Avec cet ouvrage, Alfred Wahl termine sa synthèse sur l’histoire de l’Allemagne au XXe siècle, commencée avec l’Allemagne de 1918 à 1945, dont la seconde édition remonte à une dizaine d’années. Les étudiants d’Histoire et ceux d’Allemand disposent ainsi de deux manuels précis et solides pour se repérer dans un siècle sombre pour l’Allemagne et pour l’Europe. Après les deux guerres, voici l’ère du miracle économique et aussi – ce qui est rarement souligné, remarque l’auteur – du « miracle politique » d’un pays qui se rallie à la démocratie, avec tout son appareil d’État qui avait en grande partie servi le nazisme.
Le professeur émérite de l’université de Strasbourg, spécialiste de l’histoire d’Outre-Rhin, mais aussi de celle de sa petite patrie alsacienne (et, c’est moins connu, auteur d’une histoire du football), propose au lecteur un itinéraire qui court de la Stunde Null (l’ « heure zéro » en 1945, après la chute du nazisme) jusqu’aux plans de relance du début 2009 : en raccourci, de la dénazification au gouvernement d’Angela Merkel. Si l’ensemble suit une stricte chronologie, les chapitres concernant la RFA alternant avec ceux consacrés à la RDA entre 1949 et 1990, autour des figures politiques marquantes des deux côtés (les « ères » Adenauer, Erhard, Brandt, Schmidt, Kohl, Merkel d’un côté, Ulbricht et Honecker de l’autre), on regrettera au passage le faible nombre de cartes (trois seulement) et l’absence de tableaux chronologiques généraux, pour accompagner un récit très dense, heureusement agrémenté de quelques documents « incontournables », comme des extraits du programme du SPD de Bad Godesberg (1959) ou du discours du président Weizsäcker sur le passé de l’Allemagne en mai 1985, 40 ans après la capitulation nazie : ( (la population allemande actuelle, dont la majorité n’était pas née à l’époque ) « ne peut pas reconnaître sa responsabilité personnelle pour des faits qu’elle n’a pas commis. (…) Mais ses pères lui ont légué un lourd héritage. Nous tous, coupables ou non, jeunes ou vieux, nous devons accepter le passé. Nous sommes tous concernés par ses conséquences et nous en sommes tous comptables » ).
Depuis la réunification
On suit avec un intérêt particulier les derniers chapitres, qui traitent de la période suivant la réunification. Notamment ce que dit Alfred Wahl de la contestation de la Vergangenheitsbewältigung (qu’on peut traduire par : « les efforts pour maîtriser le passé », sous-entendu le passé national-socialiste) ; à partir de 1995, lorsqu’une exposition itinérante révèle au grand public l’étendue de la participation de la Wehrmacht (l’armée régulière) au génocide en Europe de l’Est, aux côtés de la SS, et jusqu’aux révélations récentes (2006) de l’écrivain proche du SPD Günther Grass sur sa courte intégration à la SS à la fin de la guerre, ce passé est remonté à la surface, égratignant des figures morales du pays. Cependant, de plus en plus de voix proposent aux Allemands d’en finir avec la contrition perpétuelle après Auschwitz. La polémique qui suivit un discours en ce sens de l’écrivain Martin Walser en 1998 et plusieurs autres affaires (notamment autour du philosophe Sloterdijk, invitant les Allemands à mettre un terme à la culture de la mauvaise conscience, ou les débats autour de la construction controversée d’un mémorial de la Shoah à Berlin, finalement inauguré en 2005 près de la porte de Brandenbourg…) ont causé de l’inquiétude : « Une nouvelle Allemagne, débarrassée de ses complexes, n’est-elle pas en train de s’affirmer ? » s’interroge après d’autres Alfred Wahl.
Au final, il fait le point sur la nouvelle position internationale de l’Allemagne depuis la réunification, avec Gerhard Schröder et Angela Merkel : sans qu’il y ait résurgence de l’idée de Mitteleuropa, on assiste à l’émergence d’une Allemagne capable d’imposer ses choix en matière de construction européenne, et intervenant plus librement sur les théâtres d’opérations, même militairement, « à l’instar d’une grande puissance chargée de responsabilités, mais toujours demeurant prudente en raison de son passé ».
Cependant, si l’unité du pays paraît désormais acquise, plus de 130 ans après l’unification forcée de Bismarck et 70 ans après la « mise au pas » (Gleichschaltung) totalitaire de Hitler, les problèmes de l’identité allemande ne sont pas encore résolus. Outre les désaccords sur la façon de poursuivre la fameuse « Vergangenheitsbewältigung », le travail sur le passé communiste de l’Est est loin d’être achevé, alors même que les niveaux de vie entre populations de l’Est et de l’Ouest demeurent éloignés l’un de l’autre et que, s’inquiète l’auteur, « deux identités semblent s’enraciner, fondées sur des valeurs opposées ».
Au total, une synthèse honnête et un manuel efficace, le premier disponible en langue française sur la période la plus récente de l’histoire allemande.
Nathalie Quillien