Connaissez-vous l’alguier des frères Crouan, les fusains de Prosper Grosjean ou encore l’album judiciaire du camp du Struthof ? Sans doute pas, et c’est normal, car ce sont quelques-uns des documents inédits que propose ce bel ouvrage qui reprend les chroniques de Fabrice d’Almeida sur les archives des armées diffusées cet été sur France Inter.
Les archives sélectionnées du Ministère des Armées se révèlent d’une telle richesse que Fabrice d’Almeida précise d’emblée que le livre sera uniquement centré sur la période 1852-1978. Chaque entrée se développe sur une à trois doubles pages avec une date, un fait, quelques dates clés pour se repérer, un commentaire et une reproduction de qualité des documents. Les thèmes abordés s’avèrent d’une grande variété. On peut à titre d’exemple les regrouper comme suit.
Les guerres de 1860 à 1914
On découvre des croquis de soldats africains ayant servi les armées françaises durant la guerre du Mexique ou de tirailleurs algériens engagés dans la guerre du Tonkin. Même si, dans ce dernier cas, les dessins peuvent sembler naïfs, ils donnent néanmoins des informations sur les équipements de l’époque. Un autre article revient sur le rôle des pigeons durant la guerre de 1870. C’était à l’époque un moyen très pratique pour communiquer, mais en même temps très dangereux si le message tombait dans des mains ennemies. Certains documents sont durs comme ces clichés qui montrent les différentes étapes d’une exécution à Madagascar. Au-delà du fait, ce sont des marques de la mise en place d’un ordre colonial. La Grande collecte sur la Première Guerre mondiale a parfois permis d’incroyables découvertes comme ces fusains réalisés par Prosper Grosjean qui dessina sa guerre.
De la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui
On peut mentionner cet article avec les visages de bourreaux du camp de Mauthausen. Ils ont été photographiés par Francisco Boix, jeune Espagnol qui avait combattu le franquisme. Capturé, il a dû photographier les détenus mais il fut ensuite sollicité par des responsables du camp. Il les photographia donc avec l’idée de pouvoir ausssi constituer une documentation qui pourrait servir à les juger. Un des clichés qu’il réalisa servit d’ailleurs à prouver qu’Albert Speer était bien venu au camp, au contraire de ce qu’il affirmait. Dans le même genre on trouve aussi une galerie de portraits avec les soldats de la division Charlemagne, ces Français qui ont combattu sous l’uniforme du III ème Reich. On y aperçoit des jeunes et des moins jeunes et ce document servit, là aussi, à les identifier à la fin du conflit. Dans un autre article, Fabrice d’Almeida souligne à propos des clichés qui montrent une foule enthousiaste lors d’un passage du maréchal Pétain qu’elles « ne sont pas la preuve de la dévotion massive des Français […] mais elles révèlent la dérive de Vichy vers les modèles de scénographie des régimes fascistes. » L’ouvrage aborde d’autres guerres comme celle d’Indochine avec des images très violentes qui montrent un homme tenant la tête d’un ennemi sur une pique. Il faut aussi se rendre compte que d’autres images dénonçant les violences coloniales existent à de nombreux exemplaires car elles pouvaient servir à convaincre la population locale de basculer dans la lutte contre la présence française. Plusieurs entrées concernent la guerre d’Algérie avec notamment une approche des exécutions sommaires, des moyens de la guerre psychologique ou des informations sur la stratégie des bombardements.
Progrès techniques et sanitaires
Un des intérêts de l’ouvrage est de ne pas se limiter à une approche uniquement centrée sur l’aspect militaire. Ainsi, une entrée est consacrée au médecin Alphonse Lavéran qui découvrit le parasite responsable du paludisme et obtint en 1907 un prix Nobel pour ses travaux. Il choisit de prendre sa retraite à 50 ans pour pouvoir continuer à chercher. Plusieurs documents évoquent le commandant Charcot, connu pour ses découvertes de terre au pôle Sud. Ce fils d’un médecin célèbre oeuvra à la conception de navires leurres pour la guerre sous-marine. On pourra découvrir d’étonnants plans de 1940 pour des ascenseurs à sous-marins. Parmi les pépites d’archives, il y a l’ incroyable alguier des frères Crouan qui, au milieu du XIXème siècle, ont inventorié et classé les algues dans le but de les utiliser. Ce travail les a occupés pendant quatorze ans.
Le rôle des femmes
Les femmes sont présentes dans cet ouvrage et dès 1917 avec le camouflage maritime. On les retrouve avec le GLAM, Groupe de liaisons aériennes ministérielles, dans lequel oeuvra Maryse Hilsz, une des championnes de l’aviation française. On découvre également les photographies réalisées par Germaine Kanova, première femme engagée dans les Forces françaises libres en tant que correspondante de guerre et qui se rendit en 1945 dans le camp concentration de Vaihingen. On rencontre aussi Simone Mathieu, grande championne de tennis, qui rejoignit De Gaulle après l’armistice. Il faudra néanmoins attendre 1972 pour que soient posés dans l’armée les fondements d’une égalité homme-femme et 2015 pour que l’ensemble des métiers leur soit ouvert.
Les célébrités dans les archives de l’armée
Tout au long de l’ouvrage, on croise, et pour des motifs très différents, plusieurs personnalités. Ainsi, on trouve des entrées consacrées à Jean Genet, Jean Giono, Léopold Sedar Senghor ou, dans un tout autre genre, Johnny Halliday. Jean Gabin lui ne se résolvait pas à seulement faire des films pour aider. Il y a également des documents sur Louis-Ferdinand Céline car celui qui fut agent secret en 1915 fut amnistié en 1951 pour services rendus lors du premier conflit mondial.
Cet ouvrage propose donc de multiples entrées qui font découvrir la richesse de ce fonds d’archives du Ministère des Armées. Il ne se limite pas à une approche restreinte à la chose militaire mais il offre aussi de beaux portraits de femmes ou des témoignages différents sur les guerres.
Jean-Pierre Costille pour les Clionautes