Rosemonde Sanson : Une enseignante-chercheuse spécialiste du Centre en France (1901-1939)
Rosemonde Sanson est une historienne française du politique spécialiste de l’idée de « centre » en politique et de l’Alliance républicaine démocratique (ARD). Docteur en histoire, docteur ès-lettres et sciences humaines, elle est maître de conférences honoraire à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, ainsi que membre du Centre de recherche en histoire du XIXe siècle (CRHXIX) et du conseil d’administration du Comité d’histoire parlementaire et politique (CHPP). Ses travaux portent sur diverses approches du politique en France : célébrations nationales, mise en scène du pouvoir, parti et personnel politiques. Rosemonde Sanson a consacré sa thèse de doctorat d’État, résultat d’une vingtaine d’années de travail, à la notion de « centre » sur l’échiquier politique français à travers le prisme de l’Alliance républicaine démocratique et de ses relations avec le Parti radical-socialiste. Elle y étudie les origines de l’Alliance républicaine démocratique, parti centriste et laïque, né lors de la scission au sein des républicains progressistes à la suite de l’affaire Dreyfus, et s’intéresse surtout aux élites du parti et à l’évolution de sa ligne politique. Au-delà du cas de l’Alliance républicaine démocratique, Elle prend part dans le débat historiographique sur la notion de centrisme dans la vie politique française.
Le présent ouvrage (publié avec le soutien de la Fondation Carnot et du Centre de recherche en histoire du XIXe siècle ou CRHXIX) est la version abrégée et réécrite d’une thèse de doctorat d’histoire dirigée par Jean-Marie Mayeur et soutenue le 2 décembre juin 2000, à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne sous le titre L’Alliance républicaine démocratique. Une formation du centre (1901-1920), 2000, 1178 p. En d’autres termes, ce volume représente environ la moitié de la thèse originale et est publié presque deux ans après la soutenance de Rosemonde Sanson.
Le travail de Rosemonde Sanson se fonde entre autres sur le fonds de Pierre-Etienne Flandin de la BN (132 cartons). Les chapitres sont chronologiques mais l’analyse est thématique. De facture classique, le livre déroule en trois parties et douze chapitres les principaux moments de l’Alliance républicaine démocratique entre sa fondation en 1901 et sa mise en sommeil provisoire en 1920. En outre, ce livre comporte une introduction (pp. 7-14), une première partie (pp. 15-160), une deuxième partie (pp. 161-332), une troisième et dernière partie (pp. 333-496), une conclusion générale (pp. 497-504) ainsi que tous les attributs de l’ouvrage scientifique : bibliographie (pp. 505-522), annexes (pp. 523-544), index général des noms de personnes (pp. 545-556) et, enfin, une table des matières (pp. 557-562).
L’Alliance républicaine démocratique dans le Bloc des gauches (1901-1906)
La première partie s’intitulant « L’ARD dans le Bloc » (pp. 15-160), d’environ 145 pages, comporte quatre chapitres ayant respectivement 31, 35, 41 et 33 pages : chapitre I (Prolégomènes à l’histoire de l’Alliance républicaine démocratique : pp. 17-48), chapitre II (La naissance de l’Alliance républicaine démocratique : pp. 49-84), chapitre III (Une association de républicains de gauche : pp. 85-126) et chapitre IV (L’Alliance et la politique anticléricale du Bloc des gauches : pp. 127-160).
Dans le chapitre I (pp. 17-48), Rosemonde Sanson décrit la genèse de cette association portée sur les fonts baptismaux par les progressistes qui suivirent Waldeck-Rousseau au moment de l’Affaire Dreyfus puis, dans le chapitre II (pp. 49-84), l’auteure montre la naissance de l’ARD en 1901 avec ses pères fondateurs dont Adolphe Carnot. Dans le chapitre III (pp. 85-126), l’historienne démontre que l’ARD regroupe des républicains de gauche. De ce fait, l’association s’applique à rejeter tout aussi fortement la révolution et la réaction, mais s’ancre résolument, en 1902, du côté du Bloc des gauches, avec 39 députés élus aux législatives de 1902. Cependant, dans le chapitre IV (pp.127-160), plus proche d’Aristide Briand que d’Émile Combes, l’ARD soutient cependant la politique de ce dernier, mais vote le projet de loi libéral de séparation des Églises et de l’État. C’est sur cette ligne qu’elle gagne 99 sièges aux élections législatives de 1906.
Un « Bloc du Centre » ?
Du « bloc des républicains démocrates » à la création du parti républicain démocratique (1907-1911)
La deuxième partie appelée « Un « Bloc du Centre » ? Du « bloc des républicains démocrates » à la création du parti républicain démocratique » (pp. 161-332), d’environ 171 pages, est composée également de quatre chapitres comportant respectivement 45, 37, 47 et 37 pages : chapitre V (Le « bloc des républicains démocrates » et les frictions avec les valoisiens : pp. 163-208) ; chapitre VI (L’Alliance devient un parti : pp. 209-246), chapitre VII (L’implantation nationale : pp. 247-294) et chapitre VIII (Les conceptions économiques et sociales des alliancistes : pp. 295-332).
Dans le chapitre V (pp. 163-208), coincée entre les radicaux-socialistes (l’alliance est anti-socialiste) et le centre droit progressiste (Fédération républicaine), l’association croit trouver une stratégie identitaire avec le « bloc des républicains démocrates » (1907), dans le but de substituer une alliance nouvelle au Bloc des gauches. Mais les élections de 1910 soulignent l’importance des accords de second tour avec les radicaux et rendent caduque cette stratégie qui, ratée, mue les doutes réciproques des radicaux sur les alliancistes en différend réel, tout en conduisant à la clarification politique et stratégique de l’Alliance.
Dans le chapitre VI (pp. 209-246), l’ARD devient un parti en juillet 1911 et l’auteure Rosemonde Sanson démontre l’originalité du Parti républicain démocratique en l’appréhendant dans une dichotomie « parti ouvert / parti fermé » (p. 213) dont la meilleure illustration est le cas de la fédération girondine de l’ARD examinée dans le chapitre VII.
Dans le chapitre VII (pp. 247-294), Rosemonde Sanson a su dégager une approche multiscalaire de cette formation politique pourtant quantitativement assez faible avec 25 000 adhérents en moyenne (p. 247). Ce jeu d’échelle permet de souligner une exceptionnalité liée à l’organisation de l’Alliance républicaine démocratique, la fédération de Gironde qui compte 9 000 membres (pp. 257-262). Cette fédération grâce à sa légitimité militante se comporte comme un « parti indépendant ». « Parti de cadres » qui compte un tiers de ses membres dans une seule fédération, c’est surtout un parti de gouvernement au gouvernement (p. 264). L’exceptionnalité de la fédération girondine souligne les difficultés d’institutionnalisation d’une organisation partisane qui ne recrute que parmi les élites républicaines. En effet, tous les comités locaux semblent être des créations ex-nihilo, peu sont issues des nombreuses « proto-structures » du « Parti républicain ».
Dans le chapitre VIII (pp. 295-332), Dans cette « monographie partisane », où se succède l’étude des fondateurs, du groupe parlementaire, des moyens d’informations (quotidiens nationaux ou locaux), et de la compétition électorale notamment durant les scrutins législatifs, le « parti Carnot » est une organisation politique. Celle-ci fonctionne d’abord en tant qu’« association » puis à partir de 1911 en tant que « parti politique ». Ce changement d’affichage s’accompagne d’un changement de positionnement dans le système partisan face notamment au Parti républicain radical et radical-socialiste. La différence entre les deux formations laïques du « Parti républicain » est peut-être avant tout d’ordre organisationnel en effet l’Alliance républicaine démocratique est un véritable « parti de notables », une formation de l’élite républicaine (Louis Barthou, Adolphe Carnot, Paul Deschanel, Armand Fallières, Émile Loubet, Charles Pallu de la Barrière, Raymond Poincaré, Charles Jonnart, Jules Siegfried). Elle recrute ses membres, parmi les responsables des nombreuses associations soutenant le régime comme la Ligue des Droits de l’Homme ou la Ligue de l’Enseignement et également parmi les professeurs d’Université et les responsables des milieux économiques.
De la « concentration nationale » à la concentration républicaine / Du PRD au PRDS (1911-1920)
La troisième partie intitulée De la « concentration nationale » à la concentration républicaine / Du PRD au PRDS (1911-1920) (pp. 333-496), d’environ 163 pages, comporte à nouveau quatre chapitres ayant respectivement 39, 45, 27 et 47 pages : chapitre IX (De Briand à Briand : pp. 335-374), chapitre X (De l’antinationalisme au patriotisme républicain affirmé : pp. 375-420), chapitre XI (Le parti républicain démocratique pendant la guerre : pp. 421-448), chapitre XII (Vers la reconstruction d’un « grand parti républicain démocratique » : pp. 449-496).
Dans un premier temps, dans le chapitre IX (pp. 335-374), la marche vers la formation partisane est lancée et prend appui sur plusieurs éléments : la dislocation du Bloc des gauches, le poids des adhérents (30 000 environ vers 1911) favorables à la mutation en parti, la structuration du briandisme en un modérantisme diffus, la réforme électorale. C’est précisément dans ces années-là (1909-1911) que les tentatives identitaires d’élaboration du centrisme au Parlement connaissent l’espoir le plus grand : les députés alliancistes siègent à proportion égale au sein de deux groupes parlementaires réunissant des élus de centre gauche et quelques élus de centre droit (groupes de la Gauche démocratique et la Gauche radicale) ; un nouveau groupe parlementaire naît en 1911 – l’Union républicaine – qui unit l’aile gauche des élus de la Fédération républicaine à quelques députés de centre gauche. La conjoncture politique y est largement favorable et la constitution des cabinets Monis puis Caillaux la même année – 1911 –, même soutenue par les alliancistes, fait vite regretter les années Briand (juillet 1909-février 1911) : l’apaisement est une « œuvre de bonne foi » et son auteur, le député de la Loire, « a le droit à la reconnaissance du pays ». L’abandon de la (RP), à la veille des élections législatives, rassure ces élus. Le 4 décembre 1911 naît le PRD.
Dans un deuxième temps, dans le chapitre X (pp. 375-420), les prises de position des Alliancistes font l’objet d’analyses pénétrantes et pertinentes de la part de l’auteure. Il apparaît bien que l’affirmation de la laïcité, la défense du libéralisme et le patriotisme marqué – les députés du PRD ont soutenu avec ardeur toutes les lois qui renforçaient la défense nationale (dont la loi des 3 ans) – ont représenté les soucis majeurs du PRD. En effet, avec la focalisation du débat sur la « question sociale » : le Parti républicain démocratique a tendance, par horreur du « collectivisme », à mieux se démarquer, même sur le plan électoral, des radicaux-socialistes soupçonnés de compromissions sur leur gauche. Le PRD tente également de ramener vers elle quelques membres de la Fédération républicaine, inquiets de l’entrée de nationalistes dans leur mouvement. De plus, la dramatisation des rela¬tions avec l’Allemagne conduit le PRD à revendiquer d’être un parti national en faisant parti du collectif électoral et parlementaire : la Fédération des gauches. Les élections législatives de 1914 sont une défaite pour le PRD comme l’échec électoral et parlementaire de la Fédération des gauches en font foi, alors que les alliancistes sont écartés des gouvernements de 1914.
Dans un troisième temps, dans le chapitre XI (pp. 421-448), Rosemonde Sanson montre que les Alliancistes sont écartés du pouvoir pendant les trois premières années de guerre mais l’ARD renaît en tant qu’association en octobre 1917 et reprend ses activités politiques profondément modifiée.
Dans un quatrième temps, dans le chapitre XII (pp. 449-496), après la guerre de 1914-1918, l’ARD œuvre à l’élaboration du Bloc national républicain sans vouloir se couper des radicaux-socialistes, sortis affaiblis de la guerre. Les élections de 1919 mar¬quent un triomphe pour l’Alliance qui remporte sa plus grande victoire électorale (140 élus). Pourtant, l’équipe des instances dirigeantes ayant chan¬gé, les alliancistes donnent un coup de barre à gauche et se rapprochent des radicaux. C’est la naissance du « nouveau » parti, le Parti républicain démocratique et social (PRDS) en 1920, année de la mort d’Adolphe Carnot, qui marque la fin de cette étude (p. 485).
L’Alliance républicaine démocratique : la future référence pour l’histoire du centrisme ?
Au final, dans sa conclusion générale (pp. 497-504), Rosemonde Sanson démontre que l’ARD est une formation de centre gauche à ses débuts (1901-1907/09), de centre gauche se liant au centre droit (1907/09-1912), de strict centre droit (année 1913 et à partir de 1917 – année de sa renaissance en association), l’ARD est une formation « de centre » (on pourrait dire des centres), mais elle parvient difficilement à se hisser en une structure du centre. Sa mutation en parti n’est pas aboutie politiquement et la contradiction entre la composition hétérogène des comités de base et celle plus élitaire des instances dirigeantes a posé quelques problèmes. N’y a-t-il pas inadéquation entre cette formation de « juste-milieu », « concentrationniste », appuyée sur un réseau de journaux liés à elle – le Paysan de France, la Correspondance agricole et politique, l’Alliance républicaine démocratique – ou la soutenant simplement – le Temps ou le Petit Parisien –, et l’affrontement binaire entre le Bloc national et le Cartel des gauches ? Malgré une bonne implantation locale (le Sud-Ouest, l’Est, la Seine et le Nord, puis une percée dans le Sud-Est alpin et le Massif central), l’Alliance n’entraîne pas vraiment la naissance d’une culture politique centriste. Les travaux en cours de l’auteur sur l’entre-deux-guerres permettront certainement de prolonger la réflexion et de relancer le débat.
© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)