Michelle Bourassa est docteur en psychologie. Elle accompagne des équipes pédagogiques du préscolaire au post-secondaire et travaille avec elles sur les liens entre neurosciences, apprentissage et différenciation. Mylène Menot-Martin a été enseignante en primaire, en secondaire spécialisé. Elle est aujourd’hui chargée de cours en écoles supérieures de pédagogies et formatrice d’adultes. Elles ont toutes les deux rédigé ce livre comme une boîte à penser pour les enseignants, les élèves et leurs parents. Son fil conducteur est le cerveau, cet « appareil avec lequel nous pensons que nous pensons » (Jean-Pierre Changeux). Les neurosciences ne dictent toutefois pas quelle conduite pédagogique adopter mais elles sont un outil de réflexion, d’exploration et « ce livre s’offre pas de solutions prêtes à porter ni d’activités clés en main. »
La première partie de l’ouvrage installe le décors, les éléments fondateurs pour les quatre autres parties. Une des premières avancées des neurosciences est la prise de conscience de la plasticité de notre cerveau. Le cerveau humain adulte crée entre 10 et 30 000 nouveaux neurones par jour. L’intelligence, loin d’une idéologie fixiste, est donc dynamique, évolutive, adaptable. Il faut enseigner aux élèves que l’intelligence n’est pas un chiffre de QI mais une habileté naturelle à apprendre. Les auteurs explorent ensuite la notion de profil apprenant. Sa connaissance permet d' »apprendre de soi à apprendre » à la croisée du savoir comprendre, du savoir-faire et du savoir-être. Cette habileté à apprendre peut aussi être influencée par plusieurs filtres, comme le plaisir ou l’imagination.
La 2ème partie installe l’importance d’habiter pleinement notre corps. Corps et cerveau doivent interagir pour mieux comprendre. En d’autres termes, nos pôles arrière (Arrione) – corps senti – et avant (Avelin) – corps agi – communiquent en continu et ne peuvent aller l’un sans l’autre. Plusieurs témoignages en lien avec la dyspraxie (appelée ici TDC : trouble développemental de la coordination) en rappellent les difficultés, pas seulement scolaire, quand cela n’est pas le cas. Aussi, loin de devoir les rejeter, les sensations et émotions sont indispensables. Peur et plaisir sont d’abord et avant tout des sensations corporelles. Des recherches ont prouvé qu’en salle de classe, l’activation du plaisir a des effets directs plus marqués sur la motivation scolaire des élèves que les mesures adoptées pour diminuer les émotions négatives. L’auto-régulation peut par exemple alimenter le sentiment de compétence des élèves. Méditation et travail sur la respiration en général sont aussi des outils pour limiter les peurs.
La 3ème partie se concentre sur les émotions et leur gestion. En effet, il faut savoir que nos émotions apparaissent entre 100 et 200 millisecondes avant notre pensée et peuvent donc guider nos actes. Les auteures insistent d’ailleurs sur l’empathie qui nous permet de ressentir les émotions de l’autre, certainement pour mieux les anticiper ou les prendre compte. Elles soulignent la nécessite d’apprendre, avec lenteur, l’accueil de nos émotions, et l’intérêt de l’inhibition.
La 4ème partie explore des fonctions exécutives. L’attention est une des plus importantes. Sans attention focalisée, pas d’engagement pour comprendre, et sans engagement, pas de mémorisation. Il faut donc mettre en place les conditions pour diriger l’attention vers les informations essentielles et mener vers l’apprenance et la compréhension. Les auteures présentent ensuite des stratégies pour consolider la mémoire. Il faut par exemple limiter les interférences. Il ne faut enfin pas oublier le rôle des émotions. L’émotion positive comme la curiosité augmente l’effort cognitif et renforce l’usage des stratégies apprises en situations semblables.
Comme un bilan, la dernière partie développe le défi du lien corps-cœur-pensée comme moyen d’utiliser nos fonctions exécutives les plus complexes, dites de 3ème niveau : inhibition, flexibilité, réflexion critique et régulation de la réponse émotionnelle à l’aide d’outils comme la pleine conscience. « L’inhibition est la clé de voûte pour conférer sa place au savoir penser avec tout son être. »‘ C’est un indicateur puissant de réussite scolaire des élèves. Elle permet en effet aux autres fonctions exécutives de se déployer. Elle autorise des poses dans sa réflexion, une prise recul, menant à une auto-régulation, des stratégies pour « essayer voir » tout en prenant en compte la possibilité de l’échec.
Ce livre, fort bien documenté et truffé de références scientifiques à des recherches, est très touffu et est un peu complexe à lire. Les inserts dans le texte sont nombreux. Les renvois vers des ressources numériques et vers des compléments (très intéressants et utilisables en l’état) sur le site de l’éditeur sont incessants, même si on peut choisir de ne pas les lire de suite. Malgré tout, on saisit bien, à la fin de sa lecture, le fil conducteur qui met en lien notre pensée, notre corps et nos émotions. Les données probantes nous obligent donc à tenir compte de l’évolution des connaissances dans ces domaines et nous donnent quelques clés pour mieux apprendre (pour les élèves), « enseigner » (pour les enseignants) et éduquer (pour les parents).