Écrire une histoire du MâliL’auteur précise ce choix orthographique : forme habituelle des sources arabes (p.11) médiéval est, pour l’historien, un défi vu les nombreuses zones d’ombre et les manques dans les sources tant orales, matérielles qu’écritesL’auteur fait référence ici à son ouvrage Penser l’histoire de l’Afrique, CNRS 2022..

Plus qu’une histoire du Mâli médiéval, l’ouvrage porte sur les conditions d’élaboration du savoir sur l’histoire ancienne de l’Afrique.

En six chapitres, qui furent ses six cours au Collège de France à l’automne 2021, François-Xavier Fauvelle tente de reconstituer une partie du puzzle de l’histoire malienne, conscient des critiques possibles comme des remises en cause en cas de nouvelle découverte archéologique.

Trois introductions pour planter et déplanter puis replanter le décor

L’auteur part comme base de cette introduction de ce que Wikipédia propose : un empire mandingue fondé par Soundjata Keita au XIIIe siècle dont l’apogée se situe au XIVe siècle, grâce à l’exploitation de l’or, du cuivre et de la vente des esclaves et connu grâce aux sources arabes.

Il s’agit ensuite d’une critique des éléments retenus qui vise à montrer combien il est difficile de définir un Etat dont l’expansion territoriale a variée et sur plusieurs siècles. Pour l’auteur trop de publications sur l’Afrique propose « un « pseudo récit » qui est un mélange d’approximations ou de fausses précisions dans les dates, les lieux, les noms […} cohabitation d’informations parfaitement incompatibles les unes avec les autres » (p23)

Ce qui permet une réflexion sur les modes de validation de l’encyclopédie en ligne. Cette démonstration peut être utile pour l’enseignant désireux d’analyser avec ses élèves les notions de savoir, savoir vrai, vérifiable. L’auteur montre les limites de l’encyclopédie collaborative à propos de l’exemple de Soundjata. Il analyse les dates retenues pour son règne et met en lumière l’historiographie de l’Afrique de l’Ouest, utile rappel de l’existence de textes africains à propos de cette histoire, datés du XVIIe siècle.

Proposer une histoire du Sahel est comme un puzzle, mais sans les bords. Le propos introductif vise à définir l’ambition de cet ouvrage : assembler une partie du puzzle sans tenter de combler les manques ni déterminer les frontièrescarte p. 47 de l’empire du Mâli, culturellement hétérogène.

Un détour pour le trône : comment les rois du Mâli prennent (ou perdent) le pouvoir

Le chapitre s’ouvre sur un récit du sultan MûsâDéjà analysé dans le Rhinocéros d’Or qui est réédité cette année. Il analyse les conditions de l’écriture de ce récit par le chroniqueur al-Umarî au XIVe siècle. La chronique renseigne sur les conditions d’accès au pouvoir de Mûsâ et sur l’expédition maritimeUn extrait est disponible p. 52 de son prédécesseur Muhammad.

La réalité de cette expédition transocéanique fait l’objet de débats, mais c’est son sens politique qui intéresse François-Xavier Fauvelle. Il compare ce texte et celui d’Ibn Khaldûn sur la liste dynastique. Il conclut que Mûsâ est le premier d’une nouvelle lignée, héritière du frère de Soundjata. On verra par la suite ce qu’il faut penser de cette conclusion provisoire.

Le récit de l’expédition maritime ne serait que le pendant du pèlerinage pieux de Mûsâ en route pour La Mecque. On perçoit comment le pèlerinage s’ancre dans la relation des souverains maliens à l’islam. La conversion des rois mandingues date de la seconde moitié du XIIIe siècle sans qu’il soit possible de conclure que Soundjata était musulman. Les pèlerinages des rois du Mâli attestent d’une certaine stabilité politique, de relations commerciales et diplomatiques avec l’Égypte des Mamelouks. Celui de de Mûsâ, le plus connu, est présenté en détail avec une analyse critique des itinéraires transsahariens. L’auteur montre comment le pèlerinage est un élément de légitimation du pouvoir de Mûsâ.

Un roi dont le nom est Lion

L’auteur, partant du synopsis du film d’animation « Le Roi lion », remarque les correspondances avec différentes mythologies africaines sur l’origine de la royauté de même que le roman de Camara Laye : « Le Maître de la parole »Publié en 1978 est proche de l’épopée de Soundjata : le roman serait une transcription d’une tradition des griots. C’est ici l’occasion de narrer le récit mythique de l’enfance de Soundjata et de faire la comparaison avec « Soundjata ou l’épopée mandingue »Publié en 1960 par Djibril Tamsir Niane. Tous deux empruntent à la tradition d’un griot guinéen, Babou Condé.

François-Xavier Fauvelle montre que le thème de l’héritier enfant contraint à l’exil et qui reconquière son trône est présent dans différentes traditions de fondation d’empire, y compris hors d’Afrique, de Gengis khan à Charlemagne. Il recense quelques traits fondamentaux communs : la nécessité de traverser un fleuve ou une mer, l’exposition de l’enfant au fil de l’eau et son adoption par des animaux ou des parents humbles (Persée, Romulus et Rémus, Moïse), l’infirmité de Soundjata comme celle d’Œdipe.

Se pose la question : quel usage l’historien peut-il faire de l’épopée ? Est-elle un récit du présent projeté sur le passé ou une mémorisation de ce passé ?

En tout état de cause elle nous renseigne sur le temps de son récit : « les auditeurs et auditrices se voient rappeler les raisons historiques de l’existence des statuts sociaux, des lignages […] des rapports entre hommes et femmes, des rapports entre coépouses, etc. » ( p. 133).

François-Xavier Fauvelle réhabilite, s’il en était besoin, l’intérêt des sources orales africaines.

La dynastie impériale du Mâli

Il est ici question de la légitimité à monter sur le trône pour SoundjataSoundjata ou Mâri Jâta (C’est le nom que l’on trouve dans les textes d’Ibn Khaldûn) puisque les deux noms coexistent, le roi lion (Jâta signifie lion en malenké) et y installer la dynastie des Keita.

L’auteur met en regard l’épopée mandingue rapportée par les griots de la famille Keita et le texte arabe d’Ibn Khaldûn, écrit un siècle et demi plus tard. Il analyse l’histoire du retour d’exil et en cherche la signification : la légitimation de la prise du pouvoir par un étranger qui chasse les Sossos qui contrôlent le pays Mandé ; le fondateur de la dynastie serait un libérateur que l’épopée agrège à l’ancienne famille royale grâce à ce récit d’enfant non reconnu comme héritier qui reviendrait.

Retrouver la table généalogique des divers souverains après Soundjata n’est pas simple. L’auteur propose une analyse minutieuse de celle proposée par Ibn Khaldûn, des noms de règne et des règles de succession : un modèle de démarche historienne de critique des sources.

L’auteur conclut qu’existent deux récits, mandingue et arabe rapportant la mémoire de deux dynasties.

Les masques et la mosquée : ambivalences politiques et religieuses à la cour du Mâli

C’est Ibn Battûta qui fournit la matière de ce nouveau chapitre avec la description de la capitale, du palais impérial, de l’accueil des étrangers. L’évocation du déroulement des audiences, des cérémonies et des fêtes permet l’entrée en scène des masquesQuelques photographies illustrent le propos.

Cette présence des masques dans les cérémonies officielles montre le dialogue entre la religion animiste et l’islam. Le roi est à la fois chef des masques, Mansa et chef religieux, Sultan.

Ville de Mâli : y aller, en repartir

La capitale abritait une assez large population étrangère, diplomates, marchands. C’est parmi aux qu’Ibn Battûta a trouvé ses informateurs.

S’il est difficile de donner les bornes chronologiques de la période d’apogée, le problème le plus important est la question de la situation de cette capitale. De nombreux historiens mettent en doute son existence matérielle en un lieu donné.

L’auteur commence sa quête par l’Atlas catalan qu’il compare aux informations glanées chez Ibn Battûta sur son itinéraire de voyage vers la capitale. Reprenant les travaux antérieurs, François-Xavier Fauvelle critique l’hypothèse d’une localisation en Guinée : Niani ; les fouilles polono-guinéennes des années 1965 à 1973 ayant été fortement influencées par le contexte politique de la Guinée de Sékou Touré, leurs conclusions de datations peu crédibles.

Trouver des traces archéologiques est d’autant plus difficile que les constructions étaient en banco. L’auteur montre ici les limites de la « preuve par le terrain » quand l’interprétation des fouilles est, en quelque sorte, dictée parce que l’on veut démontrer.

Les autres hypothèses, situation sur le fleuve Sénégal ou entre Bamako et Ségou le long du fleuve Niger sont analysées.

L’auteur reprend son raisonnement avec une nouvelle hypothèse qui situerai la capitale à l’est de Ségou. Il craint des fouilles sauvages si les données qu’il propose sont trop précises ; la région est aujourd’hui très peu sûre et des destructions idéologiques comme celle des mausolées de Tombouctou, saccagés en 2012 par des djihadistes, est en effet à craindre.

Seules des fouilles permettraient de valider ou non cette hypothèse.

 

Un livre passionnant qui dépayse le lecteur avec bonheur.