L’année 2025 est marquée par les commémorations consacrées aux 120 ans de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Cet album nous est proposé par Arnaud Bureau, historien de formation et scénariste, et Alexandre Franc chargé des dessins et des couleurs. Les deux auteurs sont connus pour avoir déjà réalisé une bande dessinée publiée en 2018 consacrée à mai 68.
Cet album démontre une nouvelle fois que le neuvième art sait se mettre au service de la pédagogie pour présenter et expliquer à tous les publics un contexte qui peut, et c’est le cas ici, être mal compris ou rejeté. Cependant, il nous faut rappeler un point central : la question de la laïcisation de la société française est une question extrêmement vaste, et de fait, les auteurs ont fait des choix, plutôt judicieux, pour leur récit.
L’album débute avec une définition issue du dictionnaire consacré à la laïcité avec ce rappel clé : « L’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les églises aucun pouvoir politique. ».
L’histoire débute dans le métro parisien en 1904. Nous faisons connaissance avec Marie Delorme, 35 ans, qui enseigne à l’école normale d’institutrices mais qui s’affiche ici comme personnage de fiction connaissant déjà l’histoire. En effet, les auteurs l’ont inventé « pour jouer les narratrices ». Elle nous présente Aristide Briand, qui est à l’époque célibataire, et avec qui, pour les besoins du scénario pédagogique, elle va nouer une relation, certes fictive mais réaliste au regard de ce que fut la vie privée de Briand.
Une loi d’aboutissement
Puis, notre narratrice entreprend de nous expliquer que la loi de séparation est en réalité une loi d’aboutissement, dont les origines remontent à la rupture engendrée par la Révolution française : l’Église catholique, qui disposait d’une place privilégiée en tant que religion d’État, perd son monopole et son rôle politique sur la société. Les auteurs mettent en avant l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Puis, en quelques pages, Marie résume l’évolution des rapports entre l’Église et l’État au cours du XIXᵉ siècle. Ce résumé se termine avec la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican durant l’été 1904.
Aristide Briand est alors un député socialiste, avocat et journaliste. Il est poussé par un proche de Jean Jaurès à devenir le rapporteur de la commission parlementaire en charge d’étudier la séparation des Églises et de l’État. Notre personnage fictif Marie nous prépare à la suite du récit et change également d’échelle puisqu’il ne s’agit pas seulement dans cet album d’évoquer le rôle et l’action d’Aristide Briand dans le cadre de la Séparation, mais aussi son impact sur la société et en particulier l’école (question éminemment politique).
Puis, après ce préambule, le récit débute réellement avec l’entrée en scène de Louis Méjan, haut fonctionnaire protestant. Paul Grunebaum-Ballin, juriste d’origine juive, et Léon Parsons, journaliste parlementaire catholique, qu’Aristide Briand enrôle dans son équipe qu’il a voulu œcuménique. L’objectif est d’arriver à un compromis et à une loi de séparation acceptable pour une chambre extrêmement divisée entre les socialistes, les radicaux dont seule la moitié veut une séparation tandis que l’autre reste attachée au concordat, l’Union démocratique, les Progressistes, la droite conservatrice, les catholiques et les catholiques nationalistes, ces deux derniers étant profondément hostiles au projet de séparation. Au total, environ 200 députés sur 588 sont alors des séparatistes déclarés, ce qui rend la tâche délicate. Ce sont donc ces débats et les tensions en découlant que les auteurs ont cherché à rendre accessibles aux lecteurs, sans pour autant les simplifier, et l’exercice est plutôt réussi.
Des débats parlementaires complexes
La troisième partie fait le lien entre le combat des femmes pour l’égalité civique et la laïcité, et pose la question délicate de la neutralité : « Dans les écoles catholiques, l’enseignement vise, depuis des années, à former des adversaires de la République. Alors nous, enseignantes laïques, devons-nous nous contenter d’être neutres ? Devons-nous éviter à tout prix de heurter les convictions de nos élèves quelles qu’elles soient ? ». Marie s’affiche explicite, son devoir étant selon elle de « défendre les valeurs républicaines », le but ultime étant de former des élèves capables de penser et de vouloir par eux-mêmes, manière de faire comprendre que seul un enseignement laïque mène à la liberté individuelle.
Puis, le récit revient sur les débats et la discussion des différents articles qui débutent le jeudi 6 avril. Là aussi, l’essentiel des débats, très longs, est rapporté dans un récit à la fois dense, où des choix ont été effectués et ces derniers permettent de comprendre les difficultés auxquelles font face Aristide Briand et son équipe. Enfin, les auteurs ont choisi de mettre l’accent sur le vote de quelques articles de la loi, comme l’article premier voté le 12 avril 1905 par 422 voix contre 45, et surtout l’article quatre qui a fait l’objet d’une bataille féroce entre les opposants, catholiques avant tout, et les partisans de la séparation.
Si bien sûr, le récit est concentré sur la métropole, la situation concernant les colonies est également abordée comme étant un véritable casse-tête. D’un côté, on distingue les députés qui tiennent à émanciper les indigènes de l’emprise de la religion, et de l’autre, ceux qui estiment que l’islam présente trop de particularités et qu’il serait trop délicat de séparer le politique du religieux dans ce cas. Vaste débat qui reste quelque part toujours actuel …
Finalement, la loi est promulguée le 9 décembre 1905 et entre en vigueur le 1ᵉʳ janvier de l’année suivante.
Une loi toujours actuelle
Les dernières pages sont dédiées à l’actualité de la loi, et au rappel de la connexion existant entre la laïcité et diverses affaires médiatiques telles que le procès de Bobigny en 1972 et l’action de Gisèle Halimi qui a ouvert la voie à la dépénalisation de l’avortement. Sont rappelées également l’affaire du voile de Creil en 1989, et la multiplication des tensions qui aboutissent à l’établissement d’une commission présidée par Bernard Stasi et à la promulgation de la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostensibles dans les écoles publiques afin de préserver les élèves de toutes formes de prosélytisme religieux. Les attentats commis depuis les années 90, du RER Saint-Michel à l’assassinat de Samuel Paty, sont l’occasion de rappeler qu’en France on a le droit de critiquer les religions et de se moquer d’elles, le délit de blasphème n’existant plus en France depuis 1881. Et les auteurs de remarquer que : « La polarisation du débat sur l’islam de nos jours rappelle celle de 1905 entre catholiques et anticléricaux » et que, et que peut-être, comme ils le mentionnent : il manque peut-être actuellement un Aristide Briand capable d’apporter de la mesure dans ce qui est finalement une nouvelle querelle religieuse. La toute dernière planche de l’album semble être un clin d’œil au mouvement Femme Vie Liberté en Iran. Du moins, nous l’interpréterons ainsi.
Les éditions Delcourt nous ont donc ainsi proposé un très bel album, très dense, pour les 120 ans, album qui pourrait trouver en cette fin d’année une belle place au pied du sapin.


