Anthony Wild présente lui même son sujet comme de l’histoire et de la géographie à l’état liquide. Le café a été sans doute un des produits de la mondialisation du XVI et du XVIIe siècle parmi les plus conquérants. Parti de l’Éthiopie et appelé longtemps vin d’Arabie, il a failli être interdit par les préceptes coraniques avant de conquérir l’Empire ottoman. Un Pacha d’Égypte qui avait essayé d’en interdire la consommation dans sa province a même été coupé en deux sur ordre du Sultan.
Le café aurait été popularisé sous sa forme actuelle par des Soufis qui recherchaient dans les effets de la caféine les moyens de veiller la nuit pour se livrer à leurs pratiques. La cerise du café, ce qui emballe la graine que nous connaissons n’a été utilisée semble-t-il qu’après. Dans les premiers temps, les feuilles du caféier, ou l’enveloppe de la cerise étaient utilisées comme infusions et il semblerait que cela existe encore au Yémen, la première terre d’élection du café. C’est une recherche digne d’un alchimiste qui a permis la transmutation de la graine de café vert, passé à la poêle sur un feu vif, qui a donné le café aux arômes puissants que nous apprécions aujourd’hui.
Dans les arômes délicats
Dès les premiers chapitres de cet ouvrage, on est pris au jeu et on se laisse aller à naviguer avec l’eunuque Zuang He, l’amiral de la flotte impériale qui, au milieu du XVe siècle dirigeait une ambassade vers l’Arabie. En présentant à ses hôtes les infusions de thé, il aurait donné l’idée de faire de même avec le café, cette baie issue d’un arbuste de la région de Kaffa… On voit ici l’origine du nom.
Mais au delà de ce voyage initiatique dans les arômes délicats de l’arabica, de certains cafés rares comme celui de l’ile de Sainte Hélène sur laquelle des graines de café jetées au XVIe siècle auraient poussé à l’état sauvage pour donner le cru le plus recherché au monde, l’auteur un ancien «goûteur de café» présente aussi les conséquences délétères pour les pays en développement de cette consommation du café devenue aujourd’hui planétaire.
Antony Wild a voyagé pendant plus d’une décennie comme acheteur pour une prestigieuse firme britannique, spécialisée dans le commerce des thés et des cafés. Il connait parfaitement son sujet même si parfois, dans l’histoire du monde arabo-musulman ses présentations sont très approximatives. La prière trois fois par jour des musulmans évoquée page 45 est assez surprenante.
Mais cela n’enlève rien au charme de cet ouvrage, et grâce à cette masse de références exotiques, qui n’est pas loin s’en faut de l’érudition, on passe un très agréable moment même pendant le siège de Vienne par les Turcs. Ces derniers auraient abandonné 500 kg de café, pendant leur retraite et un aventurier cosaque l’aurait récupéré pour le faire déguster aux habitants de la ville. Comme dans le même temps un pâtissier aurait eu l’idée de faire une brioche en forme de croissant de lune rappelant le drapeau des ottomans, on se retrouve immédiatement au zinc du café du coin, en train de commander un café croissant… Encore une victoire sur les minarets comme dirait un Suisse !
Sainte Hélène et la mondialisation du café
le chapitre 4 qui revient curieusement sur Sainte Hélène comme point privilégié de la confrontation entre les puissances européennes en concurrence, Hollandais, Portugais et Anglais, traite plus largement du commerce de Moka, ce port du Sud de la péninsule arabique, ouvert sur la mer rouge et l’océan indien qui a eu de fait pendant près d’un siècle le monopole sur la café. Ce breuvage s’est très rapidement diffusé dans les cours européennes avant de gagner les couches supérieures des sociétés d’ancien régime.
Le café a commencé à être cultivé au Yémen vers 1550 à la suite d’une interdiction par l’Imam de la culture du Qat. La conquête du Yémen par les Ottomans, en 1545 a permis que le produit se diffuse dans l’Empire et au delà vers l’Europe. La jolie histoire de la présence des ottomans à Vienne qui auraient de ce fait diffusé le café n’est pas forcément dénuée de vérité. En réalité, le café commence à pénétrer en Europe par la Hollande dont les marchands actifs ont vite perçu l’intérêt commercial.
Très vite les occidentaux ont vu le profit qu’ils pourraient tirer du commerce du Café. La compagnie anglaise des Indes orientales s’est très tôt impliquée dans cette activité et a surtout essayé de briser le monopole que les yéménites avaient essayer d’instaurer en essayant de stéiliser les grains de café ou en les torréfiant partiellement pour en emêpcher la germination ailleurs… Cela fut un échec, et la café a été implanté au rythme des conquêtes coloniales, à Ceylan par exemple, avant d’être supplanté par le thé. Le café a été aussi implanté à la réunion par les Français de la Compagnie des Ides en 1715. Il semblerait toutefois que des cafés sauvages locaux aient également existé à la Réunion, appelée île Bourbon, mais aussi à Madagascar.
Le chapitre 7, L’esclavage et les colonies à café montre également comment la généralisation de la culture de cet arbuste, a contribué à la diffusion de la traite négrière.
Quelle que fût sa véritable provenance, le café se répand néanmoins très rapidement à travers le Nouveau Monde occidental : les Britanniques l’introduisent en Jamaïque dès 1730 ; les Espagnols à Cuba en 1748, au Guatemala en 1750, au Pérou en 1764, au Costa Rica en 1779, au Venezuela en 1784, et au Mexique en 1790 ; quant aux Portugais, ils l’installent au Brésil en 1752. Un trait, commun à tous ces pays, était qu’ils disposaient déjà d’une très importante population d’esclaves, qui permet la mise en place de la culture du café à une rapidité saisissante : le Venezuela était par exemple le troisième producteur de café du monde dès 1800.
Les esclaves et le café
Pour répondre aux besoins des économies de plantations de toutes ces colonies, la traite atlantique connut une véritable explosion au XVIIIe siècle. À Saint-Domingue, source prodigieuse de l’essentiel du sucre, du chocolat et du café destinés à la France, arrivait chaque semaine un bateau d’esclaves africains, affrété par les armateurs Nantais.
Richard Lake, un éminent planteur de café de la Jamaïque, était également un respectable négociant d’esclaves, tandis qu’Alexander Grant disposait sur l’île de 4 500 hectares d’où il exportait du sucre vers l’Angleterre, et cela à bord de ses propres navires, lesquels allaient ensuite en Sierra Leone chercher des esclaves qui seraient ramenés sur l’île. On estime qu’au moment de l’abolition, les Britanniques, grâce à la domination qu’ils exerçaient sur la mer, contrôlaient la moitié du commerce des esclaves à destination de l’Amérique. La traite négrière était principalement financée par les riches négociants de Bristol, Londres et Liverpool.
Dans l’histoire sombre de l’esclavage et du café, le Brésil joue un rôle très particulier. Après l’abolition, en Angleterre et en France, le Brésil qui a maintenu cette pratique jusqu’en 1888 pouvait proposer des tarifs imbattables d’autant plus que l’abolition a pu être acceptable par les grands propriétaires qui maintenaient leurs paysans « libres » ans une dépendance absolue. Leur misère en faisait une main d’œuvre docile et sous payée pour récolter le café d’autant plus qu’ils avaient de nombreux enfants, capables de récolter les baies dans les plantations.
Dans les chapitres consacrés à l’actualité du café, l’intitulé les temps modernes est assez déroutant pour un historien français, Antony Wild se livre à un réquisitoire sur les usages du café et les pratiques des grandes compagnies mais aussi des distributeurs comme Starbuks.
Les grandes compagnies du café comme Sara Food lee, Philip Morris et Nestlé, réalisent des profits prodigieux avec une denrée payée au producteur moins de un demi dollar la livre. De plus, ils ont développé des plantations de Robusta, un plant moins raffiné que l’Arabica, mais cela permet de faire pression sur les prix à la baisse. De plus le Robusta est plus concentré en caféine, mais son amertume peut être dissimulée par divers procédés chimique. Ainsi les cafés Robusta puissent être incorporés e quantités croissantes dans les mélanges des torréfacteurs. Produit de plus en plus courant, y compris dans les boissons de type soda, la caféine n’a rien d’anodin. Elle peut causer des troubles graves en haute concentration, et Balzac et ses 75 tasses de café par jour, représentait sans doute la limite acceptable de la consommation.
Produit mondialisé, le café est consommé par les grands pays industrialisés sont les compagnies maitrisent les marchés. Pour éviter une entente des producteurs, les compagnies ont par exemple développé des plantations de Robusta au Vietnam, le deuxième producteur mondial après le Brésil ce que très peu de géographes savent. Le Robusta produit est de qualité médiocre, vendu trois fois moins cher qu’un arabica de qualité moyenne, ce qui assure des marges fantastiques.
Au final, même si l’auteur n’est pas un historien, la connaissance du sujet qu’il déploie et la pertinence de son raisonnement sur les limites du commerce équitable, permettent de passer sur bien des approximations sur les sources et sur les mises en situations des évènements qu’il relate.
Le café fait toujours rêver même s’il peut priver de sommeil le lecteur conscient des conséquences sociales et écologiques de la diffusion planétaire de cette plante. Et là, la caféine n’a rien à voir !