes charge. Trahi par son courage, Henry prend ses jambes à son cou et court vers l’arrière à en perdre l’équilibre… Il se blesse en fuyant. Ramené au camp, il passe désormais pour un héros par ceux qui le pensent blessé par un tir ennemi… Olivier Jouvray ne porte pas de jugement mais offre un portrait complexe d’Henry. Finalement, celui-ci passe pour ce qu’il n’est pas, à savoir un héros. Accompagné du fantôme de Jim, mort au combat, il devra retourner à l’assaut, en assumant son nouveau statut…

Olivier Jouvray ne fait pas œuvre d’historien. Si le récit se déroule en 1863, à proximité du Potomac, il est impossible d’identifier le combat présenté. L’intérêt du récit ne se situe pas dans la description historique des faits mais dans les nombreuses interrogations que la narration, très astucieuse, suscite au fil des péripéties vécues par Henry. La première interrogation porte sur les raisons qui poussent quelqu’un à s’engager. Les raisons qui poussent Henry à s’engager ne sont pas certaines. Rejoint-il l’armée de l’Union par patriotisme ? Pour défier sa mère qui le couve peut être un peu trop ? Pour échapper au long et ennuyeux travail des champs ? Par mimétisme ? Pour prouver aux autres et à lui-même qu’il est un homme ? Aucune réponse n’est certaine. Aucune réponse n’exclut les autres. La deuxième interrogation porte sur la notion de courage. Pourquoi Henry veut-il devenir un héros ? Pourquoi lui est-il impossible d’accepter que l’angoissante réalité du combat l’ait conduit à s’enfuir et à abandonner ses compagnons d’armes ? La dernière interrogation porte sur la notion d’individu. Pourquoi Henry accepte-t-il de s’effacer face au groupe ? Pourquoi ne parvient-il pas à se soustraire du regard et du jugement de ses compagnons d’armes ? Pourquoi ne parvient-il pas à accepter ses émotions et ses actes aussi irréfléchis soient-ils ? Pourquoi envisage-t-il de faire le sacrifice de sa vie?

Malgré la dureté du récit, le dessin est doux. Aussi renforce-t-il le sentiment que la guerre est une absurdité dans laquelle les individus ne se révèlent pas tant que cela à eux-mêmes. Pour Henry, l’angoisse d’affronter le regard des autres et de passer pour un lâche remplace l’angoisse d’affronter le combat…Henry est un jeune homme ordinaire confronté à une situation extraordinaire et traumatisante. L’expérience de la guerre affecte sa façon de penser et de se comporter. Le titre de la BD, si différent du titre de l’œuvre américaine, prend alors tout son sens. L’homme se transforme en guerrier. Alors que dans le récit originel, Henry puise dans son courage pour affronter ses ennemis, le récit d’Olivier Jouvray montre une déshumanisation. Il ne s’agit plus d’une leçon de courage mais de la manifestation de la violence inhumaine. Le soldat est une belle œuvre qui se démarque du genre par sa qualité et son originalité. Le fait que les événements se déroulent durant la Guerre civile américaine, conflit trop méconnu du lectorat français, donne au récit une forme atemporelle. Cette lecture intéressera celles et ceux qui cherchent à mieux appréhender la complexité de la nature humaine.

Jean-Marc Goglin