Cet ouvrage collectif dirigé par deux journalistes du Figaro Magazine propose un panorama de vingt conflits qualifiés de « guerres civiles » à travers l’histoire et le monde. L’ambition affichée est de proposer un tour d’horizon de ce type de confrontation politique et sociale, ainsi que leur récurrence à l’échelle des nations. Le volume mêle contributions d’historiens universitaires et de journalistes, ce qui génère une hétérogénéité notable dans la qualité scientifique des chapitres.
La préface ouvre le livre sur une perspective contemporaine centrée sur la possibilité d’une guerre civile en France — perspective très orientée, exclusivement associée au « séparatisme islamiste », sans évoquer d’autres facteurs de tensions pourtant bien documentés et chiffrés (radicalisations d’extrême droite, déclarations séditieuses de militaires, crispations identitaires).
Définir les guerres civiles : la pluralité du phénomène
L’introduction cite la définition d’Olivia Carpi (2018), qui fait autorité : une guerre civile implique un affrontement interne entre groupes d’une même société, organisés, dotés d’objectifs divergents et prêts à recourir à la violence pour éliminer ou dominer l’adversaire.
Bien que pertinente, cette définition sert davantage de vitrine conceptuelle que de réelle grille d’analyse dans l’ouvrage. Il est bon de noter que l’ouvrage, illustré par vingt cas précis, ne trouve pas le temps de conclure, de synthétiser son propos, de trouver des lignes communes ou bien de discuter la place de l’État dans ces événements.
Si les guerres civiles prennent des formes très diverses selon les époques et les sociétés, elles s’enracinent souvent dans des facteurs structurels communs. Elles apparaissent généralement lorsque des tensions profondes — politiques, économiques, sociales, ethniques ou religieuses — s’accumulent jusqu’à rendre impossible la régulation pacifique des conflits internes.
Les causes des guerres civiles sont nombreuses : La contestation de la légitimité politique, qu’il s’agisse d’un pouvoir jugé tyrannique, illégitime ou imposé de l’extérieur (la Commune) ; les fractures socio-économiques à partir d’inégalités fortes, de marginalisation de groupes sociaux, de crises agraires ou industrielles ; les tensions identitaires ou religieuses, souvent instrumentalisées par des élites politiques (les Guerres de Religion, l’Algérie Française, les Cristeros …) ; l’opposition entre modèles de société comme l’opposition entre l’esclavage et l’abolitionnisme (États-Unis) ; la concurrence des pouvoirs dans des contextes d’éclatement institutionnel (La Fronde) ; la crise de l’autorité étatique, notamment lorsque l’État ne parvient plus à assurer sécurité, justice, redistribution ou médiation politique (l’Angleterre du XVIIe siècle)
Ces facteurs ne produisent pas mécaniquement des guerres civiles : ils deviennent explosifs lorsque l’État n’est plus capable de jouer son rôle d’arbitre et que les acteurs sociaux, partisans ou territoriaux estiment que la violence devient le seul moyen d’imposer leurs revendications. Contrairement à l’image romantisée ou héroïsée que certains discours peuvent en donner, les guerres civiles constituent avant tout le miroir des faiblesses des États : incapacité à intégrer les oppositions, à maintenir un cadre institutionnel légitime ou à répondre aux attentes fondamentales de leurs populations. Elles sont moins la preuve de la force de mouvements insurgés que le symptôme d’un pouvoir politique en crise. Il est dommage que l’ouvrage ne cherche pas à proposer ce type d’analyse en conclusion.
La guerre de Vendée : un exemple parmi d’autres de chapitre scientifiquement dépassé et partial
Le chapitre consacré à la guerre de Vendée est l’un des plus controversés du volume. Il aborde un sujet qui, depuis trente ans, fait l’objet de débats historiographiques, mais aussi d’importantes récupérations politiques et mémorielles. La lecture idéologique du conflit y est partiale. Il faut rappeler que l’auteur n’est autre que Philippe Maxence, rédacteur en chef de l’Homme Nouveau, journal traditionaliste catholique, et ancien membre de Radio Courtoisie, à l’époque dirigée par Henry De Lesquen, royaliste partisan de la rémigration des populations françaises d’origine africaine. Le chapitre rappelle que la guerre de Vendée se situe dans la montée des tensions entre Révolution et populations rurales, la criminalisation des réfractaires et surtout la levée en masse de mars 1793, déclencheur immédiat du soulèvement. L’idée d’une Vendée uniformément hostile à la Révolution est historiographiquement fausse mais implicitement renforcée.
Les exécutions massives, les incendies de villages, les fusillades et les dévastations systématiques sont incontestables, documentés depuis longtemps (Lemonnier, Martin, Secher) mais l’auteur adopte une rhétorique accusatoire, structurée autour de la thèse du « génocide vendéen », présentée comme un acquis historiographique alors qu’elle est massivement rejetée par les spécialistes. Qui plus est, un autre chapitre du livre est rédigé par un fervent défenseur de cette thèse, Stéphane Courtois. Les violences royalistes ou catholiques sont beaucoup moins développées ou présentées comme des réactions défensives, ce qui déséquilibre l’analyse. De même les mémoires mobilisées sont seulement les mémoires contre-révolutionnaires, religieuses et victimaires. Il ignore volontairement les mémoires républicaines, les reconstructions tardives du XIXᵉ siècle ou les usages politiques contemporains de cette mémoire, notamment par les courants royalistes ou nationalistes.
L’auteur, issu de la presse catholique traditionaliste (L’Homme Nouveau, Radio Courtoisie), adopte une posture qui ne cherche pas l’équilibre historiographique. Le chapitre reprend les thèses de Reynald Secher et de la mouvance partisane qui défend l’idée d’un génocide, non reconnue par l’historiographie universitaire et basée sur une définition anachronique du génocide.
La guerre de Sécession : le cas inverse, une synthèse réussie et passionnante
Le chapitre consacré à la guerre de Sécession se distingue nettement des autres par sa rigueur méthodologique. L’auteur y retrace l’une des guerres civiles les mieux documentées au monde en s’appuyant sur une historiographie abondante et renouvelée.
Le chapitre rappelle efficacement que l’esclavage constitue la cause centrale et indépassable de la guerre comme le montre l’expansion continue du système esclavagiste (1 million d’esclaves en 1800, 4 millions en 1850). De même une incompatibilité croissante entre les sociétés du Nord et du Sud, tant sur le plan culturel que politique, se dessine, les États confédérés étant dépendants d’une main d’oeuvre nombreuse pendant que ceux de l’Union connaissaient une modernisation industrielle forte. Est souligné aussi la position initialement favorable du Sud (culture martiale, défensive stratégique, diplomatie du coton), mais aussi son incapacité structurelle à soutenir un conflit prolongé contre une puissance industrielle supérieure.
Le chapitre met aussi en évidence les caractéristiques quasi-modernes de la guerre : mobilisation massive, logistique ferroviaire, industrialisation de l’armement, rôle déterminant des généraux : Lee à l’Est, Grant et Sherman à l’Ouest.
Après les différentes phases de la guerre et la victoire de l’Union, le Sud subit un effondrement économique massif (perte de 83 % du patrimoine des propriétaires latifundiaires), tandis que la fin de la guerre ne règle pas les tensions raciales. L’émancipation des esclaves n’ouvre pas automatiquement la voie à la citoyenneté pleine : ils seront confrontés à la ségrégation et au démantèlement progressif des avancées de la Reconstruction. La question posée est alors de savoir comment réintégrer les États de la Confédération, dont les chefs n’ont été que peu jugés.
Ce chapitre sur la guerre de Sécession constitue l’un des moments où l’ouvrage répond pleinement à ses ambitions. Il s’appuie sur une historiographie solide, présente les faits avec rigueur, et évite les écueils militants dans lesquels tombent facilement les journalistes s’occupant d’autres chapitres.
Pour conclure
Cet ouvrage ne restera pas une référence sur le concept de guerre civile, loin de là. Sur les vingt chapitres proposés, douze sont rédigées par des journalistes du Figaro dont certains ont travaillé pour Radio Courtoisie ou Valeurs Actuelles. Il ne faut donc pas s’attendre à un livre d’Histoire mais plutôt à du roman national, de la mémoire politiquement orientée à droite, des récits victimaires face aux mouvements politiques de gauche. Néanmoins quelques chapitres apportent un vrai tour d’horizon de confrontation interne à un pays : la guerre de Sécession, la Commune, la Fronde …


