Jacqueline Sorel est d’habitude plutôt versée dans l’histoire de l’Afrique, mais elle a voulu avec cet ouvrage effectuer un retour aux sources de son histoire personnelle.
Les écueils du roman historique
Plusieurs écueils bien identifiés existent. Il y a d’abord la question de la langue employée dans le livre. Dans son avant-propos, l’auteur donne quelques précisions sur le délicat exercice qui consiste à essayer de rendre compte du langage de l’époque. Elle utilise donc des mots de l’ancien français en disant qu’on « peut en retrouver la trace dans le vocabulaire d’aujourd’hui ». Il s’agit d’un vocabulaire souvent soutenu, d’où les notes de bas de page. Il y a un glossaire à la fin sur pas moins de cinq pages. Ensuite, il y a la question du récit. Ce livre oscille entre le roman pur et certains passages qui ressemblent davantage à des exposés d’informations. C’est un peu la limite de cet exercice qui tourne parfois un peu à l’exposé. De même, l’insertion de sous-titres en gras dans les chapitres fait hésiter sur le style du livre qu’on est en train de lire. Une bibliographie complète le livre ainsi que quelques reproductions noir et blanc de navire ou de combat naval.
Jean Ango, entre histoire locale et histoire globale
Jean est resitué dans l’histoire familiale car le roman commence au temps de son père. Les premières scènes racontent d’ailleurs un repas aux illustres invités auquel aurait pu assister le petit Jean. C’est l’occasion de faire dialoguer certains personnages, dont certains deviendront prestigieux plus tard, sur les préoccupations intellectuelles et religieuses de l’époque. Ainsi est évoquée la figure de Savonarole. Jean devint ensuite un personnage important au-delà de sa ville. Il fit fortune grâce aux navires armés et il aida François 1er dans sa lutte contre les Anglais. Mais Jean Ango eut aussi bien d’autres dimensions, tels qu’on imagine les hommes puissants de la Renaissance. Il fut ainsi un mécène et un chapitre est consacré entièrement à cet aspect. Il reste aujourd’hui son manoir dont on découvre une photographie à la fin du livre. On voit aussi les liens que de se devait d’entretenir Jean Ango avec l’Eglise catholique.
Un port dans l’histoire
L’action se situe à Dieppe, ville dont les activités reposaient « en grande partie sur le travail des pêcheurs » et sur le commerce hauturier». On aurait pu imaginer de glisser une carte de Dieppe ou du moins un plan reconstitué pour ancrer encore davantage le personnage dans son lieu. L’époque est bien resituée avec la relation avec les Anglais qui quelques années auparavant dominaient la zone. Plusieurs passages donnent à voir à quoi pouvait ressembler le départ d’un bateau entre les prières pour le départ et des détails sur les aspects pratiques. Ainsi page 76, Jacqueline Sorel décrit le chargement des vivres nécessaires au voyage de la Pensée : « on a aligné, plus au fond, les denrées conservables, les poissons dans la saumure des caques, …une place spéciale de grande dimension a été réservée aux tonneaux d’eau douce… ». On trouve plus loin, page 119, des informations sur le nécessaire ravitaillement auquel devaient procéder les navires. C’est l’époque aussi des corsaires qui, ne l’oublions pas, étaient sous contrat avec le roi de France.
De multiples références aux événements et aux personnages de l’époque
Le livre fourmille d’allusions et de passages sur des grands événements de cette époque comme des références au traité de Tordesillas, à Christine de Pisan ou encore au livre Amadis de Gaule, un des grands succès de l’époque. Tous ces éléments sont insérés dans le récit de la vie de Jean Ango. On trouve également mention de plusieurs chansons ou refrains d’époque. Les grands personnages ne manquent pas car en dehors de François 1er avec lequel il entretint des rapports privilégiés, on trouve des références à la figure de Charles Quint.
Jean Ango fut puissant, mais il connut aussi le déclin que l’on peut relier à la disparition du roi François 1er. Le port dieppois devient aussi moins central ce qui ne fit que réduire la puissance financière et donc sociale de Jean Ango. En un peu plus de deux cents pages, Jacqueline Sorel raconte donc ce début du XVIème siècle et elle tisse des liens entre histoire locale et histoire de France. Elle permet donc de donner consistance à ce Jean Ango, surnommé l’Aigle des mers.
© Jean-Pierre Costille, Clionautes.