Présentation de l’éditeur. « Des vitrines vides et sombres, des façades aveugles, des stores métalliques baissés. Calais, Agen, Landerneau, Avignon, Lunéville… La crise urbaine ronge les préfectures et sous-préfectures, les détruit de l’intérieur. Les boutiques abandonnées ne constituent que le symptôme le plus flagrant d’un phénomène plus large : la population stagne, les logements sont vacants, le niveau de vie se détériore.

Alors que se passe-t-il ? L’offensive délibérée de la grande distribution, en périphérie, tue les commerces du centre-ville et des quartiers anciens, et sacrifie les emplois de proximité. En outre, les modes de vie sont fortement liés aux modes de déplacement. Partout, la voiture individuelle reste considérée comme une obligation, un dû. Or, parce qu’elle occupe de l’espace et génère bruit et pollution, la motorisation contribue largement à l’asphyxie des villes.

Comment la France peut-elle sauver ses villes ? Aucune solution miraculeuse, mais une série de petits pas, de décisions empreintes de sobriété ».

 

Olivier Razemon, journaliste et auteur d’un blog très complet sur la mobilité, livre ici  une enquête très complète et très claire sur la dévitalisation des villes moyennes. Il s’agit de la troisième édition d’un livre paru en 2016 et refondu en 2017. Il ne s’agit pas ici d’une remise à plat complète de l’ouvrage mais du même texte précédé d’un ajout sur la période la plus récente. Le livre comprend un très grand nombre d’exemples répartis sur toute la France. Il dresse donc un état des lieux très complet mais n’oublie pas dans un ultime chapitre de dessiner des pistes d’action.

Une introduction qui actualise le livre

L’auteur souligne qu’entre 2014 et 2020 de nombreux maires ont changé d’avis sur l’aménagement de leur ville. Partisans d’abord de l’expansion urbaine, ils en sont venus à considérer que la ville n’était pas un territoire à faire croitre indéfiniment. Il présente le programme « Action coeur de ville » mis en place en 2017 et qui porte sur 222 localités. Olivier Razemon précise ensuite que si les métropoles se portent bien, ce n’est pas le cas des villes petites et moyennes. Il faut aussi prendre conscience que ce sujet déborde la simple question des villes.

Bail à céder

L’auteur commence par dresser un état des lieux sur l’état des villes en commençant par Saint-Etienne. On mesure bien l’importance du regard car, selon où on le porte dans la ville, on peut dresser des constats tout à fait différents. Il faut aussi noter le profond attachement des habitants qui se mobilisent si leur ville est montrée négativement du doigt dans la presse nationale. Avec Béziers, l’auteur aborde le problème des vacances commerciales puis, à travers d’autres exemples, c’est la question du transport qui est ensuite posée. Enfin, l’auteur montre qu’une ville comme Soissons, si elle peut s’enorgueillir de quelques réussites comme la transformation d’une ancienne caserne en pépinière d’entreprises, souffre aussi de sa proximité avec Paris. 

Histoire d’un déclin

Olivier Razemon cite d’abord quelques travaux de ceux qui se sont intéressés à la question de la France périphérique et, en premier lieu, Christophe Guilluy. Il faut aussi noter que le sujet ne fait la une des journaux qu’à de rares moments. L’auteur revient également sur la ligne de fracture entre les  métropoles et les  autres villes. Dans ce dernier cas, ce sont les plus pauvres qui continuent à vivre en ville, au contraire de ce qui se passe dans les métropoles. Quelques chiffres méritent d’être rappelés : les 31 plus grandes villes rassemblent 15 millions d’habitants. 

Les sept plaies des villes moyennes

L’auteur évoque d’abord comment on calcule le pourcentage de vacances commerciales en soulignant, au passage, quelques biais de la méthode utilisée. Après des déserts médicaux, on voit apparaitre des déserts alimentaires. Le commerce urbain a profondément changé et si les boutiques de vapotage et tatouage fleurissent au centre des villes, leur pérennité est très limitée. On est frappé par une enquête de l’Ifop qui montre une corrélation entre la disparition des commerces et services présents et la montée du vote FN. On poursuit avec la question des transports publics avec quelques chiffres édifiants : plus la ville est importante, moins elle les subventionne car ils sont davantage utilisés. 

Qui sont les coupables ?

La fermeture des commerces ne résulte pas forcément d’une crise industrielle. Olivier Razemon pointe ensuite le fait que les grandes villes cultivent un  » entre-soi territorial », se copiant les unes les autres. L’auteur ne croit pas à la théorie de Christophe Guilluy qui fait porter la responsabilité du recul des villes moyennes sur les métropoles. L’auteur revient ensuite sur l’attitude des maires qui se sont longtemps vus comme des bâtisseurs. Les plus anciens pestent donc aujourd’hui contre des grandes surfaces qu’ils ont été, en leur temps, les premiers à promouvoir. La grande distribution continue à bien se porter avec plus de 600 000 salariés qui en dépendent directement. Plus inquiétant, on se rend compte que les commissions qui autorisent les ouvertures ne se caractérisent pas vraiment par une grande transparence et, lorsqu’on a voulu freiner le rythme de construction, on n’a fait en fait que de le différer, d’où la fièvre récente de construction. 

On ne peut plus se garer

L’auteur déplore le fait que la question des transports soit souvent le point aveugle de tous les raisonnements. On devrait examiner la ville sous d’autres angles comme celui des déchets : comment évacue-t-on les poubelles, où vont les ordures. Olivier Razemon met en avant trois idées, fortement ancrées, qui sont loin d’être des réalités à savoir : tout le monde aurait une voiture, la plupart des déplacements s’effectuerait ainsi et cette situation serait immuable. Là aussi, il faut faire jouer la notion d’échelle car quand une grande ville inaugure une ligne de tramway, une ville moyenne ouvre un multiplexe décentré. L’auteur aborde également la question du bruit en ville mais aussi des coupures urbaines que peuvent être des voies ferrées ou des voies rapides. Contrairement aux idées reçues, les piétons et les cyclistes consomment davantage que les automobilistes. 

Comment la France peut sauver ses villes

Ce chapitre montre un éventail des possibilités en les incarnant, à chaque fois, par des cas concrets. On peut citer entre autres la fonction de manager de centre-ville, mais tout dépend de la marge de manoeuvre que le maire lui accorde. Le consommateur a également un rôle et une responsabilité. Du côté de la mairie, il faut raisonner autour de l’idée d’espace public de qualité et ne pas confondre piétonnisation et accès pédestre. Dans le premier cas, le piéton n’est qu’un acheteur alors que, dans le second, il est vu de façon plus globale. La question du stationnement doit être abordée surtout lorsque l’on sait qu’une voiture passe 95 % de son temps arrêtée. Les gares doivent poursuivre leur transformation et devenir un lieu de passage. On pourra souligner l’initiative « balade urbaine ». Organisée par une association, elle consiste à traverser la ville à pied ou à vélo et à observer les lieux de rencontre et les obstacles. L’auteur plaide également pour que de véritables enquêtes soient réalisées puis traduites en cartes plutôt que d’agir selon des présupposés. 

En conclusion, Olivier Razemon souligne que le problème des villes en France est un souci de pays riche. Il réaffirme une idée essentielle : nous sommes tous responsables à des degrés divers car nous sommes souvent contradictoires dans nos manières d’agir. En effet, on déplore la fermeture de l’épicerie de quartier, mais on se délecte des immenses gondoles de la grande distribution.

Des pistes pour changer

On apprécie le dernier chapitre intitulé « 40 mesures pour comprendre la crise et y remédier ». L’auteur souligne bien qu’il ne s’agit pas là de recettes magiques, mais qu’elles sont à considérer, car elles ont déjà réussi quelque part. Parmi elles, il faut  se poser la question de l’emplacement physique des équipements publics ou privés, connaitre la vacance commerciale quartier par quartier et non globalement, ou encourager les outils « anti-Amazon » comme ce réseau de librairies à Paris qui vous dit où trouver l’ouvrage dans la ville si elle ne l’a pas. 

Ce livre intéressera donc aussi bien le citoyen que le professeur d’histoire-géographie. Il fournit à la fois de nombreux exemples de la situation actuelle mais dessine aussi des pistes pour l’avenir.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes