L’histoire sociale et culturelle française avec le riche travail de Marion Glaumaud-Carbonnier autour du récit du divorce au XIXe siècle recèle un nouvel éclairage : comment les auteurs contemporains des soubresauts de la législation sur le démariage entre 1792 et 1884 ont-ils intégré ces tumultes à leurs écrits qu’ils soient romancés ou journalistiques ? Comment ont réagi leurs lecteurs ? Les divorciaireslégislateurs du divorce – ont-ils suivi l’opinion publique avide des récits judiciaires des  » séparations de corps  » ? Les écrivains ont-ils préparé la société française et poussé les députés de la jeune IIIe République à s’emparer de la question de  » Madame contre Monsieur  » ? … 

Le 20 septembre 1792, à lors que l’Assemblée nationale décrète que « Le mariage se dissout par le divorce « , c’est avant tout au nom de l’égalité des femmes et des hommes. En mettant en avant cet argument, les députés ne se contentent pas de bouleverser les liens entre époux, ils donnent aussi une place nouvelle à la femme qui n’a connu jusqu’à cette date que le passage du statut de fille de … à épouse de … . Peu importe les motifs de séparation : il est désormais inscrit dans la Loi, l’épouse dispose d’un nouveau statut dans la vie quotidienne, dans les prétoires et dans la littérature. Rapidement restreint par le Code Civil de 1804, dès le 8 mai 1816, le décret est abrogé  » dans l’intérêt des moeurs, de la Monarchie et des familles « . Le mal-mariage pendant près de 70 ans devient non seulement un objet de récit dont s’empare les écrivains contemporains mais aussi un feuilleton dans la presse aux lecteurs souvent avides de sensationnalisme. Lorsque la jeune IIIè République vote le rétablissement du divorce le 27 juillet 1884 porté par le député Alfred Naquet, les années qui ont précédé ont finalement préparé les esprits, les moeurs et l’opinion publique à la nécessité du rétablissement de cette loi qui permet de briser les chaînes de la prison maritale.

Quereller l’azur : procès du roman conjugal

Les auteurs de l’anti-roman du divorce vont rapidement passer à l’attaque entre imaginaire d’un couple idéal et lutte contre une guerre des sexes qui remettrait en cause les fondements de la société française en libérant la femme menant ainsi à une dissolution des moeurs. Les penseurs de la Restauration ne manquent pas de faire l’analogie avec la guillotine révolutionnaire, la mort du roi comme celle de l’époux allant jusqu’à écrire comme le fait en 1828 Sophie Durand dans  » Mémoires sur Napoléon, l’impératrice Marie-Louise et la Cour des Tuileries  » que la séparation du couple impérial est  » à l’origine de sa chute « . La diffusion de brochures, la parole dans les églises, et même les journaux dans le contexte de la révolution de 1848 veillent à détourner les esprits du rétablissement du décret de 1792 alors que les femmes le réclament. Cependant, la vérité sort des prétoires lors des procès civils de séparation de corps : les témoignages des femmes quel que soit leur classe sociale sont souvent les mêmes, publiés dans les comptes rendus judiciaires dans la petite presse, ils préparent les lecteurs à une évolution législative indispensable bien loin du récit romantique de la vie à deux.

Émile Zola publie dans Le Figaro le 14 février 1881 « Le divorce et la littérature  » dénonçant ce qu’il nomme  » l’enfer conjugal « . Ici, Marion Glaumaud-Carbonnier démontre pourquoi il est possible de considérer le roman  » Indiana  » que publie George Sand en 1832 une référence pour les divorciaires. Pour certains dont l’illustrateur Daumier, il donne des idées aux femmes, est responsable de procès en séparation de corps où au tribunal  » On fait du Sand  » alors que pour Alfred Naquet et d’autres, il montre la réalité du mal mariage entrainant la compassion du lecteur. Eugène Sue et Balzac s’emparent à leur tour de cet état social. La sexualité conjugale sort alors de la chambre à coucher pour remplir les pages des romans et les prétoires des tribunaux : le viol légal né de mariage arrangé, la violence de la nuit de noce, l’ignorance et la douleur face à la brutalité font du divorce une rupture de l’intimité, tableau que peint Guy de Maupassant un an avant la réforme législative.

Femmes nouvelles et hommes d’avant : les divorcés, figures du nouveau monde

Après le triomphe des divorciaires et l’adoption de la loi Alfred Taquet un nouveau statut apparaît en société : les divorcés. Dans les 6 mois qui suivent, la petite presse se fait les choux gras de  » la fièvre divorceuse  » donnant naissance à « un personnage de l’entre-deux, Madame sans monsieur  » pour reprendre les mots de M. Glaumaud-Carbonnier. Les débats publics des procès y sont retranscrits apportant leur lot de scandale allant même jusqu’à évoquer les dessous de la divorcée. La publication des divorces célèbres devient objet de babillage à l’heure nouvelle du five o’clock. De véritables modes d’emploi du divorce sont publiés face à la multiplication des interrogations : quel nom porter ? que faire de l’alliance ? quel nouveau savoir-vivre ? …

 » Il faut fuir les divorcées  » écrit Claude Anet au début du XXè siècle. Femme en marge de la société traditionnelle, à mi-chemin de la courtisane et de la déclassée, aux moeurs légères, la divorcée est le plus souvent ostracisée dans les récits. Elle est perçue comme une concurrente sur le marché matrimonial à la recherche d’une nouvelle situation, d’un homme à épouser bien que le remariage salisse le nouvel époux qui épouse celle au capital ébréché et heurte les convenances de la moralité catholique.  » L’ère Uchard  » commence pour les ex-maris, période qui porte le nom de l’auteur de  » La Fiammina  » qu’il publie en 1857 année de sa séparation de corps avec l’actrice Madeleine Brohan avant de bénéficier de la loi Alfred Taquet. Maupassant le 12 Juin 1884 compatit face à la jalousie nouvelle qui ronge le démarié et Villiers de l’Isle-Adam interroge le Barbe-Bleu du divorce.  » Une guerre de coups d’épingle  » se déclare alors entre les parents comme l’écrit Alphonse Daudet. Les enfants deviennent les premiers personnages de nombreux textes littéraires, d’articles, de discours de conservateurs et de catholiques. Le droit de garde retiré au père depuis 1804, à partir de 1896 la mère seule peut autoriser un mariage signant le recul de la puissance paternelle et l’ébranlement des moeurs de la société.  » Sans Famille  » d’Hector Merlot, «  Jack : moeurs contemporaines  » d’Alphonse Daudet donnent la parole aux enfants qui expient la faute des parents.

Crise du mariage et krach du roman

À partir de 1792, la trame romanesque des récits sentimentaux doit s’adapter.  » Delphine  » de Germaine de Staël publié en 1802 est à la charnière du changement dans la loi. Elle fait le récit de deux femmes : l’une – originaire des Pays-Bas – sortie un divorce aux procédures complexes et douloureuses alors que l’héroïne française et son amant eux refusent de légitimer leur relation adultère. 1816 ramène  » Le malheur conjugal  » au coeur des écrits et des interrogations littéraires : que seraient  » La Guerre de Troie « ,  » Les 1000 et 1 nuits « ,  » Emma Bovary  » au temps du démariage ?

La loi Naquet, cependant, ne donne pas matière à une littérature spécifique du divorce. Anatole France fraîchement divorcé transpose sa liaison dans  » Le lys rouge  » mais pas sa déconjugalisation qui manque de romanesque. L’adultère épicé s’étale dans les chroniques judiciaires, la course à la preuve sonne la fin de la vie privée et donne naissance à une littérature de cours d’assise où se dénouent les intrigues. Le personnage du commissaire de police fait son entrée même si une partie de la société française n’est pas prête à cette réalité : 3 tableaux – dont  » En flagrant délit  » de Jules Garnier – sont retirés d’un Salon en 1885 pour éviter les polémiques et attroupements… Le 15 décembre 1904, sur proposition de Barthou, Millerand, Caillaux et Poincaré, l’article 298 qui interdit d’épouser le complice d’un adultère est supprimé mettant fin à des situations ubuesques pour contourner la loi.

À l’instar d’Émile Zola, moqués par André Gide en 1905, les écrivains du XIXè siècle n’arrivent pas ou mal, à intégrer ce couple nouveau.  » Thérèse Desqueyroux  » de François Mauriac en 1927 est le portrait de Emma Bovary au XXè siècle, Emmanuel Berl en 1931 quand il évoque l’adultère affirme :  » Au moins, elles restaient « . Une femme nouvelle, héroïne du roman de Victor Margueritte, intégrée dans la société française transparaît désormais dans les écrits : elle fait de son mariage par amour une association. Reflet de leur époque, les critiques s’interrogent : le divorce a-t-il tué l’adultère ? La complicité dans le couple le goût de l’intrigue ? Madame contre Monsieur est désormais un récit d’un autre siècle.

Dans sa conclusion, Marion Glaumaud-Carbonnier, comme elle le fait dans cette monographie, rappelle combien la loi Alfred Naquet est aussi la résultante de la lecture par les Français entre 1870 et 1884 des récits et de la presse où les héros – le plus souvent les héroïnes – souffrent et se révoltent au sein d’un mariage devenu une cage. La volonté du député du Vaucluse fera le reste. L’ouvrage permet de mesurer combien, pour les écrivains, il est parfois très difficile de saisir l’air du temps et l’évolution de la société qui plus est lorsqu’il s’agit de l’émancipation féminine.