La série de bandes dessinées Châteaux Bordeaux dont le scénario est construit par Corbeyran, Espe au dessin et Battistutta comme coloriste est construite sur le même schéma narratif que ce que l’on peut trouver sur les écrans. De précédents épisodes de cette saga ont été présentés sur la cliothèque, et nous traitons aujourd’hui le 11e épisode, le deuxième de la saison 2.

Produit qui s’inscrit dans la durée, le vin promet donc de futurs épisodes, d’autant plus que la série aborde dans chaque tome les différents aspects de sa production, du domaine au millésime, des vendanges aux négociants, sans éviter dans le tome 10 la constitution des groupes de commerces, et pour ce dernier celui des tonneliers.
Cette critique est rédigée à Cazouls les Béziers, cette petite ville du Languedoc viticole où pendant des années les tonnelleries d’Aquitaine ont été présentes. Et j’ai eu la chance de voir en direct la production de ces barriques de chêne, américain ou français. Ces gestes du tonnelier, l’alliance du feu et du bois, l’impact précis de la martellerie sur les cerclages, se mettaient au service du fruit de la vigne pour en constituer l’écrin.

Les tonnelleries d’Aquitaine ont disparu en 2012, son patron Monsieur Jougla était un précurseur dans bien des domaines. Le premier à lancer les vins biologiques, il y a près de 40 ans, le premier aussi à considérer que les vins du Languedoc méritaient le vieillissement en barriques réservées aux grands crus de Bordeaux.

Châteaux BordeauxCar il s’agit bien de cette étrange alchimie entre le vin et le bois, cet échange entre l’État des de matières, qu’il faut savoir mesurer avec la main qui tremble. Les arômes subtils du chêne neuf doivent être maîtrisés, au risque de produire du jus de caisse, où le bois s’impose sur la complexité aromatique du vin.

On retrouve donc les personnages de cette saga, et notamment Alexandra Baudricourt encore confrontée à des difficultés majeures.
Le monde des grands vins de Bordeaux est impitoyable. Et dès les premières planches, de la bande dessinée, on découvre justement les planches de la tonnellerie. Une barrique n’est pas un simple contenant, récipient quelconque, il est le produit du temps et d’un savoir-faire. Le tonnelier choisit les arbres sur pied, avant leur abattage. Une fois débité en planches, vient le temps du séchage, plus ou moins 2 années pour que les éléments lessivent les tanins du chêne.
Le merrain est alors débité pour devenir douelle, cette pièce de bois à la forme de losange qui sera ensuite cintrée et cerclée.
La série a une valeur documentaire incontestable puisque l’on apprend que le tonnelier, par la connaissance intime qu’il a de la matière, pouvait évaluer la quantité de tanins que la barrique pouvait apporter. On apprend aujourd’hui que les scanners permettent de remplacer le coup d’œil et le jugé. La chauffe qui permet le cerclage permet également de contribuer à la structure finale du vin.
Cuisson, tanins, vins, voici les éléments de cette équation aux possibilités infinies.

Châteaux Bordeaux – Des rebondissements multiples

En attendant, les personnages évoluent, et Alexandra Baudricourt connaît les tourments d’une femme et d’un chef d’entreprise, dans un domaine où les facteurs de risque sont multiples. Le temps reste le maître des vendanges, de la maturation, de la production, mais également les marchés, les grandes tendances économiques.
Même dans ce domaine, on devrait dire surtout, on aborde en filigrane la position de la Chine qui a découvert il y a maintenant une vingtaine d’années les grands crus de Bordeaux, et qui a pu en faire, comme pour château Pétrus, un usage spéculatif. Comme à une certaine époque, les gourous comme Parker pouvaient faire la loi dans les bouteilles.

Et il est vrai que ce climat de tension permanente le favorise pas vraiment l’apaisement. La vie de couple d’Alexandra semble partir en vrille, tandis que le fils de cette jeune femme hume un verre de sauternes et découvre les arômes d’abricots.
Cela permet, sans transition au niveau de la construction du scénario, d’aborder le cas particulier du sauternes avec la référence que constitue le château d’Yquem. On apprendra que l’humidité permanente du sauternais et la constance en matière de température permet le développement du botrytis, ce champignon qui génère la pourriture noble qui dispense ainsi ses arômes dans le vin de sauternes.
On y retrouvera également les problèmes d’utilisation par les vignerons des pesticides, un sujet sur lequel une enquête avec évaluation sur deux ans a été récemment diligentée.

Ces grands domaines de Bordeaux brassent incontestablement des sommes d’argent considérable, mais ils sont confrontés à des charges particulièrement lourdes, et à des contraintes réglementaires qui s’appliquent. L’entretien de bâtiment imposants, les relations complexes avec les distributeurs, tout cela permet aux scénaristes de développer de multiples rebondissements, et de développer le jeu des personnages qui permet de disposer d’un fil conducteur intéressant.

Le rythme de parution des épisodes impose au lecteur qu’il reprenne la série depuis le début pour y consacrer quelques heures de lecture attentive. Cela permet de s’immerger dans cet univers très particulier, et au final de passer un excellent moment.
Le travail du coloriste avec des dominantes aux couleurs des saisons, et pour ce volume c’est plutôt le temps de la vendange, permet de rentrer dans l’histoire. Et même, avec un peu d’imagination, de sentir, en tournant les pages, ces odeurs de moût frais que les habitants des régions viticoles connaissent bien. Je serai, depuis le début de la parution, plus nuancé sur le dessin, que je trouve, au niveau du réalisme, pas assez soutenu. Mais c’est une question d’appréciation sans doute.

In Vino veritas, tomes 1 et 2, « Toscane »