Légion étrangère – Par delà le mythe 

Lors du déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février dernier, dans les clubs de la plupart des unités de la légion étrangère, on a pu noter une certaine effervescence. Sur les 9000 hommes que compte cette unité particulière de l’armée de terre, 90 % d’entre eux sont étrangers. Ils ont choisi, au terme d’un processus de sélection particulièrement rigoureux, de servir la France. Depuis l’implosion de l’Union soviétique, et la chute du mur de Berlin, beaucoup d’entre eux sont originaires de différents pays d’Europe centrale et orientale, ukrainiens et russes compris.

700 légionnaires sont ukrainiens, et l’on peut comprendre que pour certains d’entre eux, qui ont encore leur famille dans leur pays d’origine, les événements en Ukraine ont pu les toucher. Cela conduit le père légion, le général de brigade Alain Lardet à s’adresser spécifiquement à eux.

Cet ouvrage obtenu grâce à la diligence de l’animatrice de la Cliothèque a été publié avant ces événements. Mais il permet d’éclairer l’histoire de cette unité particulière de l’armée de terre dont les règles peuvent apparaître comme totalement incompréhensibles au profane qui n’est pas versé dans la chose militaire. Car chaque objet ramené d’une campagne, depuis la création de la légion en 1831, est porteur d’histoire. Chaque fragment de drapeau, chaque monument, commémore le sacrifice de ces hommes, « français par le sang versé ». Car c’est ainsi que commence ce voyage dans la légion, que l’on soit fils de France ou natif d’ailleurs. Au moment de l’engagement, le contrat précise que l’on signe « à titre étranger ». Et c’est après un temps de service que l’on retrouve son identité, et que l’on peut prétendre, si le certificat de bonne conduite le permet, à la nationalité française.

Jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, en 1962, les reliques les plus précieuses se trouvaient à Sidi bel Abes. Le redéploiement de la maison mère à Aubagne s’est achevé par la construction du musée, inauguré en 1966 par Pierre Messmer, capitaine de la Légion, ministre de la défense et premier ministre de Georges Pompidou. C’est à une visite de ce musée, en réalité augmentée, si l’on télécharge l’application disponible sur le rabat du livre, que nous invite l’objectif du photographe Frantisek Zvardon. Les objets conservés, les photographies anciennes mises en valeur, sont accompagnées, chapitre par chapitre, par les différents articles du code d’honneur du légionnaire, sensiblement différent de celui du soldat qui est remis à tout engagé le jour de la signature de son contrat.

Aujourd’hui, dans une période où la détestable expression de « préférence nationale » fleurit dans certains programmes électoraux, il est bon de rappeler cet article deux de ce code d’honneur qui en compte sept :

Article 2. Chaque légionnaire est ton frère d’arme, quelle que soit sa nationalité, sa race, sa religion. Tu lui manifestes toujours la solidarité étroite qui doit unir les membres d’une même famille.

J’ai la possibilité, en raison de mes activités de réserviste de fréquenter des unités de la légion étrangère, dans leur quartier ou lors de leurs déploiements. Autour d’une bière, on fait le tour du monde. Et souvent les drapeaux des pays d’origine des personnels de la compagnie, servent de décor. Et pourtant, des légionnaires népalais, aux moldaves, russes, ukrainiens, baltes, Serbes, Croates, mais aussi brésiliens et péruviens, tous parlent le français. Et tous sont des volontaires. Tous entretiennent dans leur devise cette appartenance : légio patria Nostra. Pour ceux du deuxième régiment étranger parachutiste, basé à Calvi, on y retrouve cette référence adoptée en 1940 : « More Majorum » – à la manière des anciens.

Depuis 1831, ces fils de France par le sang versé, et non par le sang reçu, ont été de tous les combats, sur tous les théâtres d’opérations, pendant les guerres du continent européen, mais aussi, on dirait même surtout, outre-mer.

Je fais paraître cette recension le 30 avril en hommage à ces légionnaires, hommes du rang, sous-officiers et officiers, que j’ai pu croiser en dispensant mes enseignements, et dont j’ai pu percevoir des fragments de leur histoire.

Le 30 avril, tous les légionnaires commémorent Camerone, cet épisode de l’expédition du Mexique décidée par Napoléon III entre 1861 et 1867. Le 30 avril 1863 62 légionnaires sont assiégés dans une hacienda du village de Camaron de Tejeda et ont résisté à plus de 2000 soldats mexicains. Seuls 22 légionnaires ont survécu. Depuis, la main articulée du capitaine Danjou dont le corps n’a pas été rapatrié du Mexique, constitue la relique la plus précieuse pour chaque légionnaire.

Légion étrangère
Le combat de Camerone 30 avril 1863

Tous les ans depuis cette date cette pièce de bois articulée représente la mémoire de cette unité qui n’a que de rares équivalents dans d’autres armées de monde. La légion étrangère espagnole, appelée la Bandera a été inspirée, lors des affrontements dans le Sahara, du modèle de la légion étrangère française.

Elle a pu constituer le point de départ des troupes « marocaines » qui ont servi au général Franco pour entreprendre le coup d’État de 1936. D’autres unités étrangères ont pu être constituées dans différentes armées. Assez récemment, devant la pénurie de jeunes allemands prêts à s’engager dans une armée de métier, il a été envisagé d’ouvrir le recrutement de la Bundeswehr à des Européens, sous réserve qu’ils parlent l’allemand. Ou en tout cas soient disposés à l’apprendre.

Une certaine légende, qui n’est pas forcément dénuée d’une certaine vérité, entoure la légion étrangère. On a pu pendant un temps considéré qu’elle servait de recyclage à des gibiers de potence ou à des fils de famille dévoyés qui venaient se refaire une certaine virginité. Même dans la série de romans de Maurice Leblanc, Arsène Lupin, pour faire oublier son chagrin d’amour, s’engage, pendant un temps, dans la légion étrangère et combat aux confins de l’Algérie et du Maroc.

Il est une règle au sein de la légion qu’il convient de ne jamais transgresser. On ne demande jamais quelle est l’histoire que ces engagés volontaires ont pu connaître avant de signer leur contrat. Des légionnaires ont pu commettre des délits, connaître la prison, et chaque dossier est soigneusement examiné. Les crimes de sang, les crimes sexuels et le trafic de drogue ne permettent pas de rejoindre la légion étrangère. Par contre, chaque dossier est examiné très attentivement, et le principe de la deuxième chance est de règle.

Avec un peu de temps et d’intérêt, et surtout une connaissance de l’histoire récente des pays d’origine des légionnaires, on parvient à retracer certains parcours. Pour les légionnaires des pays d’Europe centrale et orientale, Ukraine et Russie compris, les légionnaires ont déjà derrière eux un passé militaire. Bien souvent ils parlent trois langues, le russe pour les plus anciens, l’anglais très souvent, et leur langue nationale. Mais l’usage du français est une règle absolue. Les conversations entre légionnaires de même nationalité doivent se tenir en français, sous peine de sanctions. Le chef de groupe est d’ailleurs sanctionné si le niveau d’expression française de ces hommes n’est pas jugé satisfaisant.

Contrairement aux unités de la conventionnelle, les quartiers de la légion étrangère où les personnels sont tenus de résider pendant cinq ans, ne se vident pas le week-end. La fête de Noël se passe obligatoirement dans la légion, et quelle que soit la religion d’origine tous les légionnaires participent à la confection de la crèche de la compagnie de rattachement.

Toutes les activités trouvent leur explication dans une tradition qui s’appuie sur un fait d’armes qui appartient à l’histoire de la légion. Ce que l’on appelle dans l’armée « les popotes », porte la dénomination de « club » dans la légion. Ce sont des lieux vastes, superbement aménagés, et sur les murs, toute l’histoire de la compagnie défile, les morts au combat, les trophées ramenés, le souvenir entretenu de ceux qui ont pu marquer l’histoire de la compagnie.

À la manière des anciens, ce n’est pas seulement une formule qui s’est peu à peu banalisée. Dans mon champ de compétence qui est celui d’accompagner des personnels militaires aux concours, on trouve également cette spécificité « légionnaire ». Malgré les difficultés d’accès à une langue qui n’est pas la langue maternelle, malgré les exigences d’un service qui est prenant, notamment pour les sous-officiers supérieurs dont les responsabilités sont très étendues, le travail préparatoire est toujours rendu avec un soin méticuleux et les consignes suivies à la lettre.

Et cela est d’autant plus méritoire que les places dans les concours sont spécifiques à la légion. La sélection y est plus exigeante que dans les autres unités, particulièrement si l’on souhaite poursuivre sa carrière au sein de la légion.

C’est à la découverte de cette aventure humaine, au service de la France, que cet ouvrage nous invite. Il nous donne incontestablement envie d’en savoir un peu plus.