Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle : entre histoire des techniques, histoire environnementale et histoire des logiques sociales, l’histoire rurale du XXe siècle abordée dans cet ouvrage est marquée par un renouvellement de l’intérêt et des questionnements. Ce tour d’horizon des évolutions de l’agriculture depuis un demi-siècle permet une meilleure compréhension de la situation aujourd’hui.

Margot Lyautey, Lina Humbert et Christophe Bonneuil qui coordonnent cet ouvrage collectif, décrivent les grandes lignes du contexte actuel des recherches dans leur introduction. Cet ouvrage est issu d’un colloquehttps://www.foncier-developpement.fr/wp-content/uploads/AAP_Histoire-modernisations-agricoles2017_fr.pdf, 1516septembre2017àParis, décrit ainsi par Christophe Bonneuil, à la fois organisateur et intervenant dans cet évènement :

« Le propos de ce colloque est de donner à voir les renouveaux, les chantiers de recherche en cours sur les transformations de l’agriculture au XXe siècle ainsi que de revisiter l’histoire de la « modernisation » agricole française des décennies d’après-guerre, en la plaçant dans une temporalité plus longue et cadre comparatif international, et en ouvrant l’histoire agricole à l’histoire environnementale. Accueillant des contributions des sciences sociales, le colloque interrogera aussi les héritages et transformations contemporaines des modèles de modernisation de la période 1940-1980.« 

Perspectives internationales et croisées

Dans cette première partie c’est l’approche internationale qui est privilégiée.

Déborah Fitzgerald analyse le modèle des grandes exploitations né dans l’entre-deux-guerres à la fois aux États-Unis et en URSS. La recherche de la rationalité et de l’efficacité domine ces deux modèles, les influences réciproques découlent des déplacements et les échanges d’experts de ces deux pays. Peut-on aller jusqu’à parler d’une américanisation des kolkhozes ?

Arnaud Page présente l’utilisation des engrais azotés, une histoire qui commence dès la fin de la Première Guerre mondiale et connaît une accélération dans les années 1950. L’auteur décrit les politiques de l’azote associées à la notion de sécurité alimentaire.

Gésine Gerhard analyse la politique agricole du Troisième Reich, une priorité dans une Allemagne qui se souvient des pénuries de 1917-1918. C’est l’œuvre d’un homme Hubert Backo, comme ministre de l’agriculture, il s’appuie sur un slogan : « Blut und boden » (sang et sol) qui rappelle le lien entre un pays et son sol tout en misant sur les apports de la science agronomique.

Margot Lyautey présente la tentative de modernisation de l’agriculture française par l’Allemagne nationale socialiste et l’entreprise Ostland. Comment adapter l’agriculture française aux besoins de l’économie de guerre allemande. La société Ostland s’empare de terresBiens des Juifs ou friches consécutives à l’exode pour montrer la modernité (mécanisation, engrais, semences sélectionnées) mais avec des succès très relatifs.

Christophe Bonneuil revient sur les contacts entre Allemagne nazie et France de Vichy à propos des semences. Il montre que l’amélioration semencière, engagée avant-guerre, débouche en 1942 à partir de l’exemple allemand sur la réglementation semencièreLe catalogue officiel des semences est créé en 1934, le GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences et des plants) en 1941, vise une modernisation génétique qui s’inscrit dans l’insertion de l’agriculture dans le modèle du capitalisme industriel.

Delphine Berdah s’intéresse à l’élevage, notamment la modernisation des pratiques et l’utilisation des antibiotiques après 1945 dans une comparaison France – Grande-Bretagne. C’est dans le domaine de l’élevage porcin et dans dans l’aviculture que se sont développés l’industrialisation de l’alimentation animale et le développement des soins vétérinaires. Deux cheminements parallèles même si les structures des exploitations des deux pays étaient assez différentes : produire à moindre coût malgré les risquesBactéries rendues résistantes dénoncés dès les années 1950.

L’Agriculture dans l’industrialisation. Marchés, entreprises, État

Gilles Allaire montre que l’industrialisation et la socialisation capitalistique de l’agriculture s’inscrivent dans la longue durée : la construction des paysanneries commence au Moyen Age. La croissance de l’agriculture s’est faite tout en réduisant la main-d’œuvre et avec une accumulation du capital.

Alain Chatriot présente l’histoire d’une institution officielle interprofessionnelle des céréales, depuis l’ONIB crée en 1936 jusqu’à France Agrimer aujourd’hui. Il décrit les politiques d’intervention de l’État pour organiser le marché du blé.

William Loveluck étudie les évolutions du Crédit Agricole de 1930 à 1970 ; de l’implication de l’État à l’outil de modernisation agricole pendant les Trente glorieuses.

Odile Maeght-Bournay et Egizio Valeschini montrent comment, dans les années 1970, émerge l’agro-industrie. Ils étudient notamment le rôle de l’INRA, le développement du marketing pour des produits innovantsExemple, le brevet sur l’ultrafiltration du lait. Quand les produits agricoles deviennent des matières premières de l’industrie agroalimentaire à standardiser. C’est la politique de l’INRA sous la direction de Jacques Poly.

L’évangile modernisateur et ses acteurs

Mathieu Gervais , à partir de sa lecture de la Revue « Paysans » des années 1950, montre les caractéristiques du discours sur la modernisation comme outil d’émancipation et d’affirmation d’une identité paysanne. Les portraits de deux acteurs, Jean-marie Gatheron et René Colson, tous deux jeunes agriculteurs de la JACmouvement catholique, permet de mieux comprendre à la fois l’ouverture aux questions techniques, économiques et sociales et une certaine forme de trahison quand le paysan devient agriculteur.

Sylvain Brunier étude une profession peu visible mais importante dans la modernisation de l’agriculture : les conseillers agricoles. Il le fait à travers l’exemple de la promotion de la culture intensive des fourrages, ce qu’il nomme « l’évangile »modernisateur de l’après-guerre. Il développe l’exemple de Pierre Chazal dans les Monts du Lyonnais.

Ces deux contributions rappellent les travaux et le rôle de René Dumont dans la modernisation de l’agriculture.

Aurélien Gabriel Cohen propose de relire les textes agronomiques sur la modernisation (Henin, Demolon) sous un angle épistémologique. Il met en évidence les rapports entre connaissance et, ce qu’il nomme, la mise en récit de l’évolution scientifique appliquée à l’agriculture. Il recherche des éléments idéologiques présents dans les textes étudiés : le grand récit du progrès.

Une révolution silencieuse ? Contestations des dégâts du productivisme et naissance de l’agriculture biologique

Dans cette quatrième partie apparaît la contestation du modèle qui s’est mis en place dans les années 1950-1960.

Céline Pessis analyse le discours sur la dégradation des sols, la contestation de la chimisation de l’agriculture et les difficiles débuts de l’agriculture biologique face au modèle dominant de la recherche agronomique.

Léna Humbert s’intéresse aux pesticides de synthèse avec l’exemple du colza dès 1946. Elle analyse de façon détaillée les relations entre les apiculteurs qui, dénoncent la surmortalité des abeilles, les agriculteurs, les scientifiques et l’État qui décide de la réglementation. Pourtant on peut être surpris de ne pas voir la place des industries phytosanitaires sans de combat entre défenseurs des abeilles et utilisateurs de pesticides.

Vénus Bivar présente la contestation de la modernisation agricole en France à partir de trois exemples : Raoul Lemaire et son refus du dirigisme étatique, un des fondateurs de l’agriculture biologique avec Henri-Charles Geoffroy ; le refus du remembrement source de conflits locaux et les résistances face aux SAFERSAFER : Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, elles sont créées en 1960 pour réorganiser les exploitations agricoles, dans le cadre de la mise en place d’une agriculture plus productive, et installer des jeunes..

Alexis Vrignon montre les évolutions du mouvement « Nature et Progrès » entre 1964 et 1980. Il analyse les origines politiques et techniques diverses de ce courant : naturisme, retour aux lois de na nature, critique de la société industrielle et urbaine mais aussi une approche pragmatique qui évolue vers une démarche expérimentale à la recherche d’une validation scientifique. Plus récemment le discours intègre l’environnement. C’est aujourd’hui plus une association de consommateurs que de producteurs.

Territoires en modernisation. Résistances, adaptations et leurs récits/mythes

Des études de cas territorialisées

En Aubrac, Agnès Bonnaud, Pierre Cornu et Gaëlle Laurent montrent comment des agriculteurs ont résisté à la modernité qui imposait des croisements et ont permis le maintien de la race Aubrac et l’élevage allaitant.

L’étude de la filière fromagère, par Claire Delfosse et Pierre Le Gall, montre le cheminement entre réglementation – standardisation de la production et la résistance des producteurs fermiers de Saint-Nectaire.

Dominique Fayard analyse la situation de la filière viande en Charolais. La résistance au remembrement, la frilosité envers les organisations professionnelles n’ont pas empêché l’émergence de l’AOC « boeuf de Chatolle ».

 

Pour finir une courte contribution de Pierre Alphandéry et Agnès Fortier : Réparer les conséquences du productivisme ? Les politiques de la nature en France dans le second XXe siècle.