Ce remarquable travail entrepris par Lucie Jardot est issu d’un mémoire de master I et II soutenu à l’université Paris 1-Sorbonne de 2015 à 2017. Dans celui-ci, l’historienne a pour objectif d’appréhender la réalité du pouvoir des femmes au bas Moyen Âge : mesurer la place qu’elles occupent et mettre en lumière le pouvoir qu’elles exercent. Pour ce faire, Lucie Jardot analyse les sceaux de 21 princesses (comtesses de Hainaut et de Flandre) sur une période s’étendant de la moitié du XIIIe siècle au tout début du XVIe siècle.

Le sceau n’est, en effet, pas seulement un signe placé en bas d’un document qui permet d’identifier son détenteur. Il est également un objet qui véhicule un discours idéologique. Lorsqu’elles sont au pouvoir, les princesses utilisent leur sceau pour faire passer des messages. On assiste ainsi – sur 250 ans – à un véritable discours par l’image de leur part.

Lorsque ces princesses se trouvent en position d’exercer le pouvoir, elles sont aux prises avec une double injonction contradictoire : soit affirmer leur appartenance au groupe de la haute noblesse [et ainsi respecter la norme] ; soit se singulariser en introduisant des nuances par rapport à ce groupe pour être en phase avec ce qu’elles sont ou ce qu’elles veulent faire paraître [mais dès lors, elle transgresse la norme].

Tantôt leur sceau soutient le discours idéologique dominant qui exprime le rôle assigné aux femmes de l’aristocratie : pacifier, perpétuer, transmettre. Tantôt elles utilisent leur sceau pour le détourner afin de le singulariser et coller au plus près à leur identité multiple.

A titre d’exemple, pendant deux siècles et demi, les femmes de la haute noblesse tentent de se singulariser par le biais de l’héraldique féminine. Par un jeu subtil de récupération et de combinaisons armoriales paternelles et maritales, ces princesses finissent par élaborer leurs propres armoiries. Elles ne dépendent ainsi plus ni de leur père, ni de leur mari.

L’un des mérites de cet ouvrage est qu’il va à l’encontre des représentations communes que l’on a de la femme de la haute aristocratie au bas Moyen Âge : des princesses sans pouvoir, incapable de gouverner et sous la tutelle de leur père puis de leur mari. Lucie Jardot prouve qu’il n’en est rien chez les comtesses de Hainaut et de Flandre et met en avant dans son livre des princesses qui détonnent dans l’Europe occidentale des XIVe-XVe siècles : Marguerite de Constantinople, Jacqueline de Bavière ou encore Marie de Bourgogne.