Aux candidats aux concours de l’enseignement (des historiens essentiellement) qui se plaignent de la supposée aridité des questions de géographie, la lecture de cet ouvrage s’impose. La Diact a ici la solution pour les postulants réticents à se plonger dans les questions de notre époque et concernant notre territoire (La France : aménager les territoires). Voilà un beau livre, agréable à feuilleter d’autant plus qu’il comporte un grand nombre de documents iconographiques et de cartes. Ses auteurs, Christel Alvergne (maître de conférences à Bordeaux III, auteur du Défi des territoires en 2008) et Pierre Musso (professeur à Rennes II, auteur d’ouvrages de prospective dont Territoires et cyberespace en 2030, 2008), invitent le lecteur à une promenade historique à travers les images fortes qui ont jalonné l’aménagement du territoire. Les historiens y trouveront leur compte puisque l’approche est chronologique.

Les images présentées sont celles des politiques publiques de l’aménagement. Bien sûr, celles-ci ne sont pas de même nature au XVIème siècle et au XXème siècle. La création de la DATAR en 1963, aujourd’hui remplacée par la DIACT (Délégation Interministérielle à l’Aménagement et à la Compétitivité des Territoires) a marqué un tournant dans la manière d’aménager le territoire puisque, désormais, une administration y consacre l’essentiel de son temps et que l’échelle européenne a toute sa place.

La construction des notions de territoire et d’aménagement a été lente et a suivi celle du renforcement de l’Etat moderne. On est passé de politiques au service du pouvoir, puis à partir de la Révolution, à des politiques qui ont aidé à construire l’image d’un Etat au service de la nation. De nos jours, les politiques d’aménagement s’appuient sur de formidables outils de communication à destination de l’opinion publique. La finalité des politiques et des images qu’elles véhiculent n’a pas vraiment changé au fil du temps puisque c’est toujours un miroir de l’Etat et de son action qui est développé au fil de cette imagerie. Poser un regard critique sur ces productions, c’est être capable de décoder les éléments de la sémiologie graphique. Cette compétence est d’autant plus précieuse que nous vivons dans un monde où il y a profusion d’images.

Photographies, cartes, images numériques, SIG, blasons, tableaux, cinéma, dessins constituent un vaste corpus que les géographes ont négligé d’analyser en tant que tels et notamment pour leur statut de représentation du territoire.

Les auteurs de cet ouvrage visent à montrer ici, comme dans leur précédent ouvrage Les grands textes de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, qu’un certain nombre de mythes fondateurs sous-tendent la production d’images : telle que la nostalgie rurale, le fantasme de l’uniformité…

Jusqu’au XVIème siècle, les images que fabrique l’Etat visent surtout à représenter le territoire plutôt qu’à aménager. C’est seulement à partir du XVIème, et parallèlement à la naissance de la carte de France (apparue en 1482 dans un ouvrage italien puis le fait du Français Oronce Finé en 1525), qu’il est question d’aménagement. Sur les cartes, on fait figurer les routes créées pour maîtriser le territoire (en fait, le plus souvent des chemins). Il faut attendre la période 1750-1850 pour que soient construites des Nationales et des Départementales. Sully, puis Colbert sont les initiateurs de la politique de construction de canaux qui doivent permettre un meilleur approvisionnement des villes. Pour Vauban, la défense est prioritaire. Les deux aspects de l’aménagement du territoire apparaissent : le développement de l’économie du pays et sa défense. Deux aspects qui vont se traduire par une rivalité entre militaires et ingénieurs des ponts et chaussées dès le XVIIIème siècle. Vauban communique ses travaux par le biais des plans reliefs exposés au Louvre. Les Cassini, et plus particulièrement Cassini III (César François Cassini de Thury) mettent en place la triangulation qui couvre tout le territoire. Son travail est confisqué à la Révolution et sert de bases aux cartes élaborées par la suite.

Au XIXème siècle, les réseaux (canaux, routes, télégraphes, voies ferrées) connaissent une belle expansion. Les travaux du Second Empire (comme sous la V° République, plus tard) s’inspirent du saint-simonisme qui met en avant le rôle central des réseaux à l’échelle mondiale. Sous la IIIème République, c’est la conception géographique d’un Vidal de La Blache qui l’emporte et insiste plus sur l’unité que la diversité du territoire français, par le biais notamment de la géographie scolaire. Le développement des réseaux routiers (qui sont progressivement goudronnés) va de pair avec celui de l’usage de l’automobile (trafic multiplié par 10 entre 1919 et 1927). Le réseau téléphonique est beaucoup plus long à se mettre en place : la véritable couverture du territoire date de 1975 – 1985 (retard à rapprocher de celui du réseau autoroutier). Urbanisation et industrialisation sont les maîtres mots du Second Empire, mouvement qui sera continué sous la IIIème république encore très rurale. Ces efforts sont réduits en poussière dans certaines régions lors des deux guerres mondiales. Les destructions obligent l’Etat à se préoccuper de l’aménagement urbain (mise en application de la Charte d’Athènes de 1933). Parallèlement, la France organise son territoire colonisé à des fins de civilisation, d’exploitation et d’expérimentation d’aménagement. Cela s’inscrit dans sa volonté de prouver son rayonnement international.

1935 (loi du 25/07) est une date importante puisque cette loi porte sur l’aménagement et l’organisation générale des régions. L’aménagement régional est né. Cela participe à l’acquisition d’une appartenance à un même ensemble politique inscrit dans le territoire. Mais, c’est surtout après la seconde guerre mondiale et avec la volonté de faire de la France une puissance moderne que l’aménagement du territoire prend toute son ampleur. Dans ce cadre, Paris est la vitrine de la France. Ce centralisme parisien est critiqué par Jean-François Gravier ou plus tard, dans les années 1970, par les auteurs du Scénario de l’inacceptable, ou même par Pierre Veltz (1996) qui développe la théorie de l’archipel, conséquence de la mondialisation qui rapproche entre elles les métropoles les unes des autres et éloigne la métropole du pays en lui-même. L’échelle de réflexion dès 1955 (prémices à la réforme régionale de 1971 et à la décentralisation de 1982), devient la région afin de venir à bout des déséquilibres constatés. Aujourd’hui, depuis la mise en place de la LOADT, la logique est sensiblement différente. L’uniformisation du territoire n’est plus recherchée. Dans le cadre de la décentralisation, les territoires sont mis en avant par le biais de territoires de projet. De même, l’aménagement se joue à l’échelle européenne depuis les années 1990 avec la mise en place des programmes Interreg.

Au final, ce volume est d’un grand intérêt. La dernière partie propose une présentation des nouvelles cartes et technologies. Moins historique, elle présente la genèse des grands travaux entamés dans les années 1960 et ceux qui sont prévus dans les années à venir. A regretter toutefois : la petite taille de certaines reproductions. C’est le cas, notamment, de la Carte générale de la France divisée en 83 départements datant de 1790 et montrant un découpage en 9 grandes régions où l’on voit que la Somme est rattachée à la région Nord. Une vision avant-gardiste de la réforme régionale proposée par Balladur !

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